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Actualité du dopage |
– Tu es beau, Tour de France, si beau que te regarder est une souffrance.
– Hier, tu disais que c'était une joie !
– C'est une joie, et une souffrance. »
On pourrait plagier la scène culte du film Le Dernier Métro de François Truffaut.
Résumons ce qui choque et ce qui pourrait rassurer, plusieurs minutes derrière.
Pogacar et quelques autres
Tadej Pogacar a gagné les deux premières étapes triptyque pyrénéen en laissant un goût de vomi général dans les cerveaux. Il pouvait gagner la troisième. Il n'a fait que deuxième pour la troisième fois depuis le départ. Il en est donc à quatre victoires « seulement ». Il a laissé gagner son second au Tour de l'Avenir 2018, Thymen Arensman de chez Ineos-Total, sans doute pour des raisons géopolitiques et un arrangement entre UAE, l'organisateur ASO (qui sera sponsorisé par Total-Ineos) et l'UCI. Tiens, Total-Ineos est encore malmené par une affaire pour les liens troubles d'un de ses soigneurs avec le médecin à la tête du réseau de dopage Aderlass.
Dans cette troisième étape pyrénéenne, les coureurs ont gravi 5000 mètres de dénivelé en 4 cols :
Un IneOS à ronger
La montagne a accouché d'une souris. C'était cadeau. Il a géré Tadej. Il a donné à ronger un InéOS. Pas de course. Presque une journée de repos pour lui, dans la roue de son hochet préféré Vingegaard à qui il a repris 5 secondes en un seul petit sprint. Cinq heures à plus de 37,3 km/h avec 4 cols « au train » à 400 Watts Etalon. Vauquelin 5ème au général est à 10'21 sec, le 10ème est à 23 minutes et le 20ème à... 53 minutes de Pogacar.
Nous avons pu tirer un premier bilan après trois radars sur les six que propose ce Tour de France.
A la fin de ce Tour, Pogacar sera en catégorie « mutant », après son contre-la-montre « Alien », sauf à ne pas forcer ses doses, sauf s'il est arrêté par la police, sauf s'il tombe ou si on le fait tomber. Vingegaard flirtera aussi avec cette zone qu'on croyait à jamais oubliée depuis 1998. Lui aussi a le teint blanc comme s'il avait subi un traitement au xénon ou à l'argon. Il n'en coûte que 150000€ pour préparer une montée de l'Everest avec ces gaz. Le Xénon est normalement utilisé comme anesthésique dosé à 60% de xénon, le reste en oxygène. Cela induit une pâleur du visage.
Derrière ces deux qui devraient ne pas être présents sur ce Tour, certains nous inquiètent. Nous verrons s'ils sortent de la zone miraculeuse et fatiguent dans les trois derniers radars longs du Ventoux de La Loze et de La Plagne. Ce serait rassurant. Vauquelin devrait lui finir chez les humains à moins de 410 Watts Etalon de moyenne. On est moins sûr pour Felix Primoz Gall et Roglic. Ben Healy pourrait aussi changer de catégorie. Pour l'instant, il est NOTNORMAL. Ce serait rassurant, oui, pour Vauquelin et les autres qui fatiguent, craquent, respirent, souffrent, qui font du vélo, qui font du sport en respectant les règles, même s'ils terminent 10ème. On sait que ce seront eux les vainqueurs moraux du Tour.
Météo, mets tes bas
Pour les prochains radars, le Mont Ventoux mardi, les prévisions annoncent un mistral, vent de face dans les six derniers kilomètres après le chalet Reynard. Si elle n'évolue pas, le record d'Iban Mayo avec la partie haute 15,7km à 8,64% ne sera pas battu (2004 en contre-la-montre, 45'47'', 444WE). Il faudra lâcher ses adversaires sur la partie basse sur la portion jusqu'à Chalet Reynard pour ne pas qu'ils puissent faire du drafting dans les roues sur le haut et, pour cela, battre le record dégueulasse de Nairo Quintana établi au Tour de Provence 2020 : 9,53 km à 9,19% en 28min5 sec à 460 Watts Etalon !
