Actualité du dopage

Lance Armstrong face à Christophe Bassons, le grand pardon


07/12/2013 - lemonde.fr - Benoît Hopquin

Il y avait celui qui se dopait et celui qui ne se dopait pas. Vendredi 6 décembre, à Paris, l'Américain Lance Armstrong et le Français Christophe Bassons se sont rencontrés, à l'étage d'un restaurant. La dernière fois qu'ils s'étaient vus, il y a près de quinze ans, les deux hommes étaient encore coureurs. C'était lors du Tour 1999, le premier des sept remportés par le Texan. Le maillot jaune avait, lors d'une étape entre Sestrière et l'Alpe d'Huez, menacé le Français qui osait critiquer ouvertement le dopage dans le peloton. Celui qui avait été ironiquement baptisé « Monsieur Propre » par les autres coureurs avait dû quitter la course deux jours plus tard.

Si elle n'est pas entrée dans la Légende du Tour, et pour cause, cette scène reste emblématique de l'ère Armstrong et plus largement de l'omerta du peloton. Tout comme en 2004, quand l'Américain avait mené la chasse pour rattraper l'Italien Filippo Simeoni, coupable d'avoir témoigné dans un procès contre Michele Ferrari (...). Devant les caméras de télévision, l'Américain fit le geste de zipper les lèvres, en signe de silence. Scène incroyable d'intimidation.

En octobre 2012, Lance Armstrong a été convaincu de tricherie (...). Il a dû avouer. Depuis, les procès s'accumulent. Remords sincères ou opération tactique ? Depuis plusieurs semaines, l'Américain rencontre en secret ou devant des journalistes ceux qu'il a enfoncés parfois violemment durant sa carrière. Dont Christophe Bassons.

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Sur les mots exacts qui furent prononcés dans la descente de Sestrières, les versions des deux protagonistes divergent toujours, quinze ans après. Lance Armstrong assure qu'il n'a jamais demandé que Christophe Bassons quitte le peloton. « Si c'est comme cela que tu l'as ressenti à l'époque, je dois vraiment m'en excuser, a-t-il cependant admis. Je suis désolé. » « Il n'est pas utile de s'excuser, a répondu Christophe Bassons. Au moins m'as-tu parlé en face. »

Et d'expliquer que les coureurs français avaient beaucoup plus fait pour son éviction, par leur hypocrisie, les insultes ou les intimidations. « Quand j'ai arrêté le vélo, en 2001, j'étais victime de harcèlement physique. On me mettait dans le fossé. Des coureurs français critiquaient en catimini Lance Armstrong parce qu'il se dopait. Pourtant, ils ne disaient rien en public contre toi. Ils me laissaient aller au front. Mieux encore, ils m'ont fait partir. »

Christophe Bassons en veut notamment à ses anciens coéquipiers de Festina, équipe embringuée dans une formidable affaire en 1998. Lors du procès, il fut démontré que le Tarnais, qui appartenait à l'équipe de Richard Virenque, avait refusé obstinément de se doper. Leur peine purgée, ses anciens coéquipiers avaient repris leur place dans le peloton et s'étaient montrés impitoyables à son égard.

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Bien placé pour savoir à quel point le dopage est répandu dans le peloton, Christophe Bassons se sent obligé de défendre Lance Armstrong. « Je ne suis pas d'accord que tu prennes pour tout le milieu. Je ne pense pas que tu sois responsable de tout. Il y a aussi l'UCI, les fédérations, les organisateurs. Il faut en finir avec l'hypocrisie. » « J'ai été diabolisé, poursuit l'Américain. Mais les anciens dirigeants de l'UCI sont aussi diaboliques que moi. » Et d'ajouter : « Le cyclisme n'est malheureusement pas un meilleur sport aujourd'hui qu'il l'était il y a douze mois. » Quant aux lâches et aux hypocrites, le Texan prétend également à une expertise.

