Actualité du dopage

Les derniers jours du soigneur


27/03/2008 - Libération - Dino Dimeo et Jean-Louis Le Touzet

On avait presque oublié cette affaire, née dans l'ombre du Tour de France 1998 (...). Hier, la 31e Chambre correctionnelle de Paris a rappelé le monde du vélo à l'ordre en faisant comparaître deux hommes. Bernard Sainz, 64 ans, soigneur, éleveur de chevaux, accusé d'exercice illégal de la médecine et suspecté d'avoir administré à des sportifs des produits dopants. Et Bertrand Lavelot, 51 ans, ancien avocat de l'équipe de la Française des jeux (...). Lavelot est suspecté de complicité de trafic de substances vénéneuses et de produits dopants.

(...) Mais qui est Sainz ? C'est à lui tout seul un immense tableau des oeurs cyclistes. Une véritable fresque. Cet homme (...) a suscité pendant quarante ans les enthousiasmes les plus délirants, grâce ses conseils et ses fioles à base d'aubépine. En dehors de ses ennuis judiciaires à répétition, on ne peut que s'incliner devant cet homme qui donna une deuxième jeunesse à Raymond Poulidor, vainqueur du Paris-Nice 1972 à 37 ans. (...) Sainz occupera des postes clés chez Gan-Mercier au début des années 70, à la fois «docteur» (il n'a jamais eu le diplôme afférent) et directeur sportif. Bernard Sainz n'est pas médecin mais se débrouille pour se faire accréditer pour les JO de Munich... comme médecin, précisément.

Dès lors, cet homme ne connaîtra plus aucune rivalité dans le milieu : culot, entregent, intelligence aiguë, et puis ce génie des trucs et des ficelles qui envoûtera une partie du monde du vélo francophone. Sainz, ancien coureur, possède «la science de la course», comme on dit. Il lancera la mode des gros braquets à l'entraînement. Ainsi naîtra la position dite de l'haltérophile. Position caractéristique de Bernard Hinault, copiée et magnifiée par Jan Ullrich vingt ans plus tard.

«Sainz, c'est un buvard», reconnaissait l'ancien cycliste reconverti dans la musique et l'écriture Erwan Menthéour, dans le Journal du Dimanche. «Sainz soignait indifféremment les cyclistes et les chevaux en améliorant leurs performances avec une efficacité reconnue. Je suis allé dans les soirées où, poursuit le Brestois, on me demandait : "Qui c'est ce mec ?" Une demi-heure plus tard tout le monde était "mabusien".»

(...) Il faut expliquer le néologisme "mabusien", surnom donné par le milieu hippique à Sainz : le Docteur Mabuse est, à l'origine, ce personnage manipulateur qui hypnotise ses victimes dans quelques films du cinéaste allemand Fritz Lang. Dans le cas de Sainz, la plus célèbre est Franck Vandenbroucke, le grand espoir du cyclisme belge des années 90. «VDB» tombera sous le charme «vénéneux» de Sainz grâce à sa fameuse science du vélo et à ses gouttes qui purifient le foie. «En deux jours, grâce à des compresses homéopathiques, il est parvenu à me soigner le tendon d'Achille là où il me fallait deux mois pour être remis sur pied !», confiait le Wallon à la Libre Belgique. On a tout dit à propos de cet homme : aucune moralité, faux médecin, vrai gourou, toujours à la frontière de la légalité. (...) Il fait immanquablement penser à ces bonimenteurs du far west qui vendent des appareils orthopédiques à des invalides retrouvant illico l'usage de leurs membres.

Du coup, dans ce dossier, les projecteurs se tournent surtout vers lui. Un nom mis en cause dans plusieurs affaires de dopage touchant le cyclisme et le milieu des courses, mais pour lesquelles il n'a jamais été condamné à ce jour. Comme en 1986, lors des Six Jours de Bercy : mêlé à un trafic d'amphétamines, Sainz bénéficie d'un non lieu mais écope d'une amende pour exercice illégal de la médecine, condamnation amnistiée depuis, et qui revient sur la table dans ce procès.

Dans l'affaire qui l'occupe aujourd'hui, Sainz est interpellé vingt-quatre heures après Raphaël Martinez. Le champion de VTT est pris au domicile de Lavelot à Boulogne en mai 1999, alors qu'il vient d'acheter un flacon à Sainz. Une vingtaine d'interpellations dans le milieu cycliste s'ensuivent. Sainz séjourne en prison. Deux mois. Trois ans plus tard, il y retourne brièvement pour s'être fait pincer en Belgique alors qu'il ne peut quitter le territoire français.

Hier, la présidente de la 31e chambre a énuméré les chefs d'accusation. Profitant d'avoir reçu les Stupéfiantes Révélations du Dr Mabuse, le livre écrit par Bernard Sainz en 2000 que l'auteur a pris la peine de dédicacer à l'intention de la magistrate, elle lui a simplement lancé, amusé : «Si j'ai bien lu votre ouvrage, vous êtes victime du système... Je vous rassure tout de suite, je me ferai ma propre idée.»


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Cette page a été mise en ligne le 07/04/2008