Actualité du dopage

Tour de France 2023: quelles sont les dernières techniques de dopage ?


12/07/2023 - liberation.fr - Romain Boulho

Dominé par le duo Vingegaard-Pogacar, l'édition 2023, comme ces dernières années, échappe pour l'instant à tout scandale. Recours aux cétones, dopage génétique, fraude technologique... «Libé» fait le point sur l'état de la lutte contre la triche dans le cyclisme.

Jonas Vingegaard a débarqué samedi 8 juillet dans la pipi-room ambulante du Tour de France comme un patron, les bras en l'air, et quand il en est ressorti, il a confirmé à Libé non pas une, mais deux fois que le pipi était bon. C'est une bonne nouvelle : la vessie du Danois, si ce n'est pas celle de son rival Tadej Pogacar, devrait opérer à fond après les étapes puisque le porteur du maillot jaune a l'obligation de se soumettre chaque soir à un test antidopage. Depuis plusieurs années, la lutte contre les tricheurs sur le Tour est en sous-régime : est-ce à dire que le vélo devient plus propre ? Que les coureurs dopés passent inaperçus ?

Il y a, bien sûr, ces records d'ascension, auparavant détenus par des coureurs au sang épaissi par l'EPO dans les années 90 et 2000, désormais battus tous les ans ou presque par les carnivores du peloton. Ces impressions visuelles, de corps qui ne souffrent pas tous pareil. Surtout, les propos déconcertants dans Ouest- France de Jean-Jacques Menuet, docteur de l'équipe Arkéa-Samsic jusqu'en 2022, certes «persuadé que ce sport est beaucoup plus propre qu'avant» mais qui voit « des artistes, devant, qui ne [l'intéressent] pas. Des artistes qui [lui] paraissent suspects ». « On peut craindre, malheureusement, qu'il y ait deux vitesses », avertit le médecin. Libération fait le point sur le dopage et la lutte à son encontre dans le vélo, alors que le Tour s'achemine vers la haute montagne et les Alpes en fin de semaine.

Les contrôles sur le Tour : double ration pour les têtes d'affiche

Si le maillot jaune subit un contrôle dès l'étape terminée, il n'est pas le seul : le vainqueur et quelques coureurs tirés au sort doivent également se soumettre à des tests après avoir franchi la ligne. En plus de ces tests, des contrôles ciblés se déroulent le matin ou le soir, à l'hôtel ou au bus des équipes, urinaires ou sanguins, qui peuvent être liés à leurs performances, à l'évaluation des données de leurs passeports biologiques (le suivi au fil des ans des variations physiologiques) ou sur la base de renseignements de l'équipe chargée des investigations par l'Union cycliste internationale (UCI). Les tests peuvent être faits entre l'hôtel, le bus et l'arrivée. Avant le début du Tour, l'ensemble des coureurs est contrôlé, sans parler des contrôles inopinés réalisés hors compétition, beaucoup plus susceptibles de débusquer les tricheurs. Depuis 2021, l'UCI délègue son programme antidopage sur le Tour de France à l'International testing agency (ITA), soutenue par l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), qui lui prête notamment son laboratoire de Châtenay-Malabry.

Les cétones, une vieille rengaine ?

Un produit agite les fantasmes et divise le peloton depuis presque dix ans désormais, les cétones. Les corps cétoniques existent naturellement dans notre corps. Ils sont fabriqués par le foie lorsque le corps commence à utiliser du gras au lieu des glucides pour créer de l'énergie. Pas interdites et disponibles sous forme de compléments alimentaires, les cétones sont utilisées par plusieurs équipes professionnelles, comme la Jumbo-Visma du maillot jaune Vingegaard, ou par l'actuel champion du monde, le Belge Remco Evenepoel. Ils permettraient, à l'occasion d'une utilisation hors compétition, une perte de poids rapide, le nerf de la guerre aujourd'hui, et, pendant les courses, de repousser le plus longtemps possible l'utilisation des glucides.

Aucune étude n'a certifié leur utilité absolue et les retours sont divisés. « Pendant l'effort, c'est très discutable, à tel point que ce n'est quasiment plus utilisé pendant les courses, juge Samuel Maraffi, le médecin de Total Energies, dans l'Equipe. Dorénavant, ce n'est vraiment utilisé qu'en récupération par certains. Il y a plus de data sur les effets positifs dans ce cadre-là. En mangeant des protéines et des glucides durant la collation et en ajoutant des cétones, ça peut maximiser la synthèse de glycogène [qui se réalise dans le foie lorsque le taux de glucose dans le sang est élevé]. Ça permettrait, en gros, de superbement récupérer. »

Dès 2017, dans Libé, Denis Riché, le nutritionniste de Romain Bardet, estimait de son côté que ce gel pourrait servir d'écran de fumée aux corticoïdes ou aux médicaments génétiques : « La rumeur des cétones permet peut-être de masquer d'autres pratiques. On se rappelle des marathoniens italiens qui ne mangeaient pas de glucides dans les années 90 mais qui compensaient en s'oxygénant [à l'aide d'EPO, ndlr]. Ou encore du laboratoire américain Balco qui prétextait une nutrition révolutionnaire mais qui en réalité dopait ses athlètes. »

Le Thyrax, la nouvelle mode ?

