Dossier dopage

Le contre-la-montre face à l'érythropoïétine


21/07/1994 - L'Humanité - Jean-Emmanuel Ducoin

Non décelable dans les urines, l'EPO, une hormone très nocive qui augmenterait les performance de 10%, ferait des ravages en Italie et sans doute ailleurs. Explications.

Une rumeur comme les autres, bien sûr. Une suspicion sans preuve, évidemment. Mais ce nouveau feuilleton glauque et grave, avec pas mal d'ingrédients pour en alimenter les épisodes, est loin de s'achever, cette fois. Au départ, un exploit. Celui de l'équipe italienne Gewiss-Ballan dans la Flèche Wallone, en avril dernier, qui place trois de ses coureurs vedettes dans les trois premiers. Et peu après, les doutes, étayés par des petites phrases maladroites. La palme revient au médecin officiel de l'équipe en question, Michele Ferrari (...), qui déclarait fin avril : « Si j'étais coureur et que je savais qu'il existait un produit non décelable capable d'augmenter la performance, je l'utiliserais. » Et d'ajouter, histoire d'entrer dans le vif du sujet : « L'EPO n'est pas dangereuse, pas plus dangereuse que de boire dix litres de jus d'orange, c'est son excès qui l'est ! » Depuis ces mots, le charmant Ferrari, qui n'accepte d'être payé qu'au rendement (...) par les coureurs avec qui il est sous contrat, a été prié de se tenir à l'écart de la formation de Berzin et autres Argentin ou Furlan.

Voilà donc l'EPO dans le coup. Ce produit (...) est l'hormone « à la mode », celle qui revient dans toutes les bouches dès qu'un coureur d'une équipe italienne s'illustre. Utilisée pour traiter les maladies rénales, les atrophies musculaires et les gens sous dialyse (...), cette hormone a la double propriété de surmultiplier le nombre de globules rouges en favorisant le transport de l'oxygène vers les muscles pour un gain de performance estimé à 10%, et d'être en même temps indétectable dans l'urine. D'où l'impuissance du corps médical chargé de la répression en matière de dopage, qui s'inquiète par ailleurs des conséquences physiques graves que peut provoquer l'EPO (...).

En Italie, le docteur Walter Polini (attaché à la défunte équipe Mecair) a préféré quitter le cyclisme, écoeuré par les « pratiques en cours », après qu'Alberto Volpi eut fait l'objet d'un contrôle positif à la Leeds Classic. Il évoquait toutes sortes de produits, dont l'EPO, utilisé « massivement » précisait-il. Voilà tout juste quatre ans, l'érythropoïétine commençait tout juste à sévir au sein du cyclisme néerlandais, plus fort que jamais, dominateur dans les classiques (...) avant qu'il ne s'abîme dans les relents de « l'affaire Theunisse », déclaré positif dans le Tour. Ce scandale déclencha un vent de révolte aux Pays-Bas, où sept coureurs étaient morts en trois ans (parmi lesquels Bert Oosterbosch), où l'on avait « enregistré » la mort brutale et inexpliquée de Johannes Draaijer (crise cardiaque), où un étrange virus avait décimé l'équipe PDM dans le Tour 91...

Sur place on commença alors à parler. On apprit que Johan Van Der Velde, ex-leader du groupe Raleigh, n'en finissait pas avec les cures de désintoxication. Qu'Eddy Schurer, choqué par le décès de son ami Draaijer, était resté prostré pendant des semaines. Que le sprinter Hans Daams avait changé de profession parce qu'il « craignait pour sa santé ». On lisait dans les colonnes du « Wielerrevue » qu'un amateur de trente-quatre ans, Ben Libregts, sauvé de la mort in extremis par le bouche-à-bouche, parlait de « catastrophe » pour « tout un tas de jeunes amateurs ». La liste est longue. Ayant comme effet immédiat d'épaissir le sang, l'EPO provoquerait des arrêts cardiaques même pendant le sommeil. D'où les rumeurs folles de coureurs faisant des pompes la nuit dans leur chambre pour activer la circulation !

En début d'année, le professeur Conconi (sur le point d'isoler des traces de l'hormone de synthèse dans l'urine), avait le premier parlé ouvertement de cette hormone : « Quand je prélève du sang de certains athlètes (...), je contrôle aussi la présence de substances suspectes, disait-il. Parfois j'ai cherché l'EPO. Il m'est arrivé d'en trouver. Et je n'étais même pas au courant... » Plus professionnel, plus structuré médicalement avec leurs laboratoires ambulants planqués au fond des camions-ateliers qui permettent de suivre les athlètes au quotidien, le cyclisme italien, en raison aussi de ses formidables résultats jusqu'au Tour, a été un accusé idéal. Pourtant l'EPO reste en vente libre en Suisse et personne ne peut prétendre qu'aucun autre pays n'a pas depuis longtemps essayé le « remède miracle », qui, d'après les fabricants eux-mêmes de cette hormone, a déjà provoqué la mort de plusieurs marathoniens...


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Notre post-scriptum

L'affaire PDM date de 1992 et non de 1991.


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Cette page a été mise en ligne le 29/07/2007