Dossier dopage

Corticoïdes : « On retourne 20 ans en arrière ! »


10/01/2009 - cyclismag.com - Propos Recueillis Par Pierre Carrey

En 2009, on va suivre le danger d'un retour massif des corticoïdes dans le peloton. Le Dr Gérard Guillaume, spécialiste du sujet et médecin de la Française des Jeux, explique à www.cyclismag.com que le nouveau code mondial antidopage autorise les dérives des injections et remet en cause l'existence du Mouvement pour un cyclisme crédible (MPCC).

Cyclismag : Qu'est-ce que le nouveau Code antidopage va changer en pratique ?

Dr Gérard Guillaume : Le recours des corticoïdes devient libre. Un athlète pourra en utiliser grâce à une simple "déclaration d'usage", sans argumenter sur les motifs thérapeutiques. S'il est sujet à un asthme à l'effort, il devra déclarer l'usage de salbutamol ou de molécules équivalentes, et se soumettre à des tests médico-scientifiques pour justifier la validité de sa demande. (...) Pour le reste, il est désormais facile d'utiliser les corticoïdes sous forme d'injection et de les détourner à des fins dopantes.

(...)

Depuis sa création en 2007, le Mouvement pour un cyclisme crédible lutte contre les infiltrations de "corticos". Le nouveau code mondial remet-il en cause cette association ?

L'existence de ce mouvement repose en grande partie sur l'interdiction des corticoïdes. Nous les interdisons 15 jours avant le départ des grands tours ainsi que pendant si un coureur est obligé d'y recourir. Parfois, il s'agit bien d'une nécessité thérapeutique, ne tombons pas dans la paranoïa ! Dans ce cas, le coureur doit prendre du repos, pour que le produit fasse de l'effet et pour éviter les effets secondaires. Le MPCC proscrit également l'usage de molécules qui trouvent un équivalent sous forme injectable, pour éviter la confusion et les possibles détournements à des fins dopantes.

Le MPCC est donc menacé ?

Je ne sais pas ce que nous allons faire. Les dirigeants vont bientôt se rencontrer. Je propose que nous conservions les mêmes règles et que nous demandions une réunion avec l'AIGCP [l'Association internationale des groupes cyclistes professionnels, dont le président Eric Boyer est poussé à la démission par des équipes extérieures a MPCC, NDLR]. Mais l'Agence mondiale antidopage a force de loi sur la planète. Je crains que nous soyons obligés de nous aligner sur son règlement.

(...)

Vous avez discuté du nouveau code avec des représentants de l'Agence mondiale antidopage et de l'Agence française de lutte contre le dopage. Comment expliquent-ils la libéralisation des "corticos" ?

Ils invoquent trois raisons. La plus délirante et la plus fallacieuse, c'est que les AUT abrégées exigeaient trop de papiers à remplir. Ensuite, on avance la différence de culture sur le sujet entre les pays latins et les pays anglo-saxons. Ces derniers sont aujourd'hui à la tête des principales institutions [l'AMA est présidée par l'Australien John Fahey, l'UCI par l'Irlandais Pat McQuaid, etc, NDLR]. Le troisième argument, c'est que les corticoïdes représentent le traitement le plus économique, le plus accessible pour la majorité des pays, donc le plus équitable. Scientifiquement, c'est indéfendable.

Existe-t-il des alternatives aux infiltrations de corticoïdes ?

Oui. On peut utiliser l'acupuncture, l'homéopathie, un traitement local, un laser, des ondes électromagnétiques... Ces traitements ne sont pas tous plus chers et ils se révèlent au moins aussi efficaces. Certes, les corticoïdes font leurs preuves, mais plutôt à très court terme. Souvent, les praticiens en font un mode thérapeutique privilégié et massif parce qu'ils ont la flemme de penser autrement. Selon une étude, un rhumatologue dispense 1100 injections par an. Pour ma part, face à des patients parfois plus "durs" que la moyenne, je me limite à moins d'une infiltration par semaine. Et depuis que j'exerce dans le milieu cycliste, je m'en suis tenu à trois en 15 ans.

Quels sont les risques qu'un sportif encourt pour sa santé s'il détourne les "corticos" ?

Avec une infiltration intra-articulaire ou para-articulaire, il fragilise ses tendons à court terme. Voilà l'une des origines des nombreuses ruptures de ligaments chez les footballeurs et les rugbymen. Mais le risque le plus important, c'est l'insuffisance surrénalienne. Lorsqu'un sportif subit une chute et des traumatismes comme une intervention chirurgicale, les glandes surrénales ne peuvent plus faire face.

(...)

Avant le dernier Tour de France, le médecin fédéral Armand Mégret a tiré la sonnette d'alarme sur l'usage des corticoïdes. Assiste-t-on à une recrudescence dans le peloton français ?

Au contraire, l'usage régresse. D'ailleurs, il ne faut pas croire que le vélo soit le sport le plus touché. C'est même un de ceux qui se restreint le plus ! En tant qu'expert auprès de l'AFLD, je constate que d'autres disciplines, plus traumatisantes que le cyclisme, utilisent des corticoïdes parfois tous les jours - ou presque ! Dans le football, on voit quasiment les athlètes infiltrés dans les vestiaires pour pouvoir jouer la deuxième mi-temps...

Donc, à ce jour, le dopage aux "corticos" a reculé dans le cyclisme ?

Oui, mais avec le nouveau code mondial, la situation risque fortement d'évoluer.

Les plus gros scandales récents concernent le dopage sanguin : EPO, transfusions...

On pense - mais cela n'a jamais été démontré scientifiquement - que les corticoïdes accroissent les effets de l'EPO. Donc, l'usage dopant de ces deux produits se complète. (...)

Vous êtes inquiet pour 2009 ?

Je suis très inquiet. Sincèrement, on retourne au moins 20 ans en arrière. On va retrouver le même état d'esprit que dans les années 80. Les coureurs de la Française des Jeux commencent déjà à me poser des questions : "Est-ce que certains vont en profiter pour tricher ?" Je ne leur cache pas la réalité : le nouveau code est une porte ouverte aux tricheurs.


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Cette page a été mise en ligne le 25/01/2009