Actualité du dopage

Uberisation et Lalannisation au Tour de France

14/07/2022 - cyclisme-dopage.com - Antoine Vayer

Hier, juste après l’étape, beaucoup ont réagi sous le coup de l’émotion. Ce matin encore à la lecture des commentaires et de la production de la presse spécialisée, vendeuse de soupe qui la nourrit ou naïve qui relaie par facilité, fainéantise ou méconnaissance, l’émotion perdure. Elle a un goût de nouveau la soupe populaire de l’étape que nous avons vécue hier. Une aubaine avec un ascenseur émotionnel après que les coureurs ont gravi le toît du Tour de France, le Galibier, rebaptisé Souvenir Henri Desgranges, du nom du créateur de l’épreuve, à 2642 m d’altitude, avant de conclure au Col du Granon à 2404 m. Là-haut, il y a 36 ans, comme Pogastrong cette année un autre coureur perdit son maillot jaune : Bernard Hinault. L’immense joie largement partagée, surtout parmi les passionnés, de ceux qui veulent encore croire benoîtement au beau vélo, cette émotion est uniquement née d’une frustration. C’est la joie de voir perdre le jeune Slovène qui domine outrageusement et de manière tellement indécente le cyclisme en développant anormalement 6,5 watts par kilo partout et tout le temps, pendant des dizaines de minutes. NOTNORMAL. Cette allégresse et cet emballement ont fait perdre toute lucidité, même aux plus rationnels soudain gagnés par une sensation de soulagement béat et vibrant. L’euphorie a presque été aussi grande que si Tadej avait été rattrapé par la patrouille après un test positif à un contrôle antidopage. Pourtant nos radars ont bien flashé. Pour l’instant, c’est passé inaperçu. Pas pour moi. Il faut calmer sa joie. Au moins, cela aura permis à beaucoup de découvrir les effets du pot belge ou de la cocaïne sans avoir eu besoin d’en prendre.

Tadej Pogacar, défait, entouré de gardes du corps au Granon
Source : Frédéric Portoleau - 13/07/2022

4,95 kilomètres à 442 Watts Etalon en haut du Granon

Il faut calmer sa joie. Dans notre troisième radar (sur sept), le col du Granon en fin d’étape, Vingegaard en 35’56’’ et 419 Watts Etalon (6,1 w/kg) a réalisé une performance extraordinaire surtout avec la montée du Galibier juste avant. Il a battu de 5’14’’ le record de Lemond qui avait développé 377 Watts Etalon en 1986. On est en haute altitude, où on pousse normalement beaucoup moins de watts. Le rendement aérobie doit être affecté par la moindre densité de l’oxygène. Mais SURTOUT, le jeune Danois a produit une incroyable attaque finale, en solitaire, pendant 15’21’’ sur 4,95 kilomètres à 19,35 km/h et 442 Watts Etalon, soit 6,45 w/kg. Le tout à une altitude moyenne de 2170m. On s’y attendait. Nous vous l’avions prédit ici, à quelques secondes près. Mais nous pensions que la performance viendrait d’un Pogastrong, possiblement suivi par Vingegaard. Mais le jeune Danois, successeur de Bjarne Riis et de Michael Rasmussen, tous deux déclassés pour dopage lourd, a relégué le phénomène prodige et « nouvel Eddy Merckx » slovène chasseur d’ours à 2’51’’, en moins de 5 kilomètres donc. Le Maillot Jaune défait a prétexté une fringale. Dans ce cas, il aurait dû finir à plus de 15 minutes. Il ment, comme d’habitude. Mais la presse tient là une explication qui lui paraît rationnelle. Elle a déjà peur du retour de bâton dans l’Alpe d’Huez aujourd’hui si le Slovène remet les doigts dans le pot de confiture pour refaire son stock de glycogène hépatique et musculaire. Pogastrong expliquait pourtant l’an passé que le peloton s’était sûrement mal préparé et mal entraîné pour qu’il le domine si facilement. Il commet une erreur de cadet en s’alimentant mal, à l’heure où les taux de glycémie peuvent pratiquement être scrutés sur son compteur grâce à des capteurs embarqués (lire notre chronique Du 2.0 au 3.0) et à l’heure où on vante l’expertise des scientifiques qui encadrent les équipes.

Le profil de puissance de Vingegaard que nous nous avions commencé à scruter parce que le nouveau Maillot Jaune nous inquiète depuis quelque temps nous donne l’assurance que cet athlète est désormais définitivement NOTNORMAL. Nous avons établi plus de 100 profils de puissance de coureurs, actuels et ou passés, sur l’ensemble de leur carrière. C’est une base de données impitoyable. La base de Tous dopés ? La preuve par 21. Il n’y a pas de dopage, que des preuves de dopage : les watts.

