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Le coureur sain existe, on peut le rencontrer dans le peloton


03/07/1999 - lemonde.fr - Antoine Vayer

LE TOUR de France 1999 marquerait la naissance d'un athlète presque abstrait, parfait, idéal. On nous assure qu'il ne sera plus le cycliste tel que la société voudrait le modeler, ni tel que son économie intérieure le réclame. Or ce coureur existe déjà, on vous l'assure. Dans le peloton, vous le reconnaîtrez facilement : il transpirera à l'effort, il aura mal aux jambes après les étapes de plat, il accusera forcément le coup dans une des cinq étapes de montagne, et il risque bien de trouver la dernière semaine de course un peu longue.

Atypique avant les événements du Tour de France 1998, il est pourtant devenu une référence, une valeur étalon en somme. Ses qualités athlétiques vraiment hors du commun étaient recherchées par les directeurs sportifs en quête de l'oiseau rare, celui qui, « bien préparé », s'envolerait. Il a démontré depuis que ses qualités morales étaient tout aussi impressionnantes, au grand dam de ses pairs, qui lui reprochaient de gâcher sa carrière en refusant obstinément de « mettre en route », de « rouler au super », de « saler la soupe ». Pendant trois ans, il a affirmé en privé « vouloir prouver qu'il était possible d'être le seul coureur sain et de réussir ». Il a travaillé de manière acharnée pour accroître des capacités simplement humaines. Il a investi dans tout ce que la recherche appliquée au niveau de l'entraînement et de la diététique pouvait offrir quand d'autres faisaient l'acquisition d'une mini-centrifugeuse pour mesurer leur hématocrite et déterminer ainsi la nature et la longueur de leurs sorties quotidiennes. Il a progressé pour conclure la saison 1998 dans la souffrance avec 35 000 kilomètres et 89 jours de course là où d'autres se sont contentés de 30 000 kilomètres « dans la joie » pour briller à l'occasion de 110 jours de course « sans sentir les jambes ».

VIVRE SON RÊVE

Il a quand même participé aux championnats du monde, aux Pays-Bas, et a fini au-delà de la 150e place du classement mondial. Un exploit, obtenu grâce à sa rigueur, à son sens de l'analyse et de la gestion. A l'annonce d'un cyclisme nouveau, celui qu'on nous promet depuis la fin du Tour de France 1998 - celui qu'il pratique, lui, depuis toujours - il s'est pris à croire à une participation à la Grande Boucle. Il a commencé sa préparation en rejoignant une équipe française en vue dont le directeur sportif a trouvé une forme d'aubaine dans l'embauche de cet employé vertueux et médiatisé. Il a pu enfin valoriser son salaire à 30 000 francs par mois. Après avoir rêvé sa vie, il allait pouvoir vivre son rêve.

Il a alors découpé les huit mois qui le séparaient de « la » course en périodes - macro-cycles de préparation et de compétitions - et s'est régulièrement testé sur les plateaux techniques de médecine du sport, où ceux dont les résultats sportifs sont nettement supérieurs aux siens - il le sait - ne vont jamais. En novembre, il a relâché son effort d'entraînement pendant quatre semaines. En ce début de période hivernale, certains commençaient leur cure d'Imocur (produit destiné à stimuler les défenses immunitaires de l'organisme contre les infections) ou même d'injections de cellules d'agneau, en Suisse, pour renforcer ou remplacer les défenses immunitaires mises à mal par la saison.

Notre homme préfère entamer un cycle de dix séances de musculation et de cyclo-cross. En décembre et en janvier, période précompétitive, il enchaîne quatre semaines de stage sans anabolisants, sans testostérone. Et le voilà qui obtient des résultats pour le moins probants. L'espoir renaît. On parle d'embellie. Paris-Nice, en mars, assombrit le paysage. L'expression « cyclisme à deux vitesses » est sur toutes les lèvres. On parle de nouveau d'EPO, d'hémoglobine réticulée, d'hormones de croissance et d'autres injections quotidiennes dans l'épaule, dans la fesse ou dans les veines. Pratiques grâce auxquelles le cyclisme n'est plus du tout un sport dur. Pour lui, il le reste.

Après un Paris- Roubaix exténuant, mais terminé dans les délais, il se lance dans la préparation des courses à étapes, deuxième phase de sa saison. Il monte les cols et dort en hypoxie (simulation de l'altitude dans des pièces raréfiées en oxygène) huit jours avant de faire quelques séances de puissance pour bien aborder le Midi libre et le Dauphiné libéré, sans corticoïdes, sans caféine, avec un hématocrite de 39,5 %. Le succès est au rendez-vous.

Il se repose un peu - en se livrant à des séances actives d'aspiration derrière voiture - et peut alors participer très honorablement aux championnats de France, fin juin. En huit mois, il a accumulé 20 700 kilomètres (certains ne les font pas en automobile en un an), 41 jours de courses et 27 jours de repos. Il en a également profité pour combler les lacunes de sa culture sportive. Il a découvert les propos du champion italien Francesco Moser après ses fabuleux records de l'heure : « Jetez les médicaments à la poubelle et entraînez-vous mieux. Tout le reste est balivernes ! » Et puis voilà que le même apôtre confesse l'importance de la « préparation médicale » dans ses exploits. Nouvelle désillusion.

Désormais, cet athlète idéal, bien réel, entend avec désintérêt les discours du faire-savoir et du faire-croire. Il se sent fort, terriblement prêt, terriblement excité à l'idée de faire son travail sur le 86e Tour de France. Comme un étalon pur-sang. Il s'appelle Christophe Bassons.


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Cette page a été mise en ligne le 28/04/2020