Actualité du dopage

Tour de France : le dopage c'est comme le vélo, ça ne s'oublie pas


03/07/2015 - liberation.fr - Pierre Carrey

Alors que la Grande Boucle s'élance ce samedi des Pays-Bas, les rumeurs sur un regain de triche se multiplient. Des soupçons nourris par la hausse des vitesses sur les dernières grandes courses et la faiblesse de l'UCI.

Avis de tempête sur le Tour de France 2015. L'épreuve, qui démarre ce samedi d'Utrecht (Pays-Bas), reste sous la menace d'une affaire de dopage, à en croire plusieurs signaux passés au rouge ou à l'orange vif. Les dérives, manifestement à la baisse sur ces dernières éditions, pourraient grimper en flèche. D'après divers témoignages et le coup de frein constaté sur les performances, le Tour est nettement plus propre après le pic des années EPO (1990-milieu des années 2000). Aucun grand nom n'a été contrôlé positif sur la course depuis 2010 (Alberto Contador, tombé pour clenbutérol), aucun produit lourd n'a été décelé depuis 2009 (Mikel Astarloza, confondu à l'EPO). Mais le climat s'est dégradé dans le peloton, de même que les outils de la lutte antidopage, sans parler de l'autorité défaillante de l'Union cycliste internationale (UCI), sur fond de nouveaux conflits avec ASO, l'organisateur du Tour.

LE «SENTIMENT DE DOPAGE»

Les coureurs sont rincés. En mai, le Tour d'Italie fut «l'un des grands tours les plus difficiles de l'époque récente», selon Michael Rogers (Tinkoff-Saxo). Le Critérium du Dauphiné était «d'une intensité rarement vue sur les épreuves WorldTour [première division mondiale, ndlr]», constate Dan Martin (Cannondale-Garmin). «L'allure des grandes courses est en train d'augmenter, dit un jeune coureur qui ne fera pas le Tour. Il est plus difficile de s'accrocher au groupe de tête qu'il y a deux ans.»

En off, plusieurs cyclistes estiment que le dopage pousse les vitesses moyennes. Pourtant, les puissances développées par les leaders en montagne restent stables et sans abus flagrant, confient deux entraîneurs. Le peloton serait donc confronté à un «sentiment de dopage». Qui ne signifie pas forcément un emballement de la triche, pas plus que le sentiment d'insécurité ne traduit nécessairement un accroissement de la délinquance... «Les coureurs sont épuisés parce que la vitesse est constamment élevée et les courses débridées», avance un préparateur. Il est vrai que, pour garantir le spectacle, les organisateurs réduisent les étapes. Conséquence : le rythme augmente, l'usure des coureurs s'accroît et avec elle le risque de consommer des produits. «On se dope autant pour faire un 100 m qu'une étape de 250 km», déclarait le patron du Tour, Jean-Marie Leblanc, du temps des journées à rallonge. La baisse du kilométrage n'est pas celle du dopage.

LA SUSPICION DES COUREURS

Ils ne se supportent plus mais ils n'osent pas briser l'omerta. Seul le Néo-Zélandais Greg Henderson (Lotto-Soudal) a osé, le 23 avril, accuser le jeune Italien Fabio Aru de présenter un passeport biologique suspect, preuve indirecte de dopage, étalant au grand jour des bruits qui se répandaient depuis le mois de mars. Le grimpeur italien (absent du Tour) a attaqué en diffamation. De quoi renforcer le silence ambiant. Il n'y a plus que Mario Cippolini, l'ex-star du sprint, pour accuser Alberto Contador (Tinkoff-Saxo) d'utiliser un vélo à moteur pendant le Tour d'Italie. Allégations sans fondement, mais les changements fréquents de bicyclette de l'Espagnol laissent songeur. Pour répondre aux insinuations, l'UCI continue de contrôler les vélos, à la recherche d'un moteur caché dans le cadre. Selon «radio-peloton», le mécanisme serait désormais planqué dans la roue avant.

Mais, au fait, qui se dope ? De 20 % à 90 % du peloton, dit le rapport indépendant publié par l'UCI en mars, sur la base de dépositions anonymes. Un jeune protagoniste du Tour 2014, sévère, estime la proportion de ses collègues déviants à 70 %. Il est tentant de les imiter.

