Brève

Le paradoxe Sky


19/05/2014 - cyclisme-dopage.com - Marc Kluszczynski

Sky est l'équipe qui domine le Tour de France depuis deux ans avec les victoires de Bradley Wiggins en 2012 et Chris Froome en 2013. Pour couper court à toutes les rumeurs de dopage, le directeur sportif, Dave Brailsford, explique les succès de l'équipe dans les courses à étapes par des nouvelles méthodes d'entraînement instaurées par Tim Kerrison et Shane Sutton issus de la natation, des stages en altitude très durs à Teide (île de Ténériffe), l'endroit à la mode parmi les équipes du Pro Tour, et le souci du détail dans tous les domaines, comme l'engagement de biomécaniciens et d'ingénieurs issus de la Formule 1. Avant le Tour de France 2012, Wiggins avait réalisé 100.000 m de dénivelé à des allures soutenues sur les routes de l'île espagnole. Sky, au budget illimité, a été créée en 2010 avec comme but suprême et avoué de remporter le Tour de France à l'eau claire et dans les cinq ans, ce qu'elle a réussi en deux ans. Au moins pour la seconde partie de la proposition. Alors bien sûr, on se pose des questions. Bien sûr, il y eu des couacs qui contrastaient avec la tolérance zéro envers le dopage de Dave Brailsford : l'engagement du Dr Geert Leinders, spécialiste du dopage sanguin chez Rabobank (alors que Brailsford avait déclaré vouloir n'engager que des médecins extérieurs au cyclisme), la présence dans l'équipe d'anciens dopés ou de client du Dr Ferrari comme Michael Rogers. Celui-ci partira chez Saxo-Tinkoff en 2013. Et puis il y eu l'affaire du Tour d'Espagne 2010, où toute l'équipe dû se retirer, victime d'une maladie virale inconnue. Après la victoire de Froome au Tour de France 2013, le manque de transparence de Brailsford le met en décalage avec sa volonté affichée.

Alors dopage ou pas dopage chez Sky ? La question est mal posée et comme disent les anglais " Time will tell ". Mais nul doute que l'entraînement imposé aux coureurs de l'équipe est très dur. Avant le Tour de Romandie 2013, le journaliste Paul Kimmage avait révélé qu'un coureur de l'équipe avait du perdre 5 à 6 kg en 2 ou 3 semaines pour pouvoir s'aligner au départ ! En 2013, Wiggins avait l'air d'être épuisé nerveusement ; il parlait même d'abandonner les épreuves sur route pour se consacrer à la piste en vue des JO de Rio 2016. Après avoir repris quelques kilos, il signait une belle 9ème place à Paris-Roubaix en avril dernier. Sa victoire au Tour de Californie signe son retour en forme. Ce sera la même histoire pour Froome. Le vainqueur du Tour 2013 abandonnera lors de la dernière étape du Tour du Colorado le 25 août, et décidera de reprendre les kilos perdus depuis quelques mois. Sa dernière compétition 2013 sera le championnat du monde par équipe à Florence fin septembre.

En 2014, c'est l'hécatombe dans l'équipe. L'australien Richie Porte, artisan majeur des deux victoires du Tour de France, avait pourtant bien commencé sa saison avec une 2ème place au Tour Down Under en janvier. Mais il a dû abandonner ensuite à Tirreno-Adriatico en mars, puis au Tour de Catalogne, Liège-Bastogne-Liège, et au Tour de Romandie. Kerrison n'en dira pas beaucoup sur les ennuis de santé de Porte ; tout juste apprend-on que, sa maladie s'étant installée dans la durée, il récupère lentement. Du côté de Froome, ce n'est pas mieux non plus : absent de Tirreno-Adriatico à cause d'un problème vertébral ou musculaire, il est ensuite victime d'une infection pulmonaire et ne peut se présenter à Liège-Bastogne-Liège. Il effectuera sa rentrée en mai au Tour de Romandie, qu'il gagne comme en 2012, se payant le luxe de remporter le contre-la-montre devant le champion du monde Tony Martin (OPQS). Peter Kennaugh, vidé et sans force, ne peut s'aligner sur la doyenne et au Giro. D'autres ont été blessés ou malades : Vasil Kiriyenka, Chris Sutton, Ian Stannard, Joe Dombrowski. Les passeports sanguins de Jonathan Tiernan-Locke et Sergio Henao présentent des anomalies, qui obligent Brailsford à les retirer de la compétition. Sky n'avait que 12 coureurs valides sur 29 pour la Flèche Wallonne (23 avril) et le Tour du Trentin (22 au 25 avril), gagné par Cadel Evans (BMC). (Le vainqueur du Tour 2011, amaigri, est apparemment remis d'une mystérieuse maladie virale qui a duré deux ans. Thor Hushovd et Philippe Gilbert, quant à eux, n'ont jamais retrouvé leur forme de 2010 et 2011.) Sky n'a donc pu présenter d'équipe complète sur Liège-Bastogne-Liège et la Flèche Wallonne. L'équipe anglaise, qui, il est vrai, n'a jamais brillé sur les classiques, place son 1er coureur, Nathan Earle, à la 70ème place de Liège-Bastogne-Liège. La meilleure place de Sky dans ces classiques est la 39ème place d'Edwald Boasson Hagen à l'Amstel Gold race. Au Giro, aucun coureur n'est capable de monter sur le podium (Dario Cataldo 19ème après la 6ème étape, Konstantin Siutsu).

Dave Brailsford explique par la malchance cette succession de maladies et blessures. Sûrement. Mais cette malchance résulte aussi d'un recul du dopage dans le peloton. Un bon vieux dopage à l'EPO des années 90 permettait de mieux récupérer et de moins puiser dans ses réserves. D'autres coureurs d'autres équipes sont aussi un ton en dessous cette année : Vincenzo Nibali, Rui Costa, pour ne citer qu'eux. Si le dopage a reculé, la pression sur les coureurs, elle, n'a pas disparu. Il faut compenser par un entraînement de plus en plus inhumain, couplé à une perte de poids de plus en plus importante. Le résultat, c'est l'épuisement physique et nerveux, et la maladie : Rein Taaramäe, l'estonien de la Cofidis, a même envisagé d'abandonner le cyclisme à cause de soucis de santé ces deux dernières années.

Au même moment et les ennuis n'arrivant jamais seuls, Michael Barry, ancien cycliste canadien chez la Sky de 2010 à 2012, avoue dans son autobiographie " Shadows on the road ", son usage du tramadol, analgésique opioïde de niveau II, ainsi que celui d'autres coureurs de l'équipe anglaise. L'antalgique, placé sur la liste de surveillance en 2012, lui permettait d'appuyer plus fort sur les pédales, tout en restant euphorique (mais le risque de chutes est théoriquement augmenté à cause d'effets indésirables constitués de vertiges). Le canadien ne décrit certes pas de dopage dans l'équipe. Mais, en cyclisme, dorénavant, il sera de plus en plus difficile d'être catalogué comme un surhomme !


Marc Kluszczynski est pharmacien
Il est titulaire du diplôme universitaire de dopage de l'université de Montpellier (2006)
Il est responsable de la rubrique "Front du dopage" du magazine Sport & Vie et collabore à cyclisme-dopage.com


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Cette page a été mise en ligne le 19/05/2014