Actualité du dopage

Ont-ils un cerveau ? (#5)


06/07/2023 - cyclisme-dopage.com - Antoine Vayer - #TeamWattthefuck

Ont-ils un cerveau ces coureurs qui comme Vingegaard sont capables de gravir la partie finale de Marie Blanque, 5,33 km à 10,32%, en 16min13sec. C'était notre radar 1 du Tour (voir chronique # 2). C'est 49 secondes de moins que le meilleur des (pires) temps estimés (17minutes et 02 secondes) que nous n'osions imaginer. En Watts Etalon, c'est 486, soit 7,1 w/kg ! C'est une performance de mutant, du niveau Pantani qu'on pensait ne plus jamais voir. Nous avons tenu compte pour calculer du revêtement parfait - il a été refait il y a quelques semaines -, et d'une foultitude de paramètres chaque année plus fiables.

A-t-il un cerveau ce Jay Hindley ? Le vainqueur de l'étape et nouveau maillot jaune a roulé, échappé, quasiment aussi vite que le Danois sur le final. Inconnu en 2019, sans résultats probants avant, il est sorti de la longue période de confinement sans contrôles antidopage possibles pour terminer 2ème du Tour d'Italie 2020 avec 414 Watts Etalon de moyenne. L'an l'an passé, il a raflé le maillot rose avec 420 Watts Etalon après une autre année blanche en 2021. Au Tour de l'Avenir 2016, il terminait 5ème. Dans la Croix de Fer, il terminait à 1 minute 9 secondes de Gaudu avec 366 Watts Etalon. Il va ridiculiser le breton cette année. Quatrième du Dauphiné, il est juste un peu en dessous, mais si peu, de Vingegaard. Il pourrait, comme lui, pénétrer la zone miraculeuse des plus de 430 Watts Etalon sur cette édition !

Ont-ils des cerveaux ceux qui ne veulent pas comprendre cela et le justifient avec des arguties d'un autre siècle, toujours les mêmes ?

Ont-ils des cerveaux, les docteurs Gert Wielink et Peter Verstappen de feu l'équipe de dopés monstrueux des Rabobank qui encadrent toujours Vingegaard chez Jumbo ? (voir chronique # 1)

Ont-ils un cerveau et qu'en font-ils ?

Ont-ils un cerveau les Gaudu qui réalisent 17min15sec sur le final de Marie Blanque, 454 watts Etalon, limite suspect, en forme mais ne qui ne dépasse pas ses performances du passé et qui passera sans doute par la fenêtre. Ont-ils un cerveau les Pinot qui réalisent 17min30sec, 448 watts Etalon. Ont-ils un cerveau les Bardet et consorts à leur niveau habituel et déjà passés par la fenêtre au bout de quelques jours, qui ne réagissent pas ouvertement, condamnés à rester dans le ventre mou du peloton de tête et à espérer s'échapper pour ronger un os avec une victoire d'étape, comme on les sait largués pour le classement général ?

Ont-ils un cerveau leurs membres d'encadrement respectifs qui constatent les dégâts pour la crédibilité du cyclisme avec de telles « performances » ? On comprend que tous ont un compte en banque qui se remplit plus ou moins. Tous coupables, tous complices ?

Ont-ils un cerveau les commentateurs « experts », anciens dopés qui inventent ce qu'ils disent et cachent sciemment ce qu'ils voient et savent ?

Ont-ils un cerveau les journalistes qui déplacent les sujets pour parler gazette ?

Ont-elles un cerveau les instances qui devant les évidences ne cherchent pas à trouver des preuves qui seraient plus “légales” que les Watts Etalon ?

Ont-elles un cerveau ces fédérations qui couvrent les tricheurs ?

Ont-ils des cerveaux ces acteurs du spectacle qui tour à tour sont aveugles, sourds et muets ?