Jeudi pour le col de la Loze, la météo annonce pluie et cinq degrés seulement au sommet à 2300m. Des conditions terribles pour les coureurs. Du vrai vélo à l'ancienne ! A moins que tout le monde ne se plaigne. On pourrait alors raccourcir l'étape. Les forçats de la route, c'est fini, il ne faut pas trop forcer.
Enfin Pas trop forcer sauf sur le piston de la seringue de l'indécence pour UAE et Wellens qui dans un monde normal aujourd'hui à Carcassonne n'aurait pas pu suivre sur une montée aussi dure que le pas du Sant. Mais, à 34 ans, il a ridiculisé tout le peloton en s'imposant à 47,40 km/h de moyenne sur 169 km dont 40 km en solo ! Déjà 5 étapes (sur 15) remportées par UAE ! La moyenne frise les 44 km/h : 43,9 km/h pour le maillot jaune après 2400 kms sur les 3338 prévus. Elle devrait se maintenir à 43 km/h. Ce serait 1km/h de plus que le record historique.
Comme l'an passé, j'ai demandé à Alban Lorenzini de nous écrire son ressenti devant ces performances extraordinaires. Ingénieur en mécanique de formation, il a travaillé 10 ans dans l'industrie automobile avant de se reconvertir dans l'entraînement cycliste en 2010. Il est titulaire d'un Brevet d'Etat et d'un Diplôme d'Etat, DEJEPS Route.
Lisez le :
J'entraîne les cyclistes avec l'aide des capteurs de puissance depuis le tout début du lancement de mes activités en 2010. Je l'utilisais depuis 2007 pour mes entraînements. En parallèle, je suis intervenu pour différentes grandes équipes professionnelles françaises dans l'analyse matériel et j'ai donné des formations sur l'entraînement. Je tiens un blog dédié à toutes les nouveautés (cyclesetforme.fr) qui permettent de gagner en efficacité sur le vélo que ce soit dans le domaine de l'entraînement ou du matériel.
Quand je commence un suivi sportif avec un nouveau coureur cycliste, une question revient fréquemment : « tu crois que je peux gagner combien de watts en 6 mois ? ». Ma réponse est toujours la même : il n'y pas de règles
D'une personne à l'autre, en fonction de son passif, de sa capacité à répondre à l'entraînement, de son temps disponible pour rouler, on aura souvent autant de réponses possibles que de sportifs Il faut accepter de rouler 15 heures par semaine pour gagner 1% ou de n'en faire que la moitié pour gagner 5 % car vous avez commencé le vélo il y a 2 ans seulement
Une chose est certaine et encore plus vrai avec les coureurs ex-professionnels ou élite que j'ai entraînés : plus le niveau est haut et plus c'est difficile d'aller chercher 1 ou 2 % d'amélioration, année après année. Il faut multiplier les efforts (stages en altitude, nutrition personnalisée, gestion charges / récupération) pour surperformer au moment voulu et repousser de quelques watts son potentiel maximum.
VO2max
Quand on parle de forme, il faut aussi savoir sur combien de temps on la tient. Gérer une course d'un jour ou un Tour de France, cela n'a rien à voir. La capacité d'enchaîner les étapes et de récupérer d'un jour à l'autre est extrêmement importante sur un grand Tour. La résistance à la fatigue sur chaque étape est une autre qualité fondamentale qu'il faut avoir à haut niveau. Pousser son rendement énergétique au maximum pour épargner un maximum d'énergie disponible en prévision du dernier col est presque plus important que de savoir qui à la plus grosse cylindrée, la fameuse VO2 max.
