Actualité du dopage

Les Ergogénies (#10)


15/07/2023 - cyclisme-dopage.com - Antoine Vayer - #TeamWattthefuck

Floyd Landis 2006-2016-2023

Tout le monde se souvient de l'ascension du col de Joux-Plane 2006 et de l'échappée incroyable de Floyd Landis, qualifié à son issue de génie, « comme Eddy Merckx » à Combloux. Il a gagné ce Tour 2006 avant d'être déclassé pour dopage. Il m'a contacté en 2016, pendant la dernière semaine du Tour. Je travaillais pour Le Monde. J'ai passé cette semaine-là avec lui à Paris et nous avons mangé avec Rasmussen notamment. Il est devenu un de mes amis. Il a été exclu de la salle de presse où je l'avais emmené le dernier jour car il n'était pas accrédité ! J'ai fait une de mes chroniques avec lui : « Pour Floyd Landis, ce Tour de France est dément ». Elle faisait suite à une autre de mes chroniques qui lui était consacrée, 10 ans auparavant pour Libération, « Pas de «socquette légère» en montant vers La Toussuire ». Ces deux chroniques sont reproduites ci-dessous.

En 2006, j'avais été le seul à dénoncer dès le lendemain la performance de Floyd, après avoir dénoncé chaque année depuis 1999 celles de Lance Armstrong, après avoir aussi dénoncé, seul encore, Michael Rasmusssen et Alberto Contador, tous suspendus par la suite. Je suis semble-t-il pour l'instant le seul à dénoncer celles de Tadej et de Jonas. Attendons de voir qui prendra ma roue. La maladie du vélo c'est l'amnésie, même pour la presse, mais cela peut revenir. Je l'espère. On est forcément seul quand on se drogue, car la came isole de force, me direz-vous. Mais je ne bois pas ni ne me drogue. Floyd a beaucoup bu, lui. Pendant l'étape en bénéficiant de dizaines de bidons depuis la voiture de son équipe, étant échappé très vite. Après, il a bu du champagne puis de la bière. Il a déprimé longtemps. Il va vraiment bien maintenant. Il avait expliqué officiellement que son contrôle positif avait été dû à une soirée trop arrosée (encore une excuse bidon, voir ma chronique #8).

Moi, il m'a tout dit et plus encore. J'ai enregistré nos entretiens, des heures. Je n'ai jamais débriefé ces enregistrements ni ré-écouté. Je le ferai un jour.

Pas de volonté politique ou institutionnelle

Cette année sur ce Tour 2023, j'ai aussi enregistré un long entretien avec Marc Kluzinski, comme en 2021. Ce pharmacien incroyable et passionné tient depuis des années la rubrique dopage de Sport et Vie. Beaucoup m'ont demandé : « Mais que prennent-ils en 2023, quelles méthodes, comment expliquer l'inexplicable ? Où sont les preuves autres que celles des mesures de performances ? ». Je n'ai pas pris le temps non plus de débriefer l'enregistrement avec Marc. Il ressemble à celui d'il y a deux ans (relisez ma chronique De l'hémoglobine de synthèse dans le peloton du Tour du renouveau 2021 ?), avec d'autres produits et méthodes phares, néanmoins. Je le ferai peut-être. Marc comme moi, nous savons combien les watts sont significatifs. Nous savons aussi que la volonté politique n'est absolument pas là, ni les moyens idoines, alors que ce serait si simple. On pourrait tout trouver, tout. Voyez la simplicité avec laquelle Floyd se changeait le sang (voir chronique du 23 juillet 2016 dans Le Monde).

pour des transfusions autologues. Comme d'autres, s'il refaisait le Tour cette année, il utiliserait quasiment les mêmes produits, hors compétition et en course, avec quelques autres en plus. Marc, comme moi, sait que le médecin qui a fait les premières transfusions autologues dans le sport, il y a des dizaines d'années, a quasiment trouvé une méthode de détection dès le départ, mais qu'on ne veut pas se donner les moyens de trouver cela. Ni ce type de supercherie, ni les autres. Ou bien à la marge, pour donner l'illusion que la lutte antidopage fonctionne.