Ont-ils un cerveau les organisateurs et managers qui étaient tous là en 1998 ? Je me rappelle de l'actuel directeur et VRP du Tour, Christian, journaliste alors qui hurlait au passage de Raimondas Rumšas derrière Lance Armstrong sur un contre-la-montre. Jetez un œil à la fiche wikipedia de Raimondas pour comprendre. Celle d'Armstrong, ce n'est pas la peine. Celle de Christian, vous pouvez imaginer comme elle est belle.

Ont-ils un cerveau ?

Un cerveau peut-être, mais de la mémoire, non. L'amnésie est la maladie du cyclisme.

Alors, pour la rafraîchir cette mémoire, voici mon audition in extenso de la commission d'enquête sénatoriale sur l'efficacité de la lutte contre le dopage.

Je dis et démontre, ipso facto, documents à l'appui, que la (fausse) naïveté est le fond de commerce des tricheurs et de ceux qui les couvrent. Mon interlocuteur, le sénateur Jean-François Humbert, souvent agressif, répond par cette phrase à une de mes questions : « Nous avons la naïveté de le penser ».

Les politiques ont-ils un cerveau ?

Et vous, lecteur, avez-vous un cerveau ? Lisez !

Audition de M. Antoine Vayer, ancien entraîneur d'équipe cycliste professionnelle et professeur d'éducation physique et sportive

11 avril 2013

M. Jean-François Humbert, président. - Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.

Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Antoine Vayer prête serment.

M. Antoine Vayer, ancien entraîneur d'équipe cycliste professionnelle et professeur d'éducation physique et sportive (EPS). - Je me réjouis d'être parmi vous. La lutte contre le dopage est un sujet que je n'aborde pas avec cynisme. J'ai prêté serment. Albert Camus, membre de l'équipe de football du Servette de Genève, avait coutume de dire qu'on parlait du dopage comme de la misère : la plupart du temps, on n'y connaît rien. Je suis immergé dans le problème depuis des années : en tant que professeur d'EPS, puis en tant que coureur, puis entraîneur de l'équipe Festina. Mes activités concernant la lutte antidopage me donnent également le statut de témoin. Ce n'est pas la première fois que je suis auditionné sur le dopage, sans résultat concret. J'espère que cette fois il en ira différemment.

Avant d'entrer chez Festina, j'étais un passionné de cyclisme. Une passion qui rend aveugle un certain temps, mais pas sourd ni muet. Lors des évènements de 1998, j'ai expliqué la situation à un conseiller de Marie-Georges Buffet. Il croyait l'affaire terminée. Je l'ai détrompé. Je voulais faire savoir ce qui se passait. La lutte antidopage est le dernier souci des gens qui se dopent. Les sportifs aiment le risque, qui les excite.

Je suis allé à deux reprises rue de Varenne. J'ai rencontré un conseiller de Lionel Jospin. La première fois, en 1999, il voulait absolument me « récupérer » pour que je travaille sur le sujet. La deuxième fois, il faisait ses cartons et s'est dit désolé...

J'ai demandé à l'AFLD de financer une étude sur les watts. M. Roux-Comoli m'a reçu, mais nous avons fait l'étude nous-mêmes. J'ai déjeuné avec Marie-Georges Buffet au ministère, avec Christophe Bassons. J'ai prédit devant elle comment Miguel Martinez allait gagner les Jeux olympiques et il a gagné. Elle parlait déjà du rugby à cette époque. En 2001, j'ai élaboré la charte « 100 pour 2 000 », qui a été signée par 75 députés, des personnalités de la culture et du sport et présentée à l'Unesco.

J'ai transmis à M. Rémoleur, le conseiller de Mme Bachelot un dossier sur les profils physiologiques, qui a été repris presque in extenso dans L'Équipe. Dans la foulée, j'ai été reçu à l'AFLD par M. Rochcongar, qui a fait une synthèse des dossiers.

