Actualité du dopage

Du 2.0 au 3.0

10/07/2022 - cyclisme-dopage.com - Antoine Vayer

Que s’est-il passé ces jours-ci ? Hier, sur les hauteurs de Lausanne, Pogastrong a voulu laisser la victoire à son grand copain Michael Matthews, d’une autre équipe, et comptait finir deuxième derrière lui, mais ils se sont fait doubler au poteau par Wout Van Aert. Ce procédé irrespectueux, devant le stade des pseudo-valeurs Olympiques a de quoi choquer. Pogastrong aurait pu gagner haut la main, haut-les-mains, comme s’il pédalait avec des cadets. Personne ne réagit encore vraiment à cette insolente domination.

Viol des performances

La caravane et les journalistes sont atones, dans un état de sidération qui laisse pantois et qui dure. Ou bien la soupe est bonne. C’en est au point où l’annonce, par celui qui lui sert de « médecin ET fan officiel », l’Espagnol Inigo San Milan (qui a publié des articles avec Sabino Padilla, médecin de Miguel Indurain) du lancement d’une fondation Pogacar contre le cancer, exactement comme Lance Armstrong avec « Livestrong », n’a guère été relevée. C’est exactement comme si l’ex-ostéopathe de l’équipe Barhatin Suspicious fondait la « Fondation Colbrelli » pour récolter des fonds pour la prévention des accidents cardiaques en vendant des bracelets verts. Ou bleus. Ou rouges. Tout est permis, tout est possible.

Et l'an prochain, je lègue mes poumons à la science !
Source : Espé - 10/07/2022

Décomplexé en mode cool. Pogastrong l’a été sur l’étape d’aujourd’hui des « Portes du Soleil » où Guillaume Martin n’a pas pu briller, lui. Le Normand a été exclu pour charge virale trop importante au Covid. Il était chargé ! Un comble pour celui dont l’éthique est reconnue comme irréprochable.

Aujourd’hui, les coureurs du Tour s’attaquaient à notre deuxième Radar (sur sept), la montée du Pas de Morgins, 12,33 km à 6,95%, dont le sommet était à 12 kilomètres de l’arrivée et qui constituait la troisième ascension du jour. Il a été presqu’escamoté, quoique. Dans le premier radar vendredi, La Planche des belles Filles, le Slovène avait établi un nouveau record quasi miraculeux à 460 watts Etalon. Le col de la Croix à 1778 mètres d’altitude a précédé celui du Pas de Morgins. Le peloton mené par les UAE l’a grimpé en 23'10''. Cela représente 404 Watts Etalon pour les leaders restés dans les roues : un rythme vraiment soutenu, limite, qui a permis de reprendre 33" sur les 21 échappés menés par Simon Geschke avec un quintette français Pinot-Barguil-Bonnamour-Latour-Cosnefroy, dont un des membres espérait enfin l’emporter avec un peu d’avance. Ils avaient enfin la permission de gagner. C’était le bon de sortie des Français. Le 14 juillet, ce sera l’Alpe d’Huez. Ils n’y auront plus droit. L’affaire est trop sérieuse. Pogastrong est bon, mais pas trop. Thibaut Pinot a eu beau essayer de rejoindre Bob Jungels, auteur d’un raid de 65 kilomètres, en s’extirpant dès avant le sommet du col de la Croix du groupe des 21 échappés. Il a failli. Son accélération pendant 7km en 17 min 48 sec à 419 Watts Etalon et ses 396 Watts Etalon sur l'ensemble de l'ascension n’ont pas suffi pour venir à bout de Bob Jungles qui en a développé 379.

Trois coéquipiers de Pogastrong ont assuré un train tout au long du Pas de Morgins, suffisant pour annihiler toute velléité d’attaque. Ils ont effectué l’ascension en 33’16’’ soit seulement 389 Watts Etalon pour ceux qui sont restés dans les roues. Pogastrong n’a aucun adversaire à sa hauteur. Encore moins un collectif d’équipes qui pourrait le contrarier. Il a beau s’être montré enfin généreux envers les Français, ils n’ont pas su en profiter. Il s’est même fait un petit plaisir en reprenant à ses adversaires trois petites secondes au sprint pour la cinquième place. Sauf à Vingegaard qui le suit comme une sangsue. Histoire de montrer sa force. Quand même. Demain c’est repos et recharges en tous genres.

