Actualité du dopage

Tour de France : Astana, le passé recyclé


25/07/2014 - lemonde.fr - Stéphane Mandard

Avant le Tour de France 2013, la cellule dopage de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp) avait récupéré un tuyau : le mode opératoire présumé d'approvisionnement de l'équipe Astana en produits pas forcément très licites. Pendant cette 100e édition de la Grande Boucle - sur laquelle Vincenzo Nibali avait préféré ne pas s'aligner après sa conquête du Giro -, les enquêteurs de l'Oclaesp ont surveillé de près les allers et venues de la formation kazakhe. En vain.

Même vigilance, cette année, envers l'équipe de celui qui s'apprête à rallier les Champs-Elysées, dimanche 27 juillet, le maillot jaune sur les épaules. Avec le même résultat. Faute de commission rogatoire, les gendarmes n'ont pas pu pratiquer d'écoutes téléphoniques, par exemple, et en ont été réduits à de « l'observation ». « Les gars sont sur la défensive, ils se méfient de nous. Ce sont des "pros" », résume une source proche des enquêteurs.

Astana, qui porte le nom de la capitale du Kazakhstan, son principal bailleur de fonds, est dans le collimateur des autorités antidopage depuis son apparition dans le peloton. Longtemps, un astre solaire a irradié son maillot. Il faut dire que cette équipe est née en 2006 sur les cendres encore incandescentes de Liberty Seguros, brûlée lors de l'opération Puerto - qui a mis au jour le vaste réseau de dopage sanguin organisé depuis Madrid par le médecin Eufemiano Fuentes.

DÉFENSE DES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES FRANÇAIS AU KAZAKHSTAN

Faute d'un nombre suffisant de coureurs, l'équipe n'est pas en mesure de s'aligner sur le Tour 2006. Mais les organisateurs de la Grande Boucle l'acceptent au départ de l'édition suivante - au nom de la défense des intérêts économiques français au Kazakhstan, comme l'expliquera au Monde un ancien dirigeant d'Amaury Sport Organisation, le propriétaire de la course.

Mal leur en prend : le Tour 2007 tourne au scandale avec le contrôle positif du coureur vedette de la formation. Alexandre Vinokourov est déclaré positif à une transfusion sanguine, après sa victoire homérique et en solitaire lors de la 13e étape. L'équipe se résigne à quitter la course, suspend ses activités et licencie son leader. Un malheur n'arrivant jamais seul, début août, c'est le grand espoir d'Astana, Andrey Kashechkin, qui est à son tour déclaré positif pour une transfusion sanguine.

Deux mois plus tard, Johan Bruyneel, le mentor de Lance Armstrong lors de ses sept Tours victorieux (1999-2005), annonce qu'il prend les rênes de l'équipe. Et qu'il ramène dans ses valises Alberto Contador, le vainqueur de l'édition 2007. Couvé par le parrain du cyclisme espagnol, Manolo Saiz, au sein de Liberty Seguros, le « Pistolero » était resté chez Astana après l'opération Puerto avant de rejoindre la formation américaine Discovery Channel du Belge Bruyneel pour y remporter sa première Grande Boucle.

« TRAITEMENT DE FAVEUR »

Echaudés par les affaires de 2007, les organisateurs du Tour ne retiennent pas l'équipe kazakhe pour l'édition 2008 malgré ses deux recrues vedettes. Cela n'empêche pas Astana, grâce à Alberto Contador, de remporter le Giro et la Vuelta. En septembre, l'équipe fait à nouveau parler d'elle. Le retraité Armstrong annonce son retour dans le peloton, auprès de son directeur sportif de toujours, Johan Bruyneel. Astana se présente donc au départ du Tour 2009 avec deux leaders : Armstrong et Contador. A Paris, c'est l'Espagnol qui rafle son deuxième maillot jaune. L'Américain monte sur la troisième marche du podium. Et Astana remporte le classement par équipes.

Un triomphe assombri, quelques semaines plus tard, par la divulgation dans ces colonnes (Le Monde du 5 octobre 2009) d'un rapport de l'Agence française de lutte contre le dopage dénonçant le « traitement de faveur » dont a bénéficié, pendant la course, la formation du vainqueur de la part des contrôleurs de l'Union cycliste internationale (UCI). Comme le révélera également Le Monde, le parquet de Paris ouvrira une enquête préliminaire après la saisie par les gendarmes de l'Oclaesp de matériel de perfusions au sein de la formation, lors de ce même Tour de France.