En parlant de cette dernière, le cyclisme a fait sa révolution depuis quelques années. Les jeunes coureurs à haut potentiel sont détectés plus tôt et sont mieux entraînés pour pousser leur VO2max au maximum quand celle ci est la plus entrainable, c'est-à-dire dès les catégories cadet et junior. Ainsi, il est tout à fait normal de voir des jeunes talents atteindre dès la vingtaine des performances dignes de leurs aînés (la génération Bardet / Pinot ). Ainsi le jeune Lenny Martinez réalise très tôt des performances équivalentes à Pinot. Encore dernièrement sur le Tour de Romandie, lors de l'étape reine et de la montée finale vers Thyon 2000, il grimpait aussi vite que Pinot deux ans plus tôt dans des conditions de fatigue quasi similaires. Le même Martinez a réalisé un impressionnant chrono de 20 minutes sur le Tour de Suisse 2024 lors d'une étape raccourcie, une performance qui se rapprocherait de celle que Pogacar a réalisée il y a quelques jours sur le contre-la-montre de Peyragudes sur le Tour de France.
Alors tout va bien ?
Alors tout va bien ? Et bien non, loin de là. Les deux performances n'ont absolument rien à voir. Martinez fatigue, Pogacar non. Martinez alterne bonnes journées et mauvaises journées où il préfère ne pas trop en faire. Et même à fond sur une bonne journée comme sur le chrono de Peyragudes, il perd plus de 2 minutes en 25 minutes de montée avec la fatigue de deux semaines de Tour derrière lui. Un gouffre abyssal sur une si courte distance à ce niveau !
L'ère Covid en question
Depuis le Covid, il se passe des choses à haut niveau qu'il devient difficile d'expliquer pour quiconque s'intéresse aux performances en cyclisme
Depuis 5 ans, on a battu des records en montagne sur les derniers cols qu'on ne pensait plus possible de dépasser après les sombres années EPO. Alors on s'appelle entre entraîneurs, on partage nos points de vue sur la nutrition, les évolutions du matériel (très peu efficaces dans un col à 8 %), les dernières techniques d'entraînement (lactate, variabilité cardiaque etc). On arrive tous aux deux mêmes conclusions :
1 / Comment font certains pro pour passer de si gros gap de performances années après années ?
2/ Comment font-ils pour ne pas fatiguer entre le début et la fin d'une étape, d'un jour à l'autre et cela pendant trois semaines ?
Mes clients me demandent la même chose, comment est-ce possible ?
Chris Froome, un junior
Malheureusement, on s'y est presque habitué mais si on avait vu les démarrages dévastateurs de Pogacar à 35 km/h dans une pente à 8 % à l'époque de Chris Froome, personne n'aurait pu y croire. Au meilleur de sa forme, il ne finirait même pas dans le top 10 actuellement. Il est tout à fait normal d'obtenir de petites améliorations au fur et à mesure que les connaissances progressent en physiologie. Mais cette frange de coureurs qui progressent entre 5 et 10 % par an et même après des années de haut niveau dérange fortement. Et que dire des rictus sur le visage ? Vous avez déjà vu un coureur qui se donne à fond ? Il s'écroule après la ligne, visage déformé par la douleur et met cinq minutes à se remettre. Pogacar, Vingegaard (un peu moins cette année) et leur équipiers passent la ligne à peine essoufflés, montent sur le home trainer en toute décontraction et répondent aux journalistes comme s'ils s'échauffaient avant une étape
Le PFC et Mauro Gianetti
Et que dire de l'encadrement des équipes, notamment UAE avec Mauro Gianetti ? Récemment un client médecin me disait qu'il travaillait lors de sa dernière année de médecine dans le labo qui a développé les PFC. Le but était d'améliorer l'oxygénation sanguine des malades du cancer en phase terminale. Et bien Gianetti avait réussi à se procurer cette molécule pour se doper avant-même sa commercialisation officielle. On connaît la suite pour Gianetti. Une fois remis, il a monté son équipe de Chaudières Duval utilisant l'EPO 3ème génération
On a du mal à croire qu'il a changé son approche du cyclisme en ayant des budgets illimités aux Emirats. Mais évidemment on ne trouve rien dans les contrôles. L'histoire, époque Sky comprise, a prouvé qu'on trouvait toujours après.
Pour le moment, mes collègues entraîneurs et moi-même, avec ceux que j'entraîne, restons impuissants et tristes pour les vrais champions qui ne peuvent cueillir les lauriers de leur juste valeur.
Cette page a été mise en ligne le 20/07/2025