Data

Nous avons pu suivre l’étape en vous fournissant des données calculées indirectement. Ce sont des datas. C’est la référence de tous les coureurs. Ils ne parlent plus que de ça. Ce sont eux les experts. Ils reconnaissent ceux qui trichent parmi eux. Bob Jungels n’avait jamais rien gagné depuis mars 2019, si ce n’est son championnat national du Luxembourg. C’est une résurrection pour cet ancien membre de l’équipe Quick-Step qui avait remporté Liège-Bastogne-Liège en 2018 avec des watts au zénith. Il ne les a plus jamais atteints depuis son embauche à vil prix chez AG2R qui se lamentait de son investissement. Cela a dû transparaître dans l’analyse de ses données. Elles seront interprétées comme il se doit cette fois. Son raid pourrait mériter de figurer, si nous le rééditions, dans notre ouvrage Tous dopés ? La preuve par 21 pages 16 et 17 aux côtés de ceux de Chiappucci 1992, Virenque 1994, Hamilton 2003, Landis 2006, Rasmussen 2077 ou Voeckler 2012 ? On va l’excuser, dans l’euphorie.

Radars Grands Raids
Source : Tous dopés ? La preuve par 21 - 07/06/2013
Radars Grands Raids
Source : Tous dopés ? La preuve par 21 - 07/06/2013

Data-analyst

La plaie du cyclisme et du sport en général, c’est l’encadrement médical et paramédical, du prescripteur de cachets avec une blouse blanche aux rebouteux diplômés qui jouent avec les fascias, en passant par les « psy », es-« Préparateurs Neuro Liguistique » (PNL). Ils sont omniprésents, chacun y allant de son conseil avisé et « scientifique ». Ce sont les premiers fossoyeurs des cerveaux et des corps de leurs athlètes. Les deux peuvent être rincés assez vite, ce qui explique la recrudescence de burnout et bored out, états d’épuisement émotionnel et physique liés à la dégradation du rapport du cycliste professionnel avec son travail. On en est presque à regretter les rigolards et dévoués soigneurs comme Willy Voet, quand le staff des équipes n’était pas plus nombreux que celui des coureurs présents. Disons qu’une équipe c’est maintenant huit coureurs pour vingt « encadrants » désormais en moyenne... Les budgets hébergement explosent. Maintenant, avec les « community-manager » présents avec leur caméras et micros, sans humour (ou vaseux et mièvre), qui ajoutent une charge mentale phénoménale à l’athlète tout en pensant les en décharger, de jeunes data-scientist se sont ajoutés à cette longue liste de parasites. Ils peuvent travailler à distance, mais chaque soir, le coureur doit envoyer ses données personnelles, ses « data » enregistrées. On a embauché des gars pour les trier et même suggérer des recrutements. Pour performer en 2022, une foultitude de ces données, jusqu’à la température corporelle, sont constamment analysées. Le cycliste en fournit en permanence. Les maquignons directeurs sportifs doivent faire de la place à ces nouveaux arrivants, à leur grand regret mais ils sont incapables de s’adapter. Le métier d'entraîneur est devenu celui d’un coordonnateur, d’un communicant autour de chiffres et de performances. S’il travaille avec l’humain, son univers est celui d’outils informatiques, de vélos tous équipés de capteurs et de compteurs, de « files » et d'anglicismes. Il s’appuie sur une base de données constituée avec tous les coureurs qui sont passés entre ses mains. Il la décortique avec des algorithmes. Certains ont des bibliothèques de 100.000 fichiers. A force d’en connaître de plus en plus sur tout et rien, on finit par savoir tout sur rien.

RGPD

Il existe aussi la RGPD (Règlement Générale de Protection des Données Personnelles) dans les équipes comme dans les entreprises. Toutes les données collectées sur un coureur lui appartiennent et ne peuvent être conservées exclusivement par l’équipe. Il n’existe plus d'ambiguïté. Ceux qui changent d’équipe arrivent et fournissent tous leurs fichiers et analyses, sans exception. Ce sont principalement des supports numériques, par exemple les fameux fichiers «. fit ». Chacun correspond à un entraînement ou une épreuve enregistrée avec données souvent annotées de commentaires du coureur ou du staff. Toutes les équipes possèdent leur plateforme et logiciels algorithmiques d'entraînement où les fichiers sont déposés après avoir été transférés par le coureur sur un cloud ou envoyés par messagerie, dès la session d'entraînement ou la course terminée. Certaines équipes ont des plateformes qu’ils ont développées et qui sont privatives. Mais beaucoup utilisent des applications que le grand public peut télécharger comme Trainingpeaks, Todays Plan ou encore Velobook 3.0 en France. Les. fit ce sont toutes les informations liées à la sortie : date, distance, vitesse instantanée, lieu, température, altimétrie, dénivelé, localisation GPS, puissance instantanée, cadence de pédalage, fréquence cardiaque, température corporelle pour certains, commentaires et pour d’autres désormais la glycémie. C’est en cours. Le point de départ c’est un compteur vélo et des capteurs partout, qui s’y relient, sur le vélo, sur le corps et dans le corps. J’ai fait partie des pionniers dans l’analyse de ces données informatiques, dès 1993, mais la part donnée à l’humain restait beaucoup plus importante qu’aujourd’hui.