NIBALI « PORTE-DRAPEAU DE LA LUTTE ANTIDOPAGE »

Bruyneel et Armstrong, qui ont du nez, plaquent Astana à la fin de la saison pour fonder leur propre équipe, RadioShack. La voie est libre pour le retour de l'enfant du pays, Alexandre Vinokourov, qui a purgé sa suspension. Sur le Tour 2010, le Kazakh remporte une étape et permet à Alberto Contador d'être sacré une troisième fois. Mais Astana est de nouveau rattrapée par les affaires. En septembre, l'UCI annonce que Contador a été contrôlé positif au clenbutérol lors de la deuxième journée de repos. Après une longue procédure, l'Espagnol est suspendu un an et déchu de son titre.

Contador parti à la concurrence, le Tchèque Roman Kreuziger devient le nouveau leader de l'équipe pour la saison 2011-2012. Deux semaines avant le départ du Tour 2014, son équipe actuelle, Tinkoff, l'a mis à pied après avoir été informée par l'UCI de l'ouverture d'une procédure disciplinaire en raison d'anomalies dans son passeport biologique en 2011 et 2012. Fin 2012, après six saisons chez Liquigas - pas non plus exempte d'affaires de dopage -, Vincenzo Nibali, après avoir terminé troisième du Tour, signe chez Astana. En 2013, le « requin de Messine » fait l'impasse sur la Grande Boucle pour empocher son premier Giro. En 2014, l'Italien se prépare à inscrire son nom au palmarès du Tour de France, s'est autoproclamé « porte-drapeau de la lutte antidopage », et assure que « beaucoup d'erreurs ont été faites mais [qu']elles appartiennent au passé ».

LA MÉDECIN D'ASTANA ENTENDUE COMME TÉMOIN AU PROCÈS PUERTO

Un passé recyclé dans l'encadrement chez Astana. Alexandre Vinokourov, qui a mis un terme à sa carrière de coureur après son sacre olympique à Londres, est aujourd'hui le manageur général de l'équipe. « Vino », qui s'entraînait avec une tunique noire en signe de ralliement au préparateur italien Michele Ferrari - connu pour avoir fait les heures de gloire de Lance Armstong -, se targue maintenant d'avoir inscrit son équipe au Mouvement pour un cyclisme crédible et clame « la stratégie de [son] équipe : 100 % sans dopage ».

Le Kazakh a promu son compatriote Dimitriy Fofonov et engagé l'Italien Stefano Zanini comme directeurs sportifs. Le premier a été contrôlé positif lors du Tour 2008. Le second figure sur la liste noire des coureurs du Tour 1998 « positifs » à l'EPO, exhumée juste après l'arrivée de la Grande Boucle 2013 par la commission d'enquête sénatoriale sur l'efficacité de la lutte contre le dopage. Ce n'est pas tout : Raquel Ortolano, le médecin d'Astana, a été entendue comme témoin, en février 2013, au tribunal pénal de Madrid, dans le cadre du procès de l'opération Puerto : elle officiait en effet dans les rangs de Liberty Seguros quand les protégés de Manolo Saiz consultaient le bon docteur Fuentes.

Quant à Giuseppe Martinelli, qui dirige l'équipe de Vincenzo Nibali sur le Tour 2014, il a échappé par miracle à un renvoi devant le tribunal de Padoue, en Italie, avec ses anciens collaborateurs de l'équipe Lampre. En 2008, les carabiniers avaient démantelé un réseau de dopage organisé avec EPO, hormone de croissance et anabolisants au sein de la formation dirigée par Martinelli entre 2005 et 2007. Giuseppe Martinelli est aussi le directeur sportif du dernier Italien vainqueur du Tour : en 1998, Marco Pantani remportait le Tour de l'affaire dite Festina qui révélait au grand jour le dopage organisé dans le peloton. Mais Vincenzo Nibali, qui fêtera ses 30 ans le 14 novembre, le répète : « Tout ça, c'est du passé. »


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Cette page a été mise en ligne le 26/07/2014