Actualité du dopage

Le Tour de France cycliste dans le maelström du dopage


20/07/1998 - lesechos.fr - Alain Perez

Où s'arrêtera l'affaire Festina ? Après les aveux et la mise en examen de son directeur sportif, Bruno Roussel, l'équipe de Richard Virenque a été exclue de la course par le directeur de l'épreuve, Jean-Marie Leblanc. Cette décision, unique dans l'histoire de la Grande Boucle, a entraîné nombre de réactions. Présent sur l'étape corrézienne de samedi, Jacques Chirac n'a pas hésité à dire qu'il fallait « éradiquer le mal et sanctionner sans pitié les filières d'approvisionnement des produits dopants ». Le ministre de la Jeunesse et des Sports, Marie-George Buffet, a rappelé qu'il était de plus en plus nécessaire de « mettre en place un véritable dispositif de protection et de suivi médical des sportifs ».

En septembre, l'Assemblée nationale doit examiner un projet de loi renforçant les sanctions contre les pourvoyeurs et les utilisateurs de produits dopants. Ce projet de loi, déjà adopté à l'unanimité par le Sénat, pourrait entrer en vigueur au début de 1999.

Mais la loi ne suffira peut-être pas face à l'extraordinaire habileté des « médecins du sport », qui ont toujours réussi à avoir une longueur d'avance sur les autorités chargées d'appliquer les règlements. Avant l'ouverture des jeux Olympiques d'Atlanta de 1996, une très sérieuse polémique avait secoué le monde sportif. La publication du livre du docteur Jean-Pierre Mondenard (« Le Dopage aux jeux Olympiques. La triche récompensée ») et les déclarations fracassantes du professeur Jean-Paul Escande indiquant que les contrôles étaient « totalement impuissants » face à la sophistication des produits dopants, avaient sérieusement entamé l'image des JO. Tout était « rentré dans l'ordre » dès le départ des compétitions. Mais cette fois l'affaire Festina, qui a démarré le 8 juillet par un « banal » contrôle de police dans le nord de la France, paraît d'une tout autre ampleur. Bruno Roussel et le médecin de l'équipe, Eric Ryckaert, ont reconnu que le dopage était une pratique « organisée entre la direction, les médecins et les coureurs de l'équipe ».

Hormones coupables

Deux substances principales sont au coeur de la polémique : l'érythropoïétine _ EPO _ (lire ci-dessous) et l'hormone de croissance. Ces deux molécules sont naturellement sécrétées par l'organisme humain. Indécelables dans les urines, leur détection ne peut être assurée que par des analyses sanguines. Mais cette mesure est extrêmement délicate, puisqu'il faut faire la différence entre le produit existant à l'état naturel dans le corps (endogène) et celui ingéré à des fins de dopage (exogène). De surcroît, leur concentration varie dans le temps et selon les individus. La définition d'un « seuil de l'illégalité » est donc très difficile à établir, de même que la mise en place d'une technique d'analyse « irréprochable ». Selon le Comité olympique international (CIO), la détection de l'EPO exogène sera possible pour les Jeux de Sydney en 2000.

L'EPO déclenche la production des globules rouges qui transportent l'oxygène dans le sang et améliorent le rendement des muscles et la résistance à l'effort. Son usage est largement répandu chez les sportifs de haut niveau depuis plusieurs années. L'ancien champion cycliste Gilles Delion a d'ailleurs reconnu pendant le week-end que son utilisation était « assez largement répandue dans le peloton », mais que le cyclisme n'avait pas le « monopole du dopage ». L'hormone de croissance, qui augmente la masse musculaire, est utilisée pour les sports de force : haltérophilie et sprint notamment. Ces produits sont synthétisés industriellement et prescrits pour soigner des carences hormonales.

Produits masquants

Leur détection est en théorie possible en mesurant leurs effets sur l'organisme. L'Union cycliste internationale (UCI) a défini un taux maximal de globules rouges permis dans le sang, et des contrôles sanguins (hématocrites) ont été mis en place de façon inopinée à partir de 1997. Mais les médecins sportifs possèdent un savoir-faire hors pair. L'utilisation combinée de l'EPO et de l'hormone de croissance selon des dosages particuliers ainsi que l'association avec des produits masquants permettraient ainsi de tromper ces analyses. La saisie, dans la voiture du soigneur de l'équipe Festina, Willy Voet, de 400 doses injectables d'EPO et d'autant d'ampoules d'hormone de croissance semble confirmer cette hypothèse.

Reste que la frontière entre dopage et « soins attentifs » est extrêmement difficile à établir pour les sportifs de haut niveau. Jean-Marie Leblanc reconnaît lui-même que les cyclistes doivent recevoir des « soins pointus ». Pour certains médecins du sport, il n'est pas non plus illicite de « rétablir l'équilibre hormonal » d'un sportif soumis à des efforts très violents ou très longs. Dans une interview paru dans « Le Point », Daniel Blanc, médecin chargé du suivi de Richard Virenque, milite ainsi pour une collaboration étroite entre médecins et sportifs « pour en finir avec la prohibition tous azimuts ».

Une chose est sûre : les champions cyclistes, actuellement dans le collimateur des autorités et des pouvoirs sportifs, ne sont donc pas les seuls à faire appel à ces produits interdits. Pendant les derniers jeux Olympiques, un médecin officiel de la délégation britannique avait déclaré que « 75 % des athlètes présents à Atlanta [étaient] drogués en toute impunité ».

Ces chiffres, invérifiables, ne compromettent pourtant pas l'indéniable succès du sport spectacle, qui nourrit une bonne partie des programmes télévisuels en été. « Autrefois, le vainqueur d'une étape du Tour passait des heures à récupérer dans sa chambre. Aujourd'hui, à peine la ligne d'arrivée franchie, il raconte ses exploits à la télé en plaisantant avec le présentateur. Et tout le monde trouve cela normal », déclare un spécialiste de la santé sportive.


Lire l'article en entier



Sur le même sujet


A voir aussi


Cette page a été mise en ligne le 31/08/2024