Actualité du dopage

Vers un cyclisme à deux plateaux

17/07/2008 - Libération - Antoine Vayer

(...) Ce qui s'est passé dans les Pyrénées décrédibilise encore le Tour de France 2008 et les valeurs du sport de «haut niveau».

«Where is the proof ?» («Où sont les preuves ?»), demandait Lance Armstrong en narguant ses interlocuteurs. Les faits ne prouvent rien s'il n'est pas un juge pour les interpréter. Le problème sur le Tour, c'est que tout le monde est juge et partie. On consent à valider les preuves «médicales» des blouses blanches pour exclure un coureur comme Dueñas, un inconnu cache-misère, qui se montre capable de développer 410 watts de puissance mécanique sur la montée d'Hautacam grâce à de l'EPO. Il termine seulement 11e. Et 410 watts, c'est déjà humainement beaucoup trop dans certaines circonstances.

(...) Devant lui, il y a les meilleurs. Par exemple Riccó (...). Son idole, Marco Pantani, est mort d'une overdose de cocaïne, parce qu'on ne lui a pas permis de continuer à se doper comme les autres.

Voici les faits : Riccó, dans sa montée victorieuse du col d'Aspin de 12,6 km à 6.3 % de déclivité, a poussé 440 watts. Il a, bien sûr, battu le record historique de la montée depuis la sortie d'Arreau, en 29 minutes 20 secondes. Le précédent record était détenu par «l'équivalent de quarante Eddy Merckx» en 2004, référence utilisée à l'époque à propos de l'étape de La Mongie, remportée par Ivan Basso devant Armstrong. En 2008, ils sont dix de plus à pouvoir développer la puissance de l'ancien champion, et terminer ensemble une étape à deux cols.

Mais tout ce beau monde arrive derrière Riccó, qui claironne que le lendemain, son coéquipier Piepoli va gagner à Hautacam. Et ce dernier, sûr de sa force, le fait, accompagné de Cobo Acebo, encore un équipier de la Saunier Duval, en 37 minutes 30 secondes, à plus de 22 km/h de moyenne sur une pente de 13,8 km à 7,7 %. Pour le faire, les deux hommes ont développé 439 watts.

(...) Voilà encore un «exploit» hors normes réalisé par un collectif qui n'est pas sans nous rappeler celui de l'équipe Gewiss-Ballan du docteur Ferrari (...). Exploit qui rappelle aussi la montée de la Croix de Fer par les Festina en 1997, ou encore le triplé Deutsche Telekom aux jeux de Sydney 2000 avec Ullrich-Vino-Klöden. Piepoli a 37 ans. Un vieux, un dur à cuire. Tout comme Jens Voigt, qui appartient à l'autre équipe au-dessus du lot dans ce Tour : la CSC, avec dans ses rangs Cancellara (...).

Ces «non-grimpeurs» passent pourtant les cols. Ils travaillent pour leurs leaders Schlek et Sastre qui, avec Evans, Menchov et consorts, méprisent les performances réalisées derrière eux par un Dueñas sous EPO. Dans les vallées, les CSC appuient sur les pédales avec une puissance proche d'un cheval-vapeur et avancent deux fois plus vite que les échappés à qui on a laissé du champ, comme le Français Di Gregorio.

(...) Le Marseillais grimpeur, 23 ans, est capable de pousser 375 watts. Il semble normal. Il fait partie des 40 Français engagés, dont neuf sont dans les quinze derniers du général. Le plus constant reste Goubert, 38 ans, un ex-Festina. Il enchaîne les montées de cols entre 400 et 415 watts. Et il progresse encore au regard de ces dernières années. On attendait aussi Gadret et Moreau, les seuls capables d'évoluer à 430 watts, mais ils ont abandonné. (...)

Dix équipes ont assuré cependant que leurs coureurs n'avaient pas subi d'infiltration de corticoïdes pendant les quinze jours précédant le Tour. Avant, on parlait de «cyclisme à deux vitesses» quand certains Français développaient 390 watts face aux 410-450 des meilleurs. Mais le rendement général des Tricolores a baissé cette année de 20 %, quand celui des ténors s'est maintenu. Faut-il maintenant parler de «cyclisme à deux plateaux» ? Ceux des grands et ceux des petits joueurs ?


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Cette page a été mise en ligne le 17/07/2008