L'omerta et la camorra règnent dans le domaine du dopage. Depuis 1999, j'ai écrit dans la presse nationale : pour Le Monde en 1999, L'Humanité en 2001, Libération pendant sept ans, et j'écris à nouveau des chroniques dans Le Monde. En 2001, j'ai été attaqué en diffamation suite à mon article intitulé « À qui le Tour ? ». Tout y était dit : sur Armstrong, Jean-Marie Leblanc, Philippe Sudres notamment. Depuis, Jean-Marie Leblanc m'a expliqué que l'action en justice visait à me faire taire.

En 2007, Bernard Hinault m'a menacé suite à un article sur « les ex ». Si je continuais d'écrire, cela irait mal pour moi... J'ai aussi reçu un mail de Christophe Moreau, qui fera l'objet de l'un des futurs portraits du magazine « Tous dopés, la preuve par 21 » : les menaces visant à me faire taire sont à peine voilées. Je suis droit dans mes bottes. Dans ce milieu, on cherche à nuire à ceux qui parlent.

En 1999, Pierre Ballester acceptait mon article « Il faut une révolution ». Depuis, rien n'a bougé. La révolution, c'est aussi se couper la tête... J'ai écrit au sujet des journalistes dits sportifs. Dès 1999, L'Equipe savait tout sur Armstrong, et titrait cependant : « Sur une autre planète », « Pour un nouveau siècle ». Le jour de l'exploit de Floyd Landis, c'est « la chevauchée fantastique », alors que tout le monde est au courant de ses pratiques. Après « Contador le matador », le titre va changer : « Un virage est pris ». Les Unes tournent comme on retourne sa veste... La naïveté est le fonds de commerce du dopage : le public adhère aux grands poncifs et les coureurs se disent « si les autres le font, je fais comme eux ». On entend aussi dire : « je veux gagner plus que 35 000 euros par an », « les contrôles ne marchent pas vraiment », et « que vont penser mes enfants si je ne gagne rien ? ». Voilà l'équation.

La lutte antidopage est une histoire de résistance. Nous aimerions être aidés de manière institutionnelle, car nous avons les clés du problème. Je fais partie d'un groupe de travail « Change cycling now », qui s'est réuni début décembre à Londres. Nous avons réfléchi à des solutions, autour de quatre thèmes : la création de commissions vérité réconciliation, l'indépendance des contrôles antidopage, un changement d'hommes aux postes clés de l'UCI et d'autres instances, et une évolution des mentalités.

Avec d'autres résistants, je réalise un magazine qui sera publié dans le monde entier, en Allemagne, en Angleterre, en Australie, aux États-Unis. « Alle gedopt ? » dans la version allemande, « Tous dopés ? » en français, apportera plus d'éléments que des rapports de 1 000 pages et que des contrôles de produits. Nos méthodes pour savoir si un athlète est dopé ne sont pas prises en compte ; elles sont pourtant fiables.

Je vous communique également, avec l'autorisation de M. Delegove, premier magistrat de l'affaire Festina, la lettre qu'il a rédigée à ma demande, dans laquelle il établit un parallèle entre le procès Festina et l'affaire de l'Usada.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - M. Christian Prudhomme - qui n'était pas directeur du Tour entre 1995 et 1998, au moment de l'affaire Festina - nous a dit que l'organisateur n'était pas informé de ce qui se passait dans les caravanes. Qu'en pensez-vous ?

M. Antoine Vayer. - Bien sûr que si. J'envoyais moi-même des messages pour dire ce qui se passait !

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - D'après vous, il ne dit pas vrai ?

M. Antoine Vayer. - C'est dans son rôle de ne pas dire vrai. Que lui importe si les sportifs se dopent ou non ? Pour lutter contre le dopage, il faut faire appel à des gens de conviction, pas d'opportunité.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - D'après vous, il était donc informé de ce qui se passait chaque soir ?

M. Antoine Vayer. - Il ne connaissait peut-être pas le déroulement précis des choses, mais il était bien sûr au courant. Comment en serait-il autrement ? Moi-même, je le savais : il ne pouvait qu'être informé !

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Comment êtes-vous devenu entraîneur de Festina ? Dans quelles conditions avez-vous quitté votre fonction d'enseignant d'EPS ?