Ergogènies

Alors les dopeurs jettent en pâture de temps en temps, aidé par certaines équipes de dopés des produits écran comme l'aicar, la lévothyroxine, les cétones et dernièrement comme en ce début d'année, carrément le bicarbonate ! Cela occupe le devant de la scène, hors Tour. Cela masque le reste. Cela permet de faire quelques articles puis des démentis. On se perd en conjectures avec le matériel, la Préparation Neuro Linguistique, le « Landis c'est has been », etc. La médecine a fait des progrès aussi. Nous sommes en 2023. Aux ergogènes, « substance qui améliore ou est susceptible d'améliorer le travail musculaire et, de ce fait, les performances sportives », on oppose des phénomènes qui seraient d'autres génies, plus forts que Floyd, des Lance Armstrong. Ceux qui veulent, peuvent. Et ceux qui ont les moyens, ont accès à des méthodes et produits formidables d'efficacité, en marge de tous les contrôles car ils sont sûrs et certains de ne jamais se faire prendre.

Insane

Comment est-il possible de battre tous les records ? Comment est-il possible en 2023 de monter hier encore le col final du Colombier en 44'33 sec pour 429 watts Etalon à 23,78 km/h avec Pogacar en explosant son propre record qui datait de 2020 de presque deux minutes. Comment est-ce possible après avoir grimpé les jours précédents Marie Blanque à 486 Watts Etalon, le Tourmalet en cours d'étape à 429 WE, Cambasque à 462 WE, la fin du Puy de Dôme à 474 WE ? Comment est-il possible aujourd'hui qu'une seule équipe roule avec le Français Laporte lâchant 80% du peloton, relayé par ses autres équipiers qui font monter l'avant dernier col de la Ramaz à 409 Watts Etalon (!). Comment est-il possible ensuite que deux Armstrong montent le col de Joux-Plane à la même allure record que Pantani, au terme d'une étape folle. Ils n'étaient qu'à une seconde du record de l'Italien à 2,45 km du sommet. Vingegaard et Pogacar réalisent finalement 432 watts étalon en 33min52sec, à 20,62 km/h pour les 11,64 km d'une ascension à 8,5%. Le tout en temporisant dans le final et en étant bloqué par les motos après une énième accélération sur le sommet. Sans leur surplace incroyable et les motos, ils battaient Pantani à plate couture avec 450 watts Etalon mutant. Tout le monde a vu cela. Comment est-ce possible ?

Les temps intermédiaires de l'ascension de Joux Plane 2023, comparés à Marco Pantani en 1997
Source : Frédéric Portoleau - 15/07/2023

Le Tour va se jouer aux bonifications entre ces deux mutants, des ergogénies, qui comme dans les films Marvel vont se cogner comme des sourds sans jamais se blesser, en se mettant des peignées en rigolant, sans suer, sans respirer ?

Comment est-il possible de ne pas réagir ?

C'est pourtant possible, ils ont fait tout ça en mondiovision.

Sans réaction, sauf la mienne ?

David Gaudu et Guillaume Martin ont monté Joux Plane en 39min05s à 368 watts Etalon, 5 minutes 13 secondes plus lentement que les deux Armstrong, qui n'ont montré aucun stigmate de fatigue, et avec 64 Watts Etalon den moins. Ils ont perdu 27 secondes par kilomètre d'ascension sur les 11,64 qu'elle comportait. Les effets de la fatigue pour eux étaient bien visibles. C'est pour ce genre de coureurs qu'il faut réagir. C'est urgent.

Chronique du 14 juillet 2006 dans Libération

Pas de «socquette légère» en montant vers La Toussuire. Par A.Vayer

Professeur de sport et ancien entraîneur de Festina, Antoine Vayer dirige AlternatiV, une cellule de recherche sur la performance, à Laval (Mayenne). Il chronique le Tour pour Libération.

