Actualité du dopage

C'est Schleck qui a raison, le poison agit encore


23/07/2012 - lemonde.fr - Antoine Vayer

Fränk Schleck, le dopé exclu, a raison : le Tour est "empoisonné". Il l'est depuis longtemps, mais le poison fait toujours effet. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer les comparaisons des puissances des coureurs en watts. Nous en avons relevé quatre particulièrement frappantes cette année. La première tue plus qu'elle ne blesse. Elle concerne le chouchou, Thomas Voeckler qui, comme son clone, le Virenque des grandes années Festina, braque le maillot à pois de meilleur grimpeur et le coeur des Français. Saint Thomas, de son plein gré, à l'insu de ses mollets presque décharnés au point où ils se confondent avec ses tibias, est capable, comme Richard naguère, de faire des raids en montagne en maintenant sur quatre cols un régime moteur à "375-390" watts, sans faiblir, en accélérant quand il le souhaite. Il franchit en tête l'Aubisque, le Tourmalet, Aspin, Peyresoudre en 5 h 32 min 2 s en concluant victorieusement, frais comme un gardon, les 197 km à 35,59 km/h de moyenne.

Cette étape Pau - Bagnères-de-Luchon est un classique du Tour (1980, 1983, 1998). En 1998 (...), Marco Pantani avait laissé gagner Massi en 5 h 49 min 40 s pour 196,5 km à 33,72 km/h : presque deux km/h moins vite ! Autre référence battue pour Thomas, le lendemain : le col de Menté, 9,3 km à 9,1 %. En 28 min 20 s, avec une puissance mutante de 442 watts, il grave son nom sur les tablettes, sur le grand plateau dans les derniers 300 mètres, sur une pente à 8 %. Là, il ressemble davantage au duo Rasmussen-Contador des grandes années. C'est la deuxième comparaison notable : elle assomme plus qu'elle ne fait peur.

Avec 430 watts de moyenne, les favoris ont avalé, comme à la grande époque, le col de Peyresourde en 26 min 45 s. Depuis Saint-Aventin, ils ont concédé 34 s seulement au temps irréel réalisé par Contador et Rasmussen de 2007 (23 min 26 s) qui essayaient de se lâcher à grands coups de sprints comme autant d'injections. Sur la lancée, Froome et Wiggins ont ensuite accéléré dans la dernière montée de Peyragudes. Ils ont développé 470 watts pendant 7 min 3 s (2,95 km à 7,93 %). Froome a attendu Wiggins, il avait les moyens de s'approcher des 500 watts. S'il ne bride plus son moteur pour attendre son leader, il peut rentrer dans la caste des recordmen du monde des meilleurs "performers" de tous les temps : Pantani, Armstrong, Contador.

La troisième comparaison, qui fait plus sourire qu'elle ne surprend, est à mettre à l'actif d'un suspendu "plus fort qu'avant", titre d'un livre de Virenque. Alejandro Valverde a gagné à Peyragudes en réalisant une perf identique à celle de Vinokourov en 2007. Les deux coureurs, à cinq ans d'intervalle, ont gravi le port de Balès et Peyresourde au même niveau de puissance, avec 385 watts puis 405 watts pour les deux cols. Vinokourov, parti dans l'échappée matinale, comme Valverde, l'avait emporté en solitaire à Loudenvielle. Le Kazakhe avait été exclu ensuite au motif d'une transfusion sanguine.

La dernière comparaison qui nous excite plus qu'elle ne nous bluffe. En 2011, après seize années de curée aux produits lourds, nous nous réjouissions enfin, dans ces colonnes, de l'absence de coureurs à plus de 410 watts de moyenne sur les derniers cols des étapes de haute montagne : le seuil de détection du poison. Las ! Ils sont à nouveau quatre cette année à avoir franchi cette barre : Wiggins, Froome, Nibali et Van den Broecke, avec 415 watts pour les trois premiers du classement et 410 watts pour le quatrième. Vivement 2013 et le come-back de Contador et sa viande contaminée ! D'ici là, pas sûr qu'on aura trouvé l'antidote.


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Cette page a été mise en ligne le 23/07/2012