M. Antoine Vayer. - Je suis parti dans de très bonnes conditions. Passionné de vélo, j'ai refusé de passer professionnel pour finir mes études d'éducation physique et sportive à Bordeaux et je suis devenu le plus jeune professeur de gymnastique en activité. Puis j'ai couru, et j'ai entraîné. J'ai créé le premier CPEFHN de Flers, une déclinaison des pôles France, avec des athlètes qui ont fait le Tour de France. Une des sportives que j'ai entraînées est devenue championne du monde. À l'époque, en 1995, il n'y avait pas de poste d'entraîneur à proprement parler : j'ai été le premier à être embauché à ce titre par Bruno Roussel. Le rôle de l'entraîneur est de s'occuper d'un athlète au point de vue technique, physique et psychologique. Je travaillais avec des sociétés comme Polar en Finlande, SRM en Allemagne, et j'ai apporté des innovations dans les échauffements, dans les reconnaissances de cols, et sur la technologie.

Dès le départ, on m'a prévenu : « Tu es entraîneur, pas docteur ». Et plus précisément encore, « tu peux être le meilleur entraîneur du monde, tu ne vaux rien comparé aux docteurs ». Au fil des réunions, j'ai compris. On me demandait gentiment d'aller dans la pièce d'à côté quand on abordait certaines questions...

En 1998, je n'ai pas été auditionné par la police. J'ai écrit moi-même au juge Keil, et mon témoignage a sans doute contribué à la venue à Lille de Richard Virenque. Dans ce procès fort didactique, tout était dit. Hélas, rien n'a bougé depuis. La presse n'a retenu que le « oui » de Virenque...

M. Jean-François Humbert, président. - Quelles sont les preuves de ce que vous affirmez ? Vous nous renvoyez à des dossiers, mais c'est ici que nous attendons des réponses.

M. Antoine Vayer. - J'ai vu beaucoup de choses.

M. Jean-François Humbert, président. - Mais avez-vous des preuves ?

M. Antoine Vayer. - Je peux témoigner de ce que j'ai vu et des preuves matérielles figurent dans les fichiers que je vous ai apportés.

M. Jean-François Humbert, président. - Comment pouvez-vous affirmer, par exemple, que Christian Prudhomme savait ?

M. Antoine Vayer. - Je ne peux pas le prouver. Il a tout de même répondu au sms dans lequel je l'alertais sur le dopage de certaines équipes. Christian Prudhomme est immergé dans un milieu qui, à une époque, ne parlait que de dopage. Il connaît suffisamment le cyclisme pour savoir la vérité sur les exploits d'Armstrong. Si vous connaissez l'athlétisme et que vous voyez Christophe Lemaître faire 9,5 secondes, vous tirez pareillement vos conclusions.

M. Jean-François Humbert, président. - Un sms ne suffit pas. Quelles sont les preuves de ce qui se passait dans les chambres ?

M. Antoine Vayer. - Il n'y a pas de preuves. Mon intime conviction est que Christian Prudhomme ne pouvait que savoir.

M. Stéphane Mazars. - Mme Buffet vous a parlé du rugby. Vous avez évoqué le cas Martinez. Pourriez-vous nous en dire plus à ces sujets ? Avez-vous des preuves ?

M. Antoine Vayer. - Nous discutions librement. Les ministres ne sont-ils pas bien informés ? Mme Buffet trouvait la situation dramatique dans le rugby. C'était juste après 1998, en 2000, avant les Jeux olympiques.

