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Actualité du dopage |
Une phrase - « Je suis avec Ferrari, et alors ? » -, lâchée dans L'Équipe le 29 juin, a suffi à raviver le souvenir douloureux de l'Américain Lance Armstrong, démiurge d'ombre et de lumière, pour étaler au grand jour les pratiques d'un milieu incurable, mettre le feu aux poudres, éclairer d'une lumière crue les liaisons dangereuses d'Alexandre Vinokourov, l'ambitieux cycliste kazakh. Il a réveillé une effervescence et une curiosité oubliées depuis Armstrong. Garde du corps, lunettes de soleil, Alexandre Vinokourov, impassible, impavide, fend la meute des photographes et des cameramen, jeudi dernier à Londres, lors de sa conférence de presse. La voix est basse, lasse pour expliquer ce que le milieu murmurait. La collaboration du Kazakh avec le sulfureux docteur Michele Ferrari, celui qui accompagna Francesco Moser dans son controversé record de l'heure, à Mexico, en 1984. Celui qui affirmait en 1994 : « L'EPO n'est pas plus dangereuse que du jus d'orange. » Condamné pour fraude sportive en 2004, le praticien italien a été blâmé pour exercice abusif de la profession de pharmacien, puis blanchi, sauvé par la prescription des faits visés. Et de reprendre vite sa place au coeur du peloton, pour prodiguer de nouveau ses conseils venimeux. Notamment à « Vino », depuis la fin de l'année 2005, date du départ à la retraite de Lance Armstrong. Destination danger. Alors, comment justifier l'impossible ? Vinokourov jeté face à la vindicte, Marc Biver, le manager de la formation Astana (financée par des compagnies pétrolières du Kazakhstan), entonne le refrain connu, usé à force d'être repris en choeur depuis plus d'une décennie par le peloton : « Il s'agit de son préparateur physique, pas de son médecin. » Alexandre Vinokourov lit le ressentiment, encaisse les insinuations, puis voit les questions pleuvoir comme des uppercuts face à des assaillants éprouvés par des années enlaidies par le mensonge. Un sujet cristallise toutes les attentions : le dopage. Sans conviction, regard éteint, lèvres mi-closes, le Kazakh récite : « Il n'existe pas de liste de préparateur physique interdit. Il n'y a rien de grave. Lance Armstrong a gagné sept Tours de France avec lui et personne ne lui a rien dit... Pourquoi toujours penser au dopage ? Ferrari s'occupe de ma préparation physique. Il établit mes plans d'entraînement. »
Mais Alexandre Vinokourov s'inscrit, comme de nombreux autres, dans une généalogie sportive suspecte. Membre de la formation T-Mobile de 2000 à 2005, proche de l'Allemand Jan Ullrich, le Kazakh, qui fête sa dixième année dans le peloton, a collaboré avec le docteur Lothar Heinrich qui avouait, le 23 mai dernier, avoir fourni des produits dopants aux coureurs de la formation allemande dans les années 1990. Le docteur Ferrari entretient des relations privilégiées avec le Suisse Tony Rominger (dauphin de l'Espagnol Indurain dans les années 1990), aujourd'hui agent du Kazakh. Chez Astana, cible d'un torrent de rumeurs depuis le début de l'année, l'Allemand Matthias Kessler, contrôlé positif le 24 avril dernier, a été suspendu. Comme encore (à titre provisoire) l'Italien Eddy Mazzoleni (3e du dernier Tour d'Italie), convoqué fin juin par le comité olympique italien, pour des faits datant de 2004 dans le cadre de l'affaire « Oil of Drugs ». Stop.
Rien n'accuse l'icône du Kazakhstan, l'ambassadeur d'un pays aux ressources profondes gonflé de fierté par des prouesses écrites si loin, mais le doute ronge, le tourbillon emporte le cavalier venu des steppes avant les premiers tours de roue. Le soleil qui brille en course sur son torse se voile. Jusqu'à l'éclipse. Alexandre Vinokourov, visage de cire, ne laisse pourtant rien paraître du trouble qui le transperce face aux assaillants toujours plus nombreux, aux inquisiteurs peu regardants de la présomption d'innocence. Il ne baisse pas les yeux, répond dans un français mâché, haché mais maîtrisé, défend son mentor, ravive une profonde odeur de soufre, jamais éteinte quand il s'agit du cyclisme.
Le 30 juin 2006, à Strasbourg, la porte du Tour lui claquait sur les doigts à la veille du grand départ. Dans une atmosphère empoisonnée par l'affaire Puerto (vaste scandale de dopage sanguin démantelé en Espagne en mai 2006), les organisateurs de la Grande Boucle écartaient les coureurs impliqués. Cinq membres de la toute fraîche équipe Astana-Würth privent alors Vinokourov et trois de ses équipiers de départ (le règlement imposant d'aligner au moins six éléments). Le Kazakh, dévasté, s'effaçait. Avant de s'imposer dans le Tour d'Espagne, le 17 septembre dernier, à Madrid. Un sacre au goût de revanche. Sur une longue route aujourd'hui accompagnée de doutes. D'une oeillade, il s'appuie sur son parcours pour puiser des forces, raconte : « J'ai fait mon travail pour arriver ici. J'ai commencé à l'âge de 11 ans, j'ai travaillé dur. Tu ne peux pas gagner si tu restes dans ton canapé. J'ai envie de croire en ce sport, en ce sport dur. » Gamin, il rêve avec une photo de Soukhoroutchenkov, l'inoxydable Russe, champion olympique à Moscou en 1980. Plus tard, il intègre l'école nationale à Alma-Ata, porte au gré des sélections le maillot de l'URSS ou du Kazakhstan, voyage, jusqu'à atterrir en France en 1997 où il découvre le Tour à la télévision. Dans la formation Casino, il cueille vite ses premiers bouquets, rêve de grandeur. Pour lui. Pour son pays. Au pied du défi de sa vie, à 33 ans, il évolue dans un contexte trouble. Alexandre Vinokourov ne veut pourtant pas dévier de l'objectif fixé. En espérant éteindre les doutes qui l'étreignent. Face à la fronde des questions ne voulant pas lâcher leur proie, il conclut : « Si je gagne, ce qui n'est pas fait encore, ce sera magnifique pour moi. Et si je gagne, ce sera grâce à lui, Ferrari, à ses plans. Je n'y vois rien d'interdit. »
Toute l'ambiguïté d'une discipline étranglée.
Cette page a été mise en ligne le 25/05/2025