Le vélo ce n'est pas des mathématiques ? Ben, si, désolé. Ecrire des chroniques «à l'ancienne» pleines de poésie nous enchanterait. Mais le dopage, omniprésent dans les artères des coureurs vraiment performants sur ce Tour 2006, fausse tout. Leurs préparations sont planifiées. Certes, il existe quelques ratés. En 1998, à

Trieste, le Giro est promis à Alex Zülle. Le sang savamment bourré d'hormones diverses, instillées méthodiquement selon des protocoles réfléchis permet au Suisse à 53,771 km/h de moyenne de battre le record du monde de vitesse dans un contre-la-montre de plus de 40 km, devant Honchar, notre éphémère maillot jaune ukrainien vainqueur cette année à Rennes et Montceau-les-Mines. Le temps réalisé par Zülle avait été prévu à quelques secondes près, grâce au logiciel «prédivélo». Ce record sera battu en 2000 par Armstrong à Mulhouse et par Millar en 2003 à Nantes. Mais voilà, le soigneur personnel de Zülle, qui se proclame «bras droit du docteur Ferrari» ne communique pas avec le toubib de l'équipe, Fernando Diaz Jimenez. Alex aurait donc eu droit avant la grande étape de montagne à deux doses de corticoïdes, touche finale de la préparation. Une de trop ? Les «corticos» dont le «taux légal» a été encore relevé cette année agissent formidablement pour les efforts intenses, dits en «anaérobie». Mais trop chargée de ces antidouleurs , l'horloge du coureur suisse se «déréglera». A 24 heures près, les produits n'auront pas eu le temps de «passer» dans l'organisme. Les fréquences cardiaques resteront «scotchées» à 160 pulsations par minutes là où elles auraient dû évoluer à 190 dans le col décisif. On dit dans le jargon que le cycliste est «bloqué», au lieu d'«avoir la socquette légère». Ou bien «blocatos», l'expression qui a été utilisée par les coureurs experts après la défaillance de Landis à La Toussuire. Elle a pourtant été expliquée comme étant une fringale de cadet. L'Américain a perdu dans La Toussuire une minute par kilomètre pour refaire son retard le lendemain en pédalant, pendant plus de 100 bornes, trente secondes plus vite par kilomètre qu'un peloton de 80 coureurs. «Débloqué», il a pédalé seul vers Morzine en «négative split» : plus vite que ses adversaires, pourtant protégés par leurs équipiers, alors que la fatigue aurait dû le faire décliner. Alors, la veille, c'était une fringale dans cette équipe suisse Phonak hyperorganisée ?

Plutôt que prendre le sang préparé d'un copain, on se pompe donc maintenant soi-même 1,5 litre de sang en séparant les cellules rouges du plasma et en conservant le tout à -80°. On prend soin de mettre du glycérol avec les globules pour ne pas casser les membranes. Sinon, c'est comme le jus de la viande que vous décongelez... Mais certaines équipes n'ont pas pris le risque de réinjecter le sang avant et pendant ce Tour. Elles ont donc été inexistantes : les coureurs pédalant à 50 watts en deçà de leur valeur usuelle. C'est énorme

Autre nouvelle : la fabrication des anticorps nécessaires à la détection des hormones de croissance vient d'être abandonnée par un laboratoire. Le marché de la lutte antidopage a été jugé trop peu rentable. Ces hormones parfaitement indétectables économisent le glycogène dans le muscle, principal pourvoyeur de l'énergie, et font fondre les graisses, principal ennemi des coureurs. Elles ont pu nourrir moult d'entre eux, avec de l'insuline et des anabolisants masqués grâce à des patchs transcutanés de testostérone. Des coureurs, pouvant être de chez nous et presque décharnés ont pu ainsi tenter de suivre les meilleurs en «poussant les watts», cette mesure mathématique de la puissance musculaire qu'on peut lire de manière directe avec des compteurs embarqués sur le vélo (1).

Pendant huit minutes sur les pentes de L'Alpe-d'Huez, Landis aura dépassé l'Armstrong de la grande époque 2001 quand il moulinait comme un dératé à 90 tours par minute en cadence de pédalage sur les mêmes pentes ! On est bien aux alentours des 6,7 watts/kilo de poids de corps nécessaires selon le docteur Ferrari pour gagner un tour « moderne ». Des mathématiques, pas de la poésie, on vous dit. Mais contrairement à Cyrano le vélo pactise encore avec la sottise. Il n'emportera même pas la seule chose qui faisait son identité : son panache.

(1) L'intégralité des calculs de ces mesures de puissance permettant de comparer les performances sur l'ensemble des cols du Tour est réalisée par l'ingénieur Frédéric Portoleau. (...)