Avant 1998, j'avais évoqué devant des journalistes les protocoles de clenbutérol pris par les coureurs de Festina, mais ils n'étaient pas du tout intéressés. Le clenbutérol, devenu célèbre grâce à Contador, se prenait par cures pyramidales de dix jours : un cachet le premier jour, deux le second, jusqu'à cinq le cinquième jour, puis quatre le sixième jour, trois le septième... Le médecin belge de l'équipe, Eric Ryjkaert, aujourd'hui décédé, me recommandait de ne pas trop pousser les sportifs à certains moments. Il faut respecter le cycle adaptation-assimilation-accommodation, disait-il. On voyait bien la modification musculaire. Le coeur de ces sportifs battait à 100 la nuit. Le soigneur testait les pilules pour connaître la fenêtre de détection.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - En 1998, le président de l'UCI a affirmé que Festina est un cas isolé.

M. Antoine Vayer. - En effet.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Étiez-vous déjà persuadé du contraire ?

M. Antoine Vayer. - Tout à fait. Pendant le Tour 1998, après les arrestations et les premières perquisitions, un vent de panique a soufflé sur la caravane et les produits qui remplissaient les coffres des voitures ont été jetés à la mer dans les côtes d'Armor ! Ensuite, l'EPO circulait, des coureurs qui n'en avaient plus en demandaient aux autres, etc.

M. Jean-François Humbert, président. - Avez-vous assisté à des échanges, vu des photographies, des vidéos, ou sont-ce de simples rumeurs ?

M. Antoine Vayer. - Convoquez Pascal Hervé, le lieutenant de Richard Virenque. Il accepterait sans doute de parler librement aujourd'hui. Les coureurs me parlaient et je voyais. Dans un Paris-Nice, je suis entré un soir dans une chambre : tous les coureurs avaient une perfusion dans les veines.

M. Jean-François Humbert, président. - C'est quelque chose que vous avez vu ?

M. Antoine Vayer. - Oui. Je suis aussi entré dans la chambre d'un coureur australien, qui vient de démissionner de son poste de vice-président de la fédération australienne. Il s'injectait de l'EPO. « Toi aussi ! », me suis-je exclamé. « Il faut bien », m'a-t-il répondu...

Il m'est arrivé que l'on verse du pot belge dans mon café, comme dans celui de la plupart des gens de l'équipe Festina. Ou encore, j'étais à l'hôtel Concorde Lafayette avec les cinq leaders de l'équipe Festina : j'ai vu le pot belge extrait de tubes de Sargenor. Ce soir là, j'ai participé.

M. Jean-François Humbert, président. - Avez-vous participé à la fabrication ou à la consommation du produit ?

M. Antoine Vayer. - Ni l'une ni l'autre, mais j'étais présent. J'étais contre le dopage, c'est une des raisons pour lesquelles on m'a embauché. Je travaillais en confiance avec le seul coureur qui ne s'est jamais dopé, parce qu'il avait des convictions, Christophe Bassons.

Ces questions m'ont déjà été posées lors du procès Festina. À la fin, on voulait que je reste dans l'équipe, avec Christophe Bassons. J'ai pris un avion pour Barcelone, j'ai rencontré l'avocat de Festina, qui m'a dit « Antoine, le dopage, c'est toi. Nous connaissons ton influence sur l'équipe ». Non seulement il y a une volonté de nuire, mais on retourne aussi les accusations. Le système fonctionne par projection : on accuse les autres de ses propres turpitudes...

M. Jean-François Humbert, président. - Que faudrait-il faire pour que cela s'arrête ?

M. Antoine Vayer. - Il faut confier la lutte aux résistants. Je veux bien, en tant que fonctionnaire de l'État, être détaché et remplacer M. Genevois : il n'est pas compétent, il n'a pas les convictions nécessaires et n'est pas à sa place. Il faut connaître le dopage.

Que faire ? Changer le statut des sportifs professionnels en France, à l'instar de celui des intermittents du spectacle, raccourcir de nombreuses procédures de contrôle ou relatives à certains agissements. Il y a beaucoup à faire.

M. Jean-François Humbert, président. - Concrètement ?

M. Antoine Vayer. - Je vous l'ai dit, je suis prêt à m'impliquer. J'espère que le rapport sera productif. Pendant des années, j'ai dit ce qu'il fallait faire, sans résultat.

