|
Actualité du dopage |
Introduction d'Antoine Vayer :
Deux records monstrueux ont été battus aujourd'hui par Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard, nos deux mutants habituels.
1°) Celui de la montée du Ventoux depuis Saint Estève jusqu'au Chalet Reynard, 9,53 km dans les bois à 9,19% qui appartenait à Nairo Quintana depuis 2020 en 28min05sec. Aujourd'hui, c'est quatre secondes de mieux (28min01sec) pour le tandem Vingegaard-Pogacar, soit du 20,4 km/h de moyenne pour 464 Watts Etalon.
2°) Celui de la montée du Ventoux depuis Saint Estève jusqu'au sommet, 15,7 km à découvert avec du vent contraire à 10 km/h sur le haut à 8,54%, un record qui appartenait à Iban Mayo depuis 2004 en 45min 47sec. C'est donc une minute de mieux pour Pogacar-Vingegaard, soit du 21 km/h pour 455 Watts Etalon.
C'est incroyable. Mais ce n'est pas tout. Derrière ces deux mutants, d'autres performances nous paraissent surnaturelles comme, par exemple, celles de Ben Healy et de Valentin Paret-Peintre. Nous ne livrons pas encore de chiffres. Nous allons prendre le temps de vérifier et d'affiner. Nous dénombrerons aussi les incroyables et répétées attaques à 500-600 watts du Français et de l'Irlandais dans la montée.
La débauche de puissance des deux mutants interloque. Elle est impossible humainement. Il y a un truc. Le comportement de certains autres coureurs, ponctuellement, apparaît surréaliste. Là aussi il y a un autre truc. Peut-être pas le même.
On dit que les voleurs ont toujours une longueur d'avance. Ou plusieurs. Peut-être qu'on peut en trouver une dans les modificateurs allostériques de l'hémoglobine. Ils semblent être particulièrement efficaces tout en étant hors de portée des radars de l'Agence Mondial Antidopage (AMA) qui regarde ailleurs. Pratique.
Marc Kluszczynski, notre contrôleur antidopage vous explique tout ça. Il est pharmacien et tient depuis des années la rubrique dopage de Sport et Vie. Il est un contributeur régulier de cyclisme-dopage.com. Il en connaît un rayon.
Qu'en pensez-vous ?
Par Marc Kluszczynski
Vous l'avez compris, on ne va pas trop s'inquiéter au sujet du rhume que va traîner le maillot jaune en troisième semaine du Tour (le peloton traîne aussi ses infections) car son équipe est passée maître dans l'interprétation de la liste des substances et méthodes interdites de l'AMA. L'utilisation d'inhalations de monoxyde de carbone (CO) avant le Tour de France 2024, qui cadrait pourtant parfaitement avec la méthode M 1.2 interdite (manipulation intravasculaire de sang) n'a pas été sanctionnée. Comment, en effet, distinguer cette méthode dopante de mise en hypoxie de celle qui établit la masse totale de l'hémoglobine et le volume plasmatique ? Ces deux paramètres sont essentiels pour « bonifier le profil sanguin ». Pourquoi l'AMA n'a pas inscrit le CO dans la liste interdite alors qu'il est utilisé en cyclisme depuis plus de vingt ans ? Bonne question ! Mais existe-t-il d'autres failles dans le règlement ?
Après le monoxyde de carbone, les modificateurs allostériques de l'hémoglobine ?
Si on considère la libération de l'oxygène par l'hémoglobine (Hb), la réponse est oui. Les modificateurs allostériques de l'hémoglobine sont apparus en 2009. Il faut attendre 2019 pour avoir un contrôle positif en hippisme où tout est interdit. C'est plus simple, cohérent et honnête. Un cas positif était officiellement survenu, mais on parle de plusieurs prélèvements positifs, avec l'ITTP (myo inositol trispyrophosphate) en France à la finale du Grand National de Trot, avec Cicero Noa entraîné par Jan Vanhoucke.
Dans l'organisme, c'est le 2,3-diphosphoglycérate (2,3-DPG) qui règle l'affinité de l'oxygène pour l'hémoglobine. Un taux plus élevé de 2,3-DPG diminue cette affinité. L'oxygène se trouve relargué plus facilement vers les muscles. On parle d'un déplacement à droite de la courbe de dissociation de Hb-O2. L'ITTP et ses dérivés délestent plus facilement l'hémoglobine de son oxygène que le DPG : 35% contre 20%. Ces 15% d'oxygène en plus représentent un gros avantage pour les muscles à l'effort. La mise en hypoxie modérée favorise la sécrétion d'EPO dans les limites physiologiques, laissant le sportif dans les limites du passeport sanguin (pas plus de 1 g/dl en plus pour l'hémoglobine).
Ces nouvelles substances devraient devenir des médicaments. En induisant une légère hypoxie, elles ralentissent l'évolution des cancers. Elles seraient également utiles dans le traitement des insuffisances ventriculaires droite et gauche. Elles ne présentent pas de toxicité, à part une hypercalcémie transitoire, d'après des essais thérapeutiques débutés en 2021. Leur demi-vie est courte : 1 à 3 heures (intéressant dans une pratique dopante). L'un des effets indésirables qu'ils peuvent provoquer est (précisément) les infections des voies respiratoires supérieures, comme les rhumes.
Hypoxie, oxygène et faille béante dans la liste AMA
Bizarrement, l'AMA ne cite pas cette classe de substances. Elle ne parle que d'une méthode interdite d'amélioration artificielle de la libération de l'oxygène (M 1.2). Mais celle-ci n'existe pas. Certaines équipes se sont aperçues de la faille et en l'exploitant, elles pourraient alors parler d'une bonification de la libération de l'oxygène. Si l'AMA a rajouté à sa liste la catégorie S.0 des substances en développement, il n'y a jamais eu de cas positif à une substance S.0 car leur test de détection n'existe pas ! Quant à l'ITTP, il n'apparaît même pas dans l'index des substances interdites apparu en 2023. Depuis, d'autres dérivés ont été synthétisés, indétectables et vraisemblablement employés en cyclisme. Il n'y a jamais eu de cas positif à ces substances.
Marc Kluszczynski est pharmacien
Il est titulaire du diplôme universitaire de dopage de l'université de Montpellier (2006)
Il est responsable de la rubrique "Front du dopage" du magazine Sport & Vie et collabore à cyclisme-dopage.com
Cette page a été mise en ligne le 22/07/2025