Dossier dopage

Dopage technologique et homme augmenté : une autre idée du sport ?

27/10/2017 - cnetfrance.fr - Fabien Soyez

La technologie va-t-elle transformer les athlètes en machines surpuissantes et déshumanisées ? Où s'arrête l'amélioration et où commence le "sport augmenté" ? Bienvenue dans l'ère du dopage technologique.

De tous temps, les sportifs ont (...) essayé d'améliorer leurs performances - en s'entraînant comme des forcenés, mais aussi en jouant sur leur alimentation, jusqu'à prendre des drogues ou des substances leur permettant d'accroître leurs capacités physiques, comme les stéroïdes anabolisants ou l'EPO. Mais cette forme de dopage, devenue presque banale au fil des scandales, tend de plus en plus à être remplacée par un procédé plus insidieux, car plus visible, mais moins choquant : l'utilisation d'équipements de haute technologie.

Le sport du futur est déjà visible à travers l'exploitation, chaque année, des dernières percées high tech pour utiliser des équipements et des matériaux technologiquement avancés, censés améliorer les performances - et surtout pas tricher, bien sûr. Comme le remarque David Epstein, journaliste, auteur de "The Sports Gene : Inside the Science of Extraordinary Athletic Performance", dans une vidéo TED, "la technologie a toujours fait la différence, dans tous les sports, et a eu une influence sur les performances" - des skis plus rapides aux chaussures plus légères, en passant par les maillots de bain à faible frottement (qui recouvrent le corps entier) et les vélos de plus en plus aérodynamiques.

Avec le progrès technique, la ligne entre amélioration de la performance et triche est de plus en plus floue - en fait, c'est l'autorité dirigeante du sport concerné qui la définit et tente ensuite de la fixer. Bienvenue dans l'ère de l'ingénierie du sport... ou plutôt, devrions-nous dire, du dopage technologique.

"Dopage mécanique"

Le "technology doping" peut être mécanique : par exemple, en 2010, le cycliste Fabian Cancellara a révélé utiliser un pédalier optimisé, le "Gold-Race". Reposant sur un roulement à billes de graphite, il permet de faire tourner la pédale plus facilement, sans frictions - et donc de gagner du temps lors d'une course. Ce procédé discutable est autorisé par l'Union Cycliste Internationale.

Il en est tout autrement du premier cas de dopage technologique en France, découvert début octobre 2017 : cette fois, il ne s'agissait pas d'un mécanisme optimisé, mais d'un moteur intégré au mécanisme. (...)

Les combinaisons du futur

Pour améliorer leurs performances, les sportifs du 21e siècle portent aussi des vêtements futuristes. En 2009, le nageur Rafael Muñoz Perez bat Mickael Phelps grâce à sa combinaison thermique en polyuréthane, la "Jaked", qui lui permet de mieux flotter - et qui a aussi permis une explosion de records dans le milieu de la natation. Après moults hésitations, la Fédération Internationale de Natation (FINA) a finalement interdit en 2010 l'utilisation de ces maillots high-tech (ne sont autorisées que les combinaisons en tissu), rappelant que "la natation est un sport dont l'essence est la performance physique du sportif". Dans les règles de la FINA, on peut lire : "aucun nageur ne sera autorisé à utiliser ou à porter un appareil ou un maillot de bain qui pourrait aider à sa vitesse, sa flottabilité ou son endurance lors d'une compétition".

L'épidémie de vêtements futuristes a quitté la natation pour toucher d'autres disciplines, comme le patinage de vitesse : les sportifs américains portent ainsi une combinaison conçue par l'entreprise aérospatiale Lockheed Martin, la "Mach 39", qui leur permettent de réduire leurs temps grâce à une résistance au vent réduite au minimum. Les chaussures aussi peuvent être optimisées : Athletic Propulsion Labs a par exemple créé des chaussures qui augmentent la détente verticale - considérées comme un équipement susceptible de donner un "avantage compétitif" au joueur les portant, elles ont été interdites par la NBA.

Coureurs bioniques

Enfin, le dopage technologique peut carrément prendre des accents science-fictionnesques, avec l'utilisation des données mesurées (le quantified self) et les prothèses bioniques, qui tendent à transformer le sportif en cyborg. L'analyse des données aide déjà les athlètes à remporter des compétitions, en se dépassant tout en réduisant les risques de blessures. De plus en plus de sportifs de haut niveau portent ainsi des "trackers", des capteurs et des GPS qui permettent de mesurer et de comparer les données d'un entraînement et celles d'une compétition, ou encore d'évaluer la qualité de leur sommeil. Les entraîneurs (notamment celui d'Usain Bolt) utilisent aussi des logiciels, comme le programme d'analyse vidéo Dartfish, pour décortiquer les mouvements d'un sportif en particulier, et les comparer avec ceux de l'équipe adverse - bientôt en temps réel.