M. Jean-François Humbert, président. - En dehors de l'entrée en résistance, je n'ai pas entendu de pistes et de réponses de votre part.

M. Antoine Vayer. - Les fédérations sont sous la tutelle des ministères, France 2 est une chaîne publique... La première chose à faire est de créer une commission vérité et réconciliation. En échange de la vérité, les athlètes seraient amnistiés, un peu comme en Afrique du sud. C'est un moyen de tout savoir et cela soulagera beaucoup de monde. Si l'athlète ne dit pas la vérité, il doit être sanctionné. C'est ainsi que les États-Unis ont procédé avec l'affaire Armstrong : dans ce domaine, nous avons à apprendre d'eux.

Il faut aussi une indépendance des contrôles antidopage. Le mouvement sportif ne doit pas être impliqué, il n'a rien à faire dans la lutte antidopage !

M. Jean-François Humbert, président. - Qui, sinon lui, doit mener cette lutte ?

M. Antoine Vayer. - Des gens compétents. Je veux bien en faire partie.

M. Jean-François Humbert, président. - L'AFLD ne joue-t-elle pas un vrai rôle ?

M. Antoine Vayer. - Imaginons que la lutte antidopage soit privatisée. Lance Armstrong ferait un excellent président de l'UCI en raison de ses connaissances sur le sujet. Au lieu de purger leur peine, les médecins poursuivis devraient coopérer, mettre leur science à profit pour nous aider à savoir qui, quoi, comment et où. Pourquoi des gens comme Jérôme Chiotti ou Christophe Bassons ne sont-ils pas associés à cette entreprise ? Pourquoi cherche-t-on à leur nuire ? Pourquoi Jérôme Chiotti, champion du monde, qui a avoué plus tard s'être dopé,

Les champions du monde dont la carrière repose sur le dopage s'enrichissent et ont accès aux postes clés dans les fédérations. Le dopage est un ascenseur social extraordinaire : vous gagnez beaucoup d'argent, puis vous avez accès à des postes de commentateur sportif sur le service public ! Il y a là un problème...

Tous ces anciens sportifs devraient parler devant une commission vérité réconciliation. Ils en seraient soulagés et pourraient toujours avoir accès à ces postes. Voilà une piste.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Pouvez-vous nous décrire précisément les protocoles de dopage dont vous avez connaissance et qui permettent de déjouer les contrôles ?

M. Antoine Vayer. - Je continue à entraîner quelques athlètes. En 1999 j'ai crée une structure, « alternatiV », pour les coureurs qui ne voulaient plus se doper. Les coureurs qui ne se dopaient pas, il n'y en avait pas beaucoup... J'ai entraîné Madouas, Lino ; d'autres m'appellent, mais je n'ai pas le temps. Un des derniers coureurs d'une équipe du pro-tour que j'ai entraîné il y a cinq ans était amateur. Très vite, il a pris du galon et est passé professionnel en Hollande, pendant deux ans. Puis, il a intégré une équipe française. L'hiver dernier, il m'a dit « Tu m'as toujours dit que le rôle d'entraîneur était de devenir inutile au bout d'un certain temps. Je pense que je peux m'assumer tout seul ». Il vient d'être pris à l'EPO... Il m'a expliqué qu'il avait opté pour les microdosages d'EPO et qu'un matin, il avait fait l'objet d'un contrôle inopiné.

Le processus est simple. Il faut diviser une dose d'EPO en dix, la prendre après onze heures du soir. A six heures du matin, la fenêtre a disparu.

Les corticoïdes sont, si vous me passez l'expression, une vraie saleté. Arrêtons-les tout de suite ! Ils ont un effet boeuf, comme disent les coureurs, et donnent une force incroyable. Si vous couplez, un jour de repos, un demi kenacort avec des aliments pour personnes âgées, vous nourrissez le muscle par injection : le foie et les muscles seront gorgés de sucres. Le lendemain, vous arrachez les pédales ! Cela tient une journée. Après, vous restez dans le peloton, si vous avez choisi de ne pas être un grand leader. Mais vous pouvez recommencer... Les ravages sont monstrueux.