Jusqu'à un papier de Wielerflits en mars, on n'avait jamais entendu parler du Thyrax. Le site néerlandais spécialisé dans le vélo relaie l'inquiétude de certains coureurs au sujet de ce médicament utilisé normalement en raison d'un manque d'hormones thyroïdiennes. Le produit permettrait de résoudre la quadrature du cercle des cyclistes : comment perdre du poids tout en gardant de la puissance en pouvant continuer de manger. Lors d'un effort violent, les coureurs vont au au-delà d'eux-mêmes. La glande thyroïde a tendance alors à freiner sa production d'hormones thyroïdiennes, très importantes dans le métabolisme des lipides, des protéines et des glucides, comme un signe d'alerte pour dire stop au corps, « maintenant on s'arrête ». Pour Ralph Moorman, coach santé cité par le média flamand, « la booster un peu avec une substance comme le Thyrax aura immédiatement un effet positif ».

Les conséquences de la prise non adaptée de ce médoc inquiètent. Selon Ralph Moorman, « un excès d'hormones thyroïdiennes n'est certainement pas sans danger et a des effets secondaires tels qu'une fréquence cardiaque fortement augmentée [et le risque de mort subite], une dégradation osseuse accélérée, une augmentation de la température corporelle et de la diarrhée ». « Que les instances de dopage n'interdisent pas ces hormones thyroïdiennes, c'est criminel !» s'insurge de son côté Jean-Jacques Menuet (...), toujours dans Ouest- France.

Le dopage génétique

La nouvelle menace ? Modifier son patrimoine génétique pour stimuler la production d'une substance, par exemple, au pif, l'érythropoïétine (EPO, qui stimule la fabrication des globules rouges et favorise ainsi l'oxygénation) : voilà qui inquiète, depuis de nombreuses années, les agences de lutte contre le dopage, quand bien même aucun cas, dans le vélo comme ailleurs, n'a jamais été détecté. Ce détournement de la thérapie génique est « une menace avérée, un vrai sujet à surveiller, selon Jérémy Roubin, secrétaire général de l'AFLD, interrogé par l'AFP. Il y a eu un effet d'accélération ces dernières années avec des mises en oeuvre pratiques en thérapie génique [par exemple les vaccins à ARN messager pour lutter contre le Covid] qui ont rendu ces techniques plus accessibles. » Un constat partagé par Olivier Rabin, le directeur scientifique de l'agence mondiale antidopage. Lui dit, cité par l'AFP : « J'ai des éléments tangibles pour penser que ce n'est pas seulement de la théorie. »

En avril, les parlementaires français ont adopté le projet de loi relatif aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Son article 4 donne la possibilité à l'AFLD d'effectuer des tests génétiques pendant les prochains JO de Paris, afin de pouvoir déceler une éventuelle manipulation génétique.

Le dopage mécanique

Longtemps, la crainte d'un moteur caché dans le vélo fut un mirage, l'ultime perversion de l'équité sportive. Ce tabou a été mis à mal par des performances irréelles commises par certains coureurs, en premier lieu le Suisse Fabian Cancellara lors du Tour des Flandres 2010 et de Paris-Roubaix de la même année. Vainqueur des deux épreuves grâce à des accélérations décoiffantes, le Suisse avait été pris pour cible par ses adversaires.

Samedi, à l'arrivée à Limoges, près du camion menant les contrôles antidopage, une toile noire cache des vélos en train d'être pesés et passés aux rayons X. Un chaperon, alpagué par un gamin, convient que la fraude technologique a pu arriver dans le passé, mais se montre catégorique : ce n'est plus le cas. Pour preuve, il désigne le scan puissant et mobile qui met à nu les entrailles des vélos. De fait, si aucune preuve n'a été apportée pour le cas Cancellara, le tabou a été brisé en 2016, quand un moteur fut découvert dans le vélo de la Belge Femke Van den Driessche lors des mondiaux de cyclo-cross.

Quels sont les derniers cas avérés de dopage ?

Le Mouvement pour un cyclisme crédible (MPCC) a recensé 29 cas de dopage en 2022, le plus souvent chez les semipros. Sharry Bossuyt, jeune coureuse belge prometteuse de 22 ans, a été contrôlée positive au métabolite du Létrozole, un médicament interdit, lors d'une course en Normandie en mars. Depuis, elle crie son innocence et jure qu'elle n'avait jamais entendu parler de ce produit. Elle est persuadée qu'elle a été victime d'une contamination alimentaire, de viande ou de lait. Coïncidence troublante, elle a été contrôlée à quelques kilomètres de là où l'a été Toon Aerts en février 2022. Le cyclocrossman accuse également les produits normands.

Sur le Tour l'année dernière, le Colombien Nairo Quintana a été disqualifié de sa sixième place au général après deux contrôles positifs au tramadol, un puissant antalgique permettant d'oublier la douleur, un temps à la mode dans le peloton. Le produit est interdit en compétition depuis 2019. Le coureur est aujourd'hui sans équipe. Une autre star sud-américaine dans le collimateur est Miguel Angel Lopez, pour ses liens avec Marcos Maynar, un docteur suspecté d'être à la tête d'un trafic de produits dopants. « Superman », son surnom, s'est fait virer d'Astana. Il s'est exilé dans son pays, au Team Medellin, où il écrase la concurrence dans des courses nationales, peut-être moins regardantes en matière de lutte contre l'aide médicamenteuse.


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Cette page a été mise en ligne le 01/01/2024