Antoine Vayer, la science du terroir
Source : Ouest-France - 07/1996

Vingegaard, 59 kilos de datas

On mesure ainsi l’évolution des sciences humaines. Le coach intuitif est resté mais le dogme global, non subjectif, c’est devenu les données. Elles recouvrent tous les discours. Dans les bus on ne parle plus que de cela. Leur étude est chronophage. Les coureurs sont de plus en plus nomades. En dehors des stages hivernaux, certains membres du staff ne se croisent que deux ou trois fois en saison ! On en arrive même à des extrêmes : se faire embaucher, sans avoir vu le moindre membre d’une équipe, uniquement sur la foi de données passées et moulinées dans les logiciels, comme chez DSM ou Alpecin qui a recruté sur la base de données du home-trainer d’un coureur qui concourrait sur Zwift ! Les agents proposent les coureurs avec le palmarès mais surtout avec leurs données. Les négociations sont moins latines. Elles sont chiffrées. On ne vend plus du vent avec les mains et un beau discours. Chaque coureur possède désormais à offrir 320 « .fit » par an. C’est un nouveau mode de transparence. Le coureur c’est un sourire certes, mais une signature aussi. Numérique. Les directeurs sportifs de Vingegaard amateur ont d’abord fourni ses fichiers au staff de Jumbo Visma pour qu’ils lui accordent une quelconque attention. Sont scrutés la charge de travail du coureur, les heures, les kilomètres, à quelles intensités, regroupés autour d’un indice appelé TSS. On voit si l’athlète récupère, perd en puissance, combien, et là où il est fort. C’est radical. Le potentiel est défini, chiffré pour tous les types d’efforts. On a alors un profil, une signature : grimpeur, puncheur, sprinteur. Pour l'explosif, on regarde les valeurs records de 5 secondes à 30 secondes. Où, quand, à l'entraînement, à la fin d’une classique. Pour les grimpeurs, c’est le temps de soutien de puissance sur 20, 30 à 40 minutes. Avec la base de données, on peut extrapoler et modéliser combien un athlète peut tenir sur une heure, pour, comme le disent les anglais avoir son « FTP » (functionnal threshold power), sa puissance fonctionnelle au seuil qui sert ensuite de référence pour les allures et zones d'entraînement.

Algorithmes

L'entraînement reste une science humaine mais déshumanisée avec des éléments non maîtrisables. Les données traitées par algorithmes permettent juste de rationaliser ce qui peut l’être et de ne pas faire de fausses interprétations. On « contextualise » ainsi les performances. On ne dit plus « t’es bien », « t’es pas bien ». On sait. On cherche alors ailleurs pour s’améliorer : la tactique, le mental, l’économie d’énergie. A contrario, si le coureur est en deçà de ses standards, on remet en cause sa préparation. On cherche. Plus aucun coureur n’échappe aux data, ni n’est réticent à s’équiper. Les capteurs sont partout, pour tous. On est dans « l’air du temps Strava ». On montre ses muscles. Le gros problème c’est que beaucoup ne voient leurs performances qu’au travers de leurs chiffres. Des bêtes d'entraînement ne sont parfois pas efficaces en course. Faire les mêmes watts d'entraînement en condition course avec le stress mental, le psychologique et le technique, le pilotage, tous le recherchent. Certains perdent 20% de leur potentiel, juste en se plaçant dans un peloton. En fin d’épreuve, ils sont cuits s’ils ont eu peur ou ont été stressés. C’est la limite d’avoir une lecture trop numérique des performances. Les ex-VTTIstes ou les cyclo-crossmen s’adaptent à l’imprévu, ne perdent pas de watts à frotter. Dans les grandes classiques, après six heures d’effort, ce sont ceux qui maîtrisent la technique s’économisent là où d’autres dépensent de l’énergie qui émergent. C’est pareil dans les courses à étapes. On peut détecter cela dans les analyses de données. La marge de progression dépend de l’âge, de la génétique et du travail. On a déjà vu des coureurs gagner 1% par an pendant 10 ans et à 30 ans être à un niveau vraiment élevé. Des Guillaume Martin ou Paret-Peintre se sont améliorés sur leurs 20, 30 ou 40 minutes. Dans les temps de soutien bas, pour l’explosif avec les qualités de résistance, c’est souvent trop génétique et peu modifiable ou bien à la marge et cela s’effrite avec l’âge, à moins de beaucoup travailler les qualités sur cinq secondes à une minute.

