Actualité du dopage

Les potions du docteur Mabuse font tourner la tête à la justice


12/07/2000 - Le Canard Enchaîné - Louis-Marie Horeau

NUL n'échappe à la règle commune : perdre un procès ne fait jamais plaisir, et tout plaideur est convaincu - parfois jusqu'à la déraison - d'avoir raison. (...)

Avouons-le donc sans détour: la dernière décision de la 17, chambre nous a mis en pétard. Et pas seulement parce qu'elle nous condamne, contre l'avis du parquet, qui proposait une relaxe, à 20 000 F d'amende, et à payer autant de dommages et intérêts à Bernard Sainz. (...) Ce qui nous énerve, c'est plutôt la façon dont les juges ont ficelé leur travail. On regretterait presque que le tribunal ne se soit pas approvisionné auprès du bon docteur avant de rendre sa décision. Car son jugement ferait rougir un étudiant de première année en droit. Il est bourré d'erreurs de fait et d'erreurs de droit. Lesquelles vont toutes, comme c'est bizarre, dans le même sens, celui de la condamnation du " Canard ".

Première boulette, une vulgaire faute de transcription. Pour montrer à quel point le pauvre docteur Mabuse a été diffamé, le tribunal écrit que le journaliste le "qualifie d'emblée de "dealer en chef du cyclisme français"". Il faut avouer que l'attaque serait sans nuance. Malheureusement, les juges qui sont chargés de soupeser notre rigueur professionnelle n'ont même pas été capables de recopier exactement l'article. La citation non trafiquée est: "le présumé dealer en chef du cyclisme français". Le terme "présumé" a disparu. Un présumé oubli, ou un parti pris avéré ?

(...) Le tribunal fustige un autre passage de l'article qu'il cite ainsi : ,,grand fournisseur de Richard Virenque (auquel) il ne devait pas se contenter de suggérer des décoctions de verveines." Passons sur l'orthographe. Les juges ont ajouté "auquel il ", qui ne figure pas dans l'article du "Canard". Ce qui en altère gravement le sens puisque dans le texte, avant manipulation, ce n'est pas à Virenque que Mabuse " ne devait pas se contenter de suggérer des décoctions de verveine ", mais aux coureurs des années 70 (...).

Après les fausses citations, les approximations juridiques. Lorsqu'un journal est poursuivi pour diffamation, il a le droit de faire une " offre de preuve " afin d'établir la vérité des faits. Et il peut aussi démontrer sa " bonne foi ". Selon le tribunal, dans notre offre de preuve " ne figurent que des articles de presse ou des pièces issues de la procédure".

Double erreur. D'une part figure aussi un arrêt de la cour d'appel de Paris condamnant Bernard Sainz : les juges n'en disent pas un mot. D'autre part, les "pièces issues de la procédure " ont été versées par " Le Canard " non au titre de la preuve, mais pour établir sa bonne foi. Du coup, ces documents passionnants sont écartés d'un revers d'hermine. (...). Dommage, car pas moins de sept coureurs reconnaissent dans ces procès-verbaux avoir eu recours aux services et aux mystérieuses fiole du bon " docteur ". Le plus stupéfiant, c'est que ces mêmes documents ont été examinés par le même tribunal composé des mêmes juges, à l'occasion d'un procès opposant le même Bernard Sainz au journal " Le Monde ". Et le tribunal les a trouvés tout à fait excellents. Il en conclut que les journaliste " pouvaient de bonne foi révéler au public les soupçons des autorités policières... ". Et " Le Monde " est relaxé!

Mais pour " Le Canard " point de salut. Les juges nous reprochent encore l'évocation d'une condamnation de Bernard Sainz. Le tribunal ajoute que cette condamnation est amnistiée, ce qui est faux. Les juges recopient ainsi, sans vérifier, une erreur - la seule - commise par " Le Canard ". Et d'après ce qu'on lit dans nombre de jugements de ce tribunal, spécialisé dans les affaires de presse, c'est très vilain de recopier sans vérifier !

(...)


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Cette page a été mise en ligne le 28/03/2016