Dossier dopage

Dopé un jour, dopé toujours ?


10/07/2019 - liberation.fr - Pierre Carrey

L’avantage physique conféré par certains produits dopants pourrait être bien plus durable qu’on le pensait, selon des études menées sur des souris. (...)

Faut-il suspendre à vie les anciens dopés ? Jusqu’ici, le débat s’engageait sur le terrain de l’éthique, entre partisans d’une peine temporaire, tenants d’une «deuxième chance», et ceux qui préféraient éloigner définitivement les tricheurs. Mais les discussions prennent aujourd’hui un tour scientifique, relancées par de récentes découvertes sur la «mémoire musculaire», qui inquiètent l’Agence antidopage (AMA). L’épineuse question pourrait cibler tout particulièrement une vedette du Tour de France : l’Espagnol Alejandro Valverde (Team Movistar), 39 ans (...). Soupçonné par la justice en 2006 d’avoir collaboré avec le docteur Eufemiano Fuentes, dans le cadre de l’«Opération Puerto» (...), suspendu pour ces faits entre 2009 et 2010, Valverde serait-il encore dopé, même s’il a arrêté de consommer des produits dopants ? L’interrogation vaut pour un autre participant à la Grande Boucle cette année, le Russe Ilnur Zakarin (Team Katusha), contrôlé positif en 2009 à la méthandrosténolone, un stéroïde anabolisant, et suspendu deux saisons.

«Mémoire musculaire»

Selon des travaux scientifiques récents, un athlète ayant consommé des substances qui développent les muscles, notamment les stéroïdes et la testostérone, pourrait conserver les bénéfices tout au long de sa carrière. Cette théorie est défendue par un chercheur de l’université d’Oslo, Kristian Gundersen, qui a injecté des doses de testostérone à des souris. Les rongeurs ont ensuite été privés de cette hormone pendant trois mois, ainsi que de toute activité physique, mais ils ont retrouvé dès la reprise du «sport» leur masse musculaire qui avait fondu : leurs muscles se sont étoffés de 30 % en l’espace de six jours, au lieu de 6 % pour des cobayes qui n’avaient jamais été traités à la testostérone. Gundersen en déduit qu’il existe une «mémoire musculaire dans le muscle squelettique dans laquelle l’hypertrophie est "mémorisée" de telle sorte que les fibres qui ont été auparavant développées pouvaient reprendre leur masse plus rapidement que dans le cas de fibres natives».

Ces travaux, parus en 2013, ont été confirmés par le même auteur trois ans plus tard dans le Journal of Experimental Biology. (...) La controverse perturbe les milieux de la science et du sport, certains chercheurs allant jusqu’à nier le concept de «mémoire musculaire». Face à ses détracteurs, Gundersen avance d’autres hypothèses sur le dopage à long terme, notamment «l’épigénétique» (les facteurs génétiques). Autre motif de scepticisme : l’expérience portait sur des souris, pas sur des humains. Or il existe des travaux précurseurs, menés sur de véritables athlètes, pratiqués au milieu des années 90 et publiés en 2005. Anders Eriksson, de l’Umea University (Suède), a établi que les effets des stéroïdes, autre substance qui fait grossir le muscle, sont durables voire irréversibles, en particulier dans la région du muscle trapèze, au niveau de l’épaule. Les sportifs qui s’étaient dopés pendant quatre ans puis avaient fait abstinence sept ans, profitaient toujours des effets de cette cure chimique

«La possibilité que certaines substances dopantes, notamment les stéroïdes anabolisants, aient des effets à long terme est une possibilité que l’AMA prend au sérieux à tel point que nous sponsorisons des recherches dans ce domaine, explique à Libération Olivier Rabin, le directeur scientifique de l’institution. Au même titre que certains parlent de mémoire du muscle pour l’effort, nous testons actuellement l’hypothèse de mémoire du muscle pour le dopage. Ce n’est encore qu’une hypothèse, et il est trop tôt pour conclure notamment chez l’homme, mais la théorie vaut la peine d’être explorée sérieusement.» Le programme de recherche a été confié à l’université de Rome.

Globules rouges

Si ces travaux confirmaient la littérature scientifique, le règlement antidopage pourrait être bouleversé et les sanctions alourdies. Jusqu’au bannissement à vie ? Contrairement aux consommateurs de testostérone ou de stéroïdes anabolisants, les adeptes d’EPO ne seraient pas sous l’emprise durable de leur dopage, cet oxygénateur sanguin ne permettant ni une amélioration de masse musculaire ni une modification de la fibre. Explication de Michel Audran, directeur du département analyses à l’Agence française de lutte antidopage (AFLD) : «Quand vous administrez de l’EPO, les globules rouges vont vivre environ cent vingt jours avant d’être détruits. Il n’y a pas, à mon sens, de modification d’un organe comme c’est le cas avec la prise de stéroïdes et, en conséquence, pas d’effet à long terme.» Même si plusieurs affaires judiciaires ont montré que les athlètes dopés à l’EPO ou aux transfusions ont souvent cumulé les produits et les procédés, usant de stéroïdes ou testostérone, entre autres médicaments illicites.


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Cette page a été mise en ligne le 11/07/2019