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Dossier dopage |
Avec le départ à la retraite de Jean-René Godart, le 31 décembre dernier, le service des sports de France Télévisions a perdu un journaliste peu regardant sur les méthodes de certains champions tel que Lance Armstrong. Retour sur une décennie de complaisance.
Jean-René Godart, ancienne voix du cyclisme sur Europe 1, a rejoint le service des sports de France 2 en août 1999 – quelques jours après le premier triomphe de Lance Armstrong dans le Tour de France. (...) L’Américain a avoué s’être dopé en 2013 (...). Depuis ces aveux, on attend toujours le début du commencement d’un examen critique du service des sports de France Télévisions, qui s’était particulièrement distingué par sa complaisance à l’égard du cycliste américain.
En vain, si l’on en croit l’interview – testament ? – de Jean-René Godart, parue dans L’Équipe le 23 décembre 2018. « Je n’ai jamais été l’ami de Lance Armstrong », titrait le quotidien sportif.
L’ex rédacteur en chef de « Tout le sport » souffrirait-il d’amnésie ? Interrogé par La presse de la Manche, le 16 avril 2008, Jean-René Godart affirmait : « Lance Armstrong est un ami et j’ai été très peiné de voir qu’on a voulu l’incriminer de tricherie de dopage, six ans après. C’est honteux alors qu’il n’a jamais été contrôlé positif, jamais, jamais, jamais ». Jamais contrôlé positif, certes. Mais en 2008, un faisceau de témoignages et de preuves concordants accablait le coureur texan, depuis plusieurs années déjà.
« Visiblement, Jean-René Godart n’avait rien lu sur "son ami" Lance Armstrong et surtout pas sur ce qui aurait pu potentiellement "casser" son jouet », remarque sur son blog le médecin du sport Jean-Pierre de Mondenard (...).
En 2004, les journalistes Pierre Ballester et David Walsh publiaient L.A. Confidential, les secrets de Lance Armstrong. Sur la base de témoignages crédibles, jamais démentis, cette enquête très étayée dévoilait le système de dopage voulu et organisé par le cycliste américain. Pour France 2, il n’était pas question de froisser l’icône.
Les 3 et 4 juillet 2004, l’émission « Sur les routes du Tour », présentée par Gérard Holtz, se glissait « dans la roue d’Armstrong », (...). « Jean-René Godart a rencontré Lance Armstrong il y a quelques jours, juste avant la publication du livre L.A. confidential. Il n’a pas été question de ce livre dans l’interview que vous avez réalisé [Jean-René Godart opine du chef]. Mais ce qui est très intéressant ce sont ses confidences à propos de ses rivaux, à propos de son état d’esprit. (...) Rarement il s’est confié avec autant de force et d’émotion », annonçait Gérard Holtz. En fait de confidences, le journaliste étale sans gêne une connivence absolue avec le coureur.
- Jean-René Godart : « Vous ne trouvez pas que vous avez déjà trop gagné ? ».
- Lance Armstrong : « Je ne pense qu’à gagner. J’ai toujours horreur de perdre, d’être battu ».
Un an plus tard, le journaliste de L’Équipe Damien Ressiot révélait le « mensonge Armstrong », à partir d’échantillons et de procès-verbaux établis pendant le Tour 1999 [1]. Il ne s’agissait certes pas de contrôles positifs, mais l’infraction d’Armstrong était matériellement établie.
Toujours pas de quoi ébranler Jean-René Godart, dont la propension à idolâtrer le champion américain ne faiblit pas. En pleine épopée Landis (...), le journaliste de France Télévisions tendait une fois de plus le micro à l’ami Armstrong. Cette interview est un monument de complaisance. Pour la décrire, nous citons un extrait du livre La grande imposture [2] :
Jean-René s’avance vers Lance, qui boude la France depuis la publication (...) du scoop de L’Equipe sur le dopage de l’Américain en 1999 (...). On le sent gêné, Jean-René. Il se jette à l’eau : « Une question sur le dopage, Lance ? » Quelques phrases convenues vite expédiées – Jean-René semble très soucieux pendant que Lance s’exprime sur ce fléau mondial. Aucune relance, naturellement. On ne fâche pas un ami dans la peine. Jean-René retrouve le sourire au moment d’évoquer la fondation Livestrong pour le cancer, dont il porte en permanence le bracelet au poignet.
À l’heure du bilan, Jean-René Godart minimise l’étendue de sa connivence, dans l’interview du 23 décembre 2018. Le journaliste a pu compter sur la mansuétude de L’Équipe, dont la maison mère est également propriétaire du Tour de France, via Amaury sport organisation.
- L’Équipe : « Mais les anti-Godart existent ».
- Jean-René Godart : « Pour les gars, j’ai été le relais en France de Lance Armstrong. Je l’ai interviewé 274 fois. Je l’ai découvert à Oslo en 1993, lors de son titre mondial. Un môme à l’enfance difficile, faite de coups, de brutalités Je suis sensible à ces cas. On a eu un rapport de bons copains. Pas plus. Je n’ai jamais été son ami. »
Jean-René Godart a donc fermé les yeux sur les agissements de Lance Armstrong en raison de « l’enfance difficile » de son « bon copain ». À ce stade de l’interview, et au vu de ce que l’on sait aujourd’hui des pratiques du champion déchu et de la complicité délibérée de France 2, un journal un tant soit peu rigoureux aurait ne serait-ce qu’émis un doute sur cette interprétation incongrue. Pas l’unique quotidien sportif national français.
- L’Équipe : « Aujourd’hui, vous sentez-vous floué ? ».
- Jean-René Godard : « Floué, non, mais naïf, oui. »
- L’E : « Vous êtes encore en contact ? ».
- JRG : « Oui. »
- L’E : « Et vous ne lui tenez pas rigueur de ses mensonges ? ».
- JRG : « Non, il a avoué. »
Jean-René Godart aurait donc été « naïf ». Victime des mensonges d’Armstrong, le suiveur du Tour aura tissé la légende du Texan au mépris de l’évidence et des faits. Mais « à l’insu de son plein gré », est-on prié de croire. Partenaires commerciaux avant tout et coûte que coûte, le groupe Amaury et France Télévisions serrent les rangs. Qu’importent les aveux de l’imposteur Lance Armstrong, le spectacle doit continuer, et les profits s’accumuler sans entrave.
[1] L’Équipe du 23 août 2005.
[2] La grande imposture, Jean-Pierre de Mondenard, entretiens avec David Garcia, Hugo, 2009.
Cette page a été mise en ligne le 16/01/2019