Le profil de puissance de Jonas Vingegaard
Source : Antoine Vayer (avec Frédéric Portoleau) - 14/07/2022

Dans le regard et dans la chose regardée

Hier aussi, le site Mediapart titrait Macron ou l’ubérisation de l’éthique, pendant qu’un « éditorialiste » de BFMTV parlait de “Lalannisation des esprits”". Le traitement du Tour de France, c'est les deux à la fois. Sur la Grande Boucle, le beau comme le laid sont dans le regard et dans la chose regardée. Le vent soufflait bien en début d'après-midi et s'est calmé à l'heure de la course, laissant place à une tempête de watts, d’abord explosifs. Après les lacets de Montvernier où deux équipiers de Vingegaard, Laporte et Van Aert étaient présents dans l’échappée pour servir de relais ensuite, le festival d’attaques des coureurs de Jumbo Visma avec Roglic et Vingegaard a commencé à grands coups de 500-600 watts Etalon dans le col du Télégraphe où le record de 2011, établi par Andy Schleck et Contadormirdebout (11,9 km à 7,1%, 30’26’’ à 23.56 km/h pour 443 Watts Etalon) n’a néanmoins pas été battu. Il a toutefois été approché. Il a manqué une accélération plus précoce. A l’époque, les deux larrons, en haut de l’Alpe d’Huez, avaient dépouillé Thomas Voeckler de son maillot jaune. Le Français lunaire à l’époque pensait le garder à vie. Rappel : Evans gagne ce Tour 2011 et Contadormirdebout voit sa 5ème place au classement général effacée des tablettes. La faute à un steack, paraît-il. Mon oeil.

Hier donc, les coups de boutoirs ont continué dans l’ascension du Galibier. Un, puis deux, puis trois, puis quatre exercices de PMA (Puissance Maximale Aérobie) : presque du 30’’/30’’ comme à la grande époque Rasmussen vs Contador dans les Pyrénées. Avant que l’ancêtre danois ne soit exclu. Puis, finalement, tout le monde s’est progressivement regroupé dans la descente. Il faut calmer sa joie. Dans la montée, on a vu un Romain Bardet incroyable, qui a été tout près de battre les record du Colombien Soler en 2007 (1h25’45’’), tant sur l'enchaînement Télégraphe - Galibier en 1h26’57’’ (il s’en est fallu de 1’12’’) que sur le Galibier, seul, 17,9 kms à 6,9% en 48’19’’ pour presque 400 Watts Etalon ! Son genou est décidément bien réparé. Il a répété plusieurs fois ressentir une gêne. Comme pour s’excuser d’avoir à se soigner. Qui sait ? 3ème de l’étape à 1’10’ de Vingegaard, 2ème au classement général, on espère qu’il va tenir. Le genou, bien sûr.

Fidèle à lui-même, Warren Barguil a chassé le maillot de meilleur grimpeur dans une magnifique échappée en solitaire depuis le matin. Ses crampes ont nourri le côté dramatique de l’étape. Cela fait quelques années qu’on n’avait pas vu de crampes sur le Tour de France, devant pour la gagne. Barguil a perdu presque 30’’ par tranche d’un kilomètre dans l’ascension du Granon. Son pécule de près de quatre minutes qu’il avait au pied sur Vingegaard a donc fondu rapidement. Il a vu passer Nairo Quintana, son coéquipier, Colombien revenant qui, on espère, ne sera pas perquisitionné cette année. Le Breton a terminé à 4’16’’ du Danois.

On a aussi revu Geraint Thomas, le Gallois de 36 ans, qui remet son grand plateau dans les fins d’ascensions, presque comme avant, en 2018 . Cela promet. Calmons notre joie. Méfions-nous des corticoïdes, c’est interdit normalement.

Vingegaardaricco , Viking inconnu

L'horizon du jeune Vin-ge-gaard, ému, en larmes à la présentation des équipes au départ à Copenhague, obligé d'emballer des harengs au marché selon la légende, dans un pays qui culmine à 173 m d'altitude, s'est élevé à 2404m à presque 450 Watts Etalon pendant 15’21’’. Il paraît que s'entraîner face au vent dans les plats pays revient au même que monter des cols. Pour restituer l’altitude, il existe aussi des pièces en hypoxie que vous pouvez monter chez vous. Il y a aussi les transfusions sanguines ou l’EPO, mais c’est interdit. J’avais repéré ce nouveau Vicking à l’occasion de sa victoire au radar du Jebal Jais sur le Tour de l’UAE. C’était devant Pogastrong justement, début 2021. Ils sont rares ceux qui ont battu le Slovène, surtout sur la course de son sponsor, qu’il gagne chaque année.

Les experts journalistes passionnés comme Guillaume di Grazia sur Eurosport le reconnaissent mieux maintenant. Il est « gaulé comme un haricot ». 60 kilos tout mouillé. Il est aussi fort en montagne que contre-la-montre où il obtient maintenant de prodigieux résultats depuis l’an passé. Son idole d’enfance dans le vélo, c’était Ricardo Ricco, banni pour dopage comme Bjarne Riis, comme Michael Rasmussen. Eux aussi avaient des performances NOTNORMAL et leurs profils de puissance les ont trahi.

Désormais nous appellerons Jonas, Vingegaardaricco. Car il faut se méfier de l’émotion.


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Cette page a été mise en ligne le 14/07/2022