Antoine Vayer

Chronique du 23 juillet 2016 dans Le Monde

«Pour Floyd Landis, ce Tour de France est « dément ». Par A.Vayer

Dix ans après sa « chevauchée fantastique » dans le col de Joux-Plane, l'ancien coéquipier de Lance Armstrong se confie à notre chroniqueur Antoine Vayer, ex-entraîneur de Festina

Quel meilleur témoin trouver sinon le col final de l'étape du 23 juillet, la terrible ascension de Joux-Plane, 11,6 km à 8,5 % ? C'est la cerise sur le gâteau du Tour 2016 et le dernier de nos huit radars qui permettent de flasher les tricheurs en excès de watts. Il y en a pourtant un autre. Il s'appelle Floyd Landis. C'est le 10e anniversaire de la « chevauchée fantastique » (L'Equipe) du « héros d'un Tour pas comme les autres » (Le Parisien) sur une étape similaire ponctuée par ce col mythique.

Vendredi, pendant que Bardet apportait aux Français leur première victoire d'étape, nous avons passé la journée avec lui. Les meilleurs témoins, ce sont les vainqueurs, même déclassés, de la Grande Boucle. Floyd l'Américain s'était émancipé fin 2004 de l'équipe US Postal de Lance Armstrong, où il officiait en tant que « lieutenant aux jambes de pierre », pour l'équipe Phonak et un contrat d'un demi-million de dollars par an.

Poches de sang et hormones à gogo

Au contact permanent du fameux dottore Ferrari, Floyd a pu, comme les autres membres de l'US Postal, se gaver de poches de sang réinjecté et d'hormones de croissance. Il retient la recette sans laquelle il n'aurait pas pu suivre les puissances imposées des leaders, voire se serait anémié. Ces deux méthodes, en 2016, sont toujours indétectables au contrôle antidopage et au suivi biologique pour qui sait les utiliser correctement, en micro-injections.

Armstrong n'a cessé, en 2005, de veiller à ce que Floyd ne gagne pas. Il est parvenu à l'en empêcher avec l'aide d'autres lieutenants de US Postal, tout comme en possède Froome avec sa dream team Sky (Chris est plus gentil avec Richie Porte, parti chez BMC). Lance gagne son 7e Tour en 2005, Floyd termine 9e. En 2006, Lance prend sa retraite. Le Tour commence avec l'affaire Puerto et les poches du docteur Fuentes : Basso, Ullrich, Mancebo et Vinokourov, respectivement 2e, 3e, 4e et 5e du Tour 2005, prennent la porte.

Floyd a un boulevard devant lui, des poches prêtes, des hormones à gogo. Il prend le maillot jaune dans les Pyrénées, le laisse sciemment à l'Espagnol Pereiro, parti dans une échappée fleuve, le reprend à l'Alpe-d'Huez, puis, déshydraté, défaille le lendemain et perd 10 minutes sur le Danois Rasmussen. Mais le surlendemain, ô miracle, il s'échappe 130 km, suivi par la voiture de l'équipe avec les 100 bidons de la formation. Il met l'intégralité du peloton à 5 minutes en brûlant les watts dans les quatre cols de l'étape : 420, 389, 422 et 395 watts à Joux-Plane. Ce renversement est salué comme l'exploit du siècle.

– Pensez-vous qu'un vainqueur du Tour puisse être « clean » ?

– Je ne pense pas, je sais que non

Le ciel tombe sur la tête du cyclisme quand il est déclaré contrôlé positif le mercredi suivant son sacre. Floyd témoignera devant la justice américaine, provoquant l'ire d'Armstrong. Ils ont néanmoins un point commun. A la question : « Pensez-vous qu'un vainqueur du Tour puisse être “clean ?” », il répond : « Je ne pense pas, je sais que non. » Il a savouré l'émotion unanime et l'hystérie de liesse collective suscitées par la dramaturgie de l'étape de vendredi, au Bettex, identiques à celles qu'il avait provoquées en 2006. Il sait. Au vu des exploits individuels et collectifs du Tour 2016, bien supérieurs à ceux du Tour 2005 (le dernier de l'ère Armstrong), aux stigmates et attitudes des coureurs et du « milieu » qu'il connaît parfaitement, un seul mot vient à la bouche de Floyd : « insane ». Dément.

Antoine Vayer


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Cette page a été mise en ligne le 15/07/2023