Les prothèses de jambe permettent quant à elles de courir plus vite, jusqu'à devenir un sportif "augmenté". On se souvient évidemment du coureur handicapé Oscar Pistorius, et de ses prothèses en fibre de carbone, les "Flex-Foot Cheetah", qui lui conféraient un net avantage sur ses concurrents valides. Même s'il s'agissait dans son cas de pallier un handicap, ses prothèses en fibre de carbone avaient spécialement été conçues pour la course à pied. D'où le débat qui secoue l'athlétisme depuis 2011 : quelle est la frontière entre la réparation et l'augmentation ? Avec ses jambes artificielles, Pistorius était-il finalement un sprinter comme les autres, ou plutôt un super-athlète ?

Les prothèses permettent d'éviter les lésions musculaires aux tendons d'Achille et aux mollets, ce qui est clairement un avantage. Elles permettent aussi d'accélérer à la fin d'une course. Mais comme le note Bryce Dyer, ingénieur prothésiste à l'Université britannique de Bournemouth, de telles "lames" en fibre de carbone sont un désavantage au début de la course, ou lors d'un virage, car elles n'ont pas la "rigidité" d'une cheville humaine. Mais les progrès technologiques devraient bientôt effacer ces problèmes. "En avançant des décennies dans le futur, je pense qu'un jour, la science produira un membre bionique si sophistiqué qu'il émulera vraiment la fonction biologique des membres", explique ainsi Hugh Herr, ingénieur biomécanicien au MIT.

Augmentation, transhumanisme et nouveaux sports

De l'augmentation au transhumanisme (l'augmentation de nos capacités physiques grâce à la technologie, afin de devenir des surhommes), il n'y a évidemment qu'un pas à franchir. Il suffit de regarder le cas de Tiger Woods, qui s'est fait opérer des yeux pour améliorer sa vision (normale), pour prendre conscience du problème. (...)

Pour Hugh Herr, les technologies d'amélioration de la performance permettront aux sportifs de "repousser les limites humaines, mais aussi de créer de nouveaux sports - exactement de la même façon que l'invention du vélo a conduit à la pratique du cyclisme". Chez les transhumanistes, on imagine même de nouvelles catégories sportives, par exemple une catégorie "100% humains", une autre "modifiés à 50%", ou encore une dédiée à tous ceux utilisant des prothèses. "Je ne pense pas que le sport disparaîtra (la demande est trop forte), bien au contraire, il sera d'autant plus diversifié, il y en aura pour tous les goûts", écrit ainsi Alexandre Maurer, transhumaniste et informaticien sur le forum Transhumanistes.com.

L'innovation technologique fait partie intégrante du sport de haut niveau, selon un rapport de 2012 de l'Institute of Mechanical Engineers (ImechE) de Londres. Pour la société savante, il faudrait oublier l'idée du "dopage" technologique, et embrasser totalement celle de "l'augmentation" des sportifs. Elle suggère ainsi que les compétitions internationales, telles que les Jeux Olympiques, ne "consistent pas juste à déterminer qui est le meilleur, mais aussi qui a choisi, de la façon la plus judicieuse possible", le meilleur "kit" high-tech. Il n'y aurait aucun problème si tous les sportifs pouvaient se payer de tels équipements. Mais ce n'est pas le cas. "Si vous me donnez de l'argent, je peux faire une différence et gagner des médailles", lançait en 2012 le directeur général de UK Sport, Peter Keen.

A l'argument selon lequel la performance sportif n'est plus valorisable dès lors qu'elle devient accessible à tous grâce à la technologie, on pourrait répondre que si tous les athlètes sont sur un pied d'égalité en portant tous les mêmes équipements, alors il n'y aurait finalement pas de problème. Mais en réalité, bien souvent, ces technologies coûtent cher, très cher (les prothèses de Pistorius coûtent 30 000 euros ; les pédaliers Gold-Race de Cancellara environ 750 euros) - et seuls les sportifs d'une écurie "à l'aise" financièrement, ou d'un pays fortuné peuvent se les payer.

Course aux armements et athlètes déshumanisés

Une véritable course aux armements technologiques vient de débuter dans le sport. Et bien que l'ImechE refuse l'idée d'un avantage déloyal, les équipes nationales et les sportifs les plus riches, capable de s'offrir les meilleures technologies "d'augmentation" seront forcément favorisés par rapport aux autres. "C'est déjà la raison pour laquelle les pays pauvres ne participent pas à certaines compétitions sportives qui font appel à beaucoup de technologies, comme le cyclisme, la voile et l'aviron", remarque Emily Ryall, maître de conférences en philosophie à l'Université de Gloucester et vice-présidente de la British Philosophy of Sport Association dans le Guardian.

Des règles semblent en tout cas urgentes pour restreindre l'avantage de ceux qui seront les premiers à utiliser des technologies d'amélioration sportives. Et dans l'immédiat, en attendant un hypothétique futur où tous les athlètes seraient sur un pied d'égalité (tous augmentés, ou tous naturels), il semble évident que nous devrions, nous grand public, nous poser la question du type de sport que nous voulons regarder. Voulons-nous voir des athlètes repousser réellement leurs limites (naturelles) ? Ou préférons-nous assister à une bataille d'ingénieurs et de porte-monnaies, et