« Ma vie est aujourd'hui remplie de ce genre de personnages. Quand on traverse le genre de période que je vis, on apprend beaucoup de choses. Ce n'est pas une leçon de cyclisme mais une leçon de vie. On apprend à savoir qui sont ses vrais amis. Il y a des gens dont j'aurais juré qu'ils étaient de mon côté. Je leur aurais fait confiance à 100 %. Je pensais qu'ils allaient être avec moi. Et hop ! Disparus ! Au moins, je sais à qui j'ai affaire. C'est génial, quand on se promène avec son maillot jaune, que tout le monde fait la fête, que tout le monde tape sur l'épaule en me disant : "C'est génial !" Après, je découvre qui sont vraiment les gens. D'un seul coup, il y a eu beaucoup moins de monde autour de moi. Mais je vais te dire ceci : les événements de l'année dernière, qui ont démarré avec l'USADA, tous les problèmes qui en ont découlé ont été tels que pour moi, pour ma famille, pour mon entourage, j'ai le sentiment de ne plus avoir aucune valeur. »

« Moi, actuellement, je suis heureux, explique Bassons. Je suis papa de deux enfants. J'ai un travail qui me plaît. Je n'ai pas de regret. Je suis fier et j'ai des projets. » « J'ai des enfants, je suis très fier mais je n'ai pas de projets, a plaisanté Armstrong. Ma vie est compliquée. Elle l'a toujours été, mais elle est particulièrement compliquée en ce moment. Je suis empêtré dans des sables mouvants juridiques. »

Les deux hommes ont alors évoqué la prévention du dopage. Christophe Bassons a expliqué qu'il espérait un changement des mentalités. Non pas en jouant sur la peur, celle des contrôles ou celle sur les risques pour la santé. Plutôt en jouant sur un autre ressort : l'estime de soi. A la base du dopage, dans la logique de la performance, « il y a un besoin d'être connu, un besoin d'argent, un besoin de s'aimer, un ensemble de besoins qui peuvent pousser à se doper. »

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Lance Armstrong évoque ses débuts avec le dopage, alors que sa carrière plafonnait et que les responsables de son équipe menaçaient. « C'était en 1994. Ils m'ont laminé, mais j'ai dit : "Non, non, je ne me couche pas". Je leur ai dit : "Allez-vous faire... Je reste." C'est un problème de culture. Les coureurs sont des battants, on est là pour lutter. J'ai dit : je continue. Je ne rentre pas chez moi, je reste là, je me bats. »

Ensuite, une fois le pas franchi, Lance Armstrong décrit la spirale du mensonge, des dénégations à la question : « Etes-vous dopé ? » « Quand tu dis non une fois, quatre fois, tu dis non un million de fois. » Impossible de revenir en arrière. « J'aurais aimé ne pas avoir été mis dans cette position, mais voilà. J'ai tout fait pour réussir, l'entraînement, la sélection de mon équipe, la motivation, la rage, le désir de gagner. Le dopage, c'était le point final, la dernière pièce. » Tentation qui lui fut fatale.

« On a le sentiment que dans les années 90, Lance Armstrong et ses coéquipiers, ceux qui ont pris cette décision [de se doper], étaient des animaux. Mais c'étaient des êtres humains, confrontés à un choix : je viens de nulle part, je n'ai pas fait d'études et, si je rentre chez moi, je n'ai plus rien. Or, il y a des choses qui sont là à ma portée, qui peuvent faire du bien, beaucoup de bien, qui ne sont pas détectables. Je me dis : "Oui, je vais jouer le jeu". Et presque tout le monde a dit "oui". A part toi, je ne connais que deux personnes qui ont pris une décision différente : Scott Mercier et Darren Baker. »

Ces deux coureurs ont quitté l'équipe US Postal de Lance Armstrong plutôt que d'accepter son programme de dopage. « Vous trois, vous êtes des gens éduqués. Vous avez un diplôme d'études supérieures. Mais à l'avenir, demain, dans dix ans, dans vingt ans, poursuit Lance Armstrong, il y aura quelque chose qui ne s'appellera pas EPO mais XYZ, qui sera indétectable, qui améliorera la performance. Pour la génération qui viendra, il y aura toujours ce moment de la décision, du choix. »

Christophe Bassons aimerait associer Lance Armstrong à la prévention anti dopage. « Je ne suis pas sûr d'être la bonne personne, a plaisanté l'Américain. Je suis même probablement la plus mauvaise personne. Je crois que tu serais beaucoup plus crédible en en parlant. Ton opinion est beaucoup plus crédible, probablement plus crédible que celle de qui que ce soit.» Et d'expliquer que sa seule valeur reconnue dans la lutte antidopage est celle d'exemple. « On se dit qu'en s'acharnant sur moi, cela servira aux autres. »


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Cette page a été mise en ligne le 07/12/2013