LES DOMINATIONS INTRIGANTES

Depuis le train en acier blindé de l'US Postal (la décennie Lance Armstrong), on se méfie de ces équipes qui écrasent la course. Des armadas dans lesquelles un modeste porte-bidon se transforme soudain en taulier. Cette saison, il existe deux collectifs surpuissants : l'Astana de Vincenzo Nibali, le vainqueur sortant de la Grande Boucle, et la Katusha de Joaquim Rodriguez (3e de l'édition 2013). La première a médusé ses concurrents lors du Giro, avec six à sept représentants incrustés dans des pelotons réduits à une trentaine de coureurs. Elle a produit le très étrange Mikel Landa, insolent d'aisance, capable de se gratter le front au plus fort des pentes du Mortirolo. Katusha a gratifié le public d'une autre révélation, Ilnur Zakarin, improbable lauréat du Tour de Romandie, et déjà pincé aux anabolisants en 2009. Ces deux adorables créatures passeront le mois de juillet à la maison. Pas le reste de leurs équipes, qui suscitent l'inquiétude par leur santé éclatante. Katusha en est à 32 victoires depuis janvier (contre 13, par exemple, pour les Français d'AG2R-la Mondiale). Astana, qui a frôlé l'exclusion du WorldTour en raison de ses deux cas de dopage en 2014, a promis de se montrer raisonnable. A suivre.

LA TENTATION DES CORTICOÏDES

Revoilà le «cyclisme à deux vitesses». Formule créée en 1999, après l'affaire Festina, quand certains coureurs, français notamment, se plaignaient de rouler à armes inégales contre des adversaires toujours gavés d'EPO. Cette fois, la ligne de partage concerne les corticoïdes, le dopage roi des années 80, qui peut être consommé en truandant les règlements : le coureur concerné présente un certificat médical pour allergies mais il force la dose de ce produit anti-inflammatoire et antidouleur. D'un côté, les équipes membres du Mouvement pour un cyclisme crédible (MPCC) interdisent à leurs cyclistes de rouler sous corticos. De l'autre, celles qui s'en tiennent au très laxiste code mondial antidopage. Le MPCC regroupe 14 des 22 formations du Tour. Parmi les réfractaires, les favoris de Tinkoff (Contador), Sky (Froome) ou Movistar (Quintana). Ils peuvent toujours consommer ce produit au vu de la réglementation. Mais que se passerait-il si la douane interceptait une voiture bourrée de centaines de doses, à l'image de cette formation d'Europe du Nord qui s'approvisionne, selon nos sources, dans une généreuse pharmacie espagnole ?

LE PASSEPORT BIOLOGIQUE CONTESTÉ

L'arme fatale de la lutte antidopage n'en est plus une. Depuis son lancement en 2007, les médecins sulfureux ont trouvé les moyens de falsifier les paramètres sanguins de leurs coureurs pour passer au-dessous des écrans radar. Bernhard Kohl, le maillot à pois déchu du Tour 2008, l'avait déjà suggéré. Le fameux rapport de la commission indépendante de l'UCI le confirme cette année. Pour enfoncer le clou, un reportage de Stade 2 diffusé en mai présente une expérimentation à grand spectacle : des athlètes amateurs, dopés pendant un mois, améliorent leurs performances et passent à travers le passeport. Début juin, on apprenait que l'UCI classait sans suite l'affaire Roman Kreuziger, dont le passeport faisait apparaître des irrégularités suspectes. Ce coéquipier de Contador a-t-il pu justifier ses variations ? Un expert indépendant a-t-il mis son veto, ce qui disculpait immédiatement le Tchèque ? L'UCI a-t-elle craint des poursuites judiciaires et la remise en cause du principe du passeport ? Voilà ce qu'en dit le peloton : ce dispositif antidopage est dissuasif pour les petites frappes mais reste une passoire pour les grands bandits.

L'UCI AU PIED DU MUR

L'Union cycliste internationale est sous pression. Son président, le Britannique Brian Cookson, élu fin 2013 pour restaurer la crédibilité du cyclisme, a déçu par sa faiblesse. S'il souhaitait dégager Astana du WorldTour, il a finalement cédé devant l'avis contraire de sa commission des licences. Sous son mandat, aucune affaire de dopage sérieuse n'a éclaté. Au choix, il faut en déduire que le dopage a disparu, que les outils sont inefficaces ou la volonté politique absente...

Entre 2006 et 2008, l'UCI faisait trébucher les stars sur le Tour de France. Il est vrai que les posologies lourdes de l'époque simplifiaient la détection. Mais le climat était également favorable à la lutte antidopage, l'UCI ne craignant pas que les organisateurs soient éclaboussés par des cas positifs.

Depuis la réconciliation entre les deux institutions fin 2008, la traque antidopage s'est émoussée. Mais, bonne nouvelle, voilà que le conflit repart entre Amaury Sport Organisation, propriétaire du Tour, et l'Union cycliste internationale, sur fond de lutte de pouvoir. Pour que la bataille contre le dopage soit un succès, il faut que les organismes mouillent le maillot. L'UCI, via sa fondation antidopage «indépendante», semble plus motivée que l'an dernier. Elle travaillera de concert avec l'Agence française de lutte contre le dopage - qui a toutefois perdu une part de son budget d'action. Les fins limiers sont prêts.


Lire l'article en entier



Sur le même sujet


Cette page a été mise en ligne le 05/07/2015