Quant à la caféine, bien que légalisée, ses effets ne sont pas moindres. Les sportifs prennent des cachets de 250 mg : cette dose a un effet boeuf sur la performance. Sur l'état d'esprit, n'en parlons-pas...

Ces produits sont simples. Pourquoi n'y-a-t-il pas de retour concernant l'interdiction totale des corticoïdes et de la caféine ? Pourquoi la caféine ne figure-t-elle plus sur la liste, pourquoi n'est-elle plus détectée ? Pourquoi les méthodes d'utilisation ne sont-elles pas sanctionnées ?

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous faites de la recherche, et avez mis au point une méthode de calcul mettant en évidence des performances anormalement élevées...

M. Antoine Vayer. - ...hilarantes est le juste terme. Hélas...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Ces travaux sont-ils pris en compte ?

M. Antoine Vayer. - Absolument pas. Pat Mc Quaid a accepté de me rencontrer à Lausanne ; nous avons eu une discussion informelle de plus de deux heures. En 1996, des gens comme Sturbois voulaient que l'UCI étudie le profil des coureurs et réalise une étude avec les SRM, des capteurs de puissance. Sans suite...

Il y a beaucoup de médecins chez les experts. En France, nous abordons la lutte antidopage sous l'angle de la santé, alors qu'aux États-Unis, la liberté prime, chacun fait ce qu'il veut de sa santé, dans la mesure où il ne triche pas. Ces deux philosophies s'opposent.

M. Jean-François Humbert, président. - Vous ne répondez pas vraiment à la question du rapporteur, qui concerne la méthode de calcul que vous avez mise au point.

M. Antoine Vayer. - Lorsque j'étais à l'AFLD, juste avant la commission d'expertise dite Bachelot, j'ai présenté ces travaux.

M. Jean-François Humbert, président. - Nous n'y étions pas...

J'ai transmis à l'AFLD la méthode et les travaux utilisés pour suivre une championne du monde de VTT qui m'avait confié avoir pris de l'hormone de croissance et de l'EPO. Cette athlète était suivie en laboratoire tous les mois et demi.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Quel est le lien avec la méthode de calcul que vous avez mise au point, et quels résultats avez-vous obtenus ?

M. Antoine Vayer. - Cette méthode produisait le profil physiologique : lactates remétabolisés, puissance en watts que le sportif peut produire en laboratoire...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Estimez-vous le peloton du Tour de France dopé à 10 % ? À 80 % ?

M. Antoine Vayer. - Le dopage a suivi plusieurs phases. A l'âge d'or de l'EPO a succédé le dopage « Armstrong » : sanguin, EPO, transfusions. Nous sommes désormais dans une période que j'appelle mixte. Dans un premier temps, les performances des coureurs se sont accrues en aérobie, permettant des efforts plus puissants, plus longtemps. Les coureurs, très surveillés, se sont méfiés, et ont délaissé le dopage sanguin. À partir de Lance Armstrong, le dopage est devenu plutôt musculaire, en anaérobie, à base de corticoïdes. De 450 watts pendant une heure, les efforts produits sont passés à 500 watts pendant vingt minutes.

À Londres, nous avons proposé au représentant des coureurs professionnels Gianni Bugno que sur le Tour de France 2013, tous les leaders des grandes équipes soient chaperonnés et filmés en permanence, sauf dans leur salle de bain.

J'ai commencé par jurer de dire la vérité. Mais vous-même, pouvez-vous me jurer...

M. Jean-François Humbert, président. - Je vous ai demandé de jurer parce que c'est la procédure applicable aux commissions d'enquête. J'en préside une. N'inversez pas les rôles.

M. Antoine Vayer. - J'aimerais simplement que tout cela serve à quelque chose.

M. Jean-François Humbert, président. - Nous avons la naïveté de le penser.


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Cette page a été mise en ligne le 06/07/2023