Nouveau jeu chez UAE
Source : Espé - 10/07/2022

Lactates sanguins et biologie intégrées

L’évolution la plus récente, c’est la lactatémie au travers d’évaluations de terrain pour affiner l’évolution des allures d'entraînement. En général, on ne rentre pas encore de données biologiques dans le logiciel mais certains doivent déjà le faire. Concernant la glycémie et son suivi à l’effort, c’est le fantasme de tout athlète et entraîneur. Si elle pouvait être toujours optimale et en équilibre entre la fourniture de sucres et sa consommation, ce serait le nirvana. La glycogénèse et la glycolyse : économiser le sucre dans les basses intensités, utiliser les graisses en nivelant l’intensité : le graal. On fait des tests avec les cétones. Pour le respect des plans nutritionnels, éviter les pics de glycémie. On est encore dans la recherche avec l’usage détourné du matériel fourni aux diabétiques, comme des capteurs sur la peau reliés au compteur, comme on fait pour les capteurs de puissance. Plus rien n’est fait au doigt mouillé. Dans l’embauche, en plus des données “.fit”, le coureur doit aussi fournir ses données biologiques, son suivi ADAMS antidopage ou tout ce qui touche à sa santé. On constate sur le terrain que les jeunes coureurs qui ont connu dès leurs débuts l’analyse systématique de leurs données, cette génération 2.0 du vélo, atteignent beaucoup plus tôt leur potentiel maximal à l'entraînement. Les cinq meilleurs coureurs français espoirs et juniors, leur profil record 15 ou 20 minutes est du même acabit que la moitié des effectifs des équipes World Tour, à plus de 6 watts/kilos ! La finesse difficile à palper, c’est savoir chez eux ou parmi les 300 ou 400 coureurs de potentiels identiques qui va faire la différence en tant que leader ou équipier ! Au bout de trois semaines de Grand Tour, on est loin de tous les reconnaître. Récupération-concentration-mental, cela ne rentre pas tout à fait dans les logiciels.

Le dopage, le moyen le plus efficace

Autre indicateur utilisé en ce moment : l’évaluation des records du coureur avec une pré-fatigue à 2 ou 3000 Kjoules. Pas à la sortie de son garage. On demande au logiciel d’analyser les dérives vers le bas, à combien de pourcentage le record se dégrade au fur et à mesure de la fatigue. Les logiciels, c’est un gain de temps pour le dialogue et l’intuition. L'entraînement, c’est encore de la recherche. On compile beaucoup d’informations pour que rejaillisse une idée. Des plans d'entraînement pré-conditionnés comme la charge de travail et des prédictions, c’est facile à faire. En revanche, adapter le bon travail, pour le bon coureur avec le bon timing pour le bon objectif, c’est plus compliqué. Les chiffres magiques sont de 8 watts par kilos au bout de six heures dans une côte de deux minutes ou plus de 6 watts/kg dans un long col. Si certains savent le faire à l'entraînement, après 5h30 et de la fatigue, beaucoup cherchent des stratégies pour avoir les mêmes chiffres. Le dopage est une solution simple. L’augmentation générale des performances vient de la densité, de la formation avec ces outils. Quant au matériel et aux vélos qui roulent très vite, ils sont quasiment traités de la même manière avec de la data-analyse sur les pneus, les roues, etc. Analyser une combinaison, une position, c’est en soufflerie ou sur piste. C’est fini le bricolage. Il est impossible pour un seul homme d’avoir toutes les compétences et le temps pour analyser toutes les données. On embauche donc des data-analystes, des anciens matheux.

L’avenir est dans l’interaction de la nutrition avec l'entraînement. L’assurance, c’est l’interaction avec des produits dopants ou des méthodes dopantes qui sont non détectables aux contrôles officiels actuels.

C’est un comble.

Certains coureurs en sont au niveau 3.0 quand les institutions qui n’ont pas embauché de data-analyste, elles, en sont au zéro pointé, à l’âge du crayon de bois, du classeur Excel et du Powerpoint.

UCI.0 !


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Cette page a été mise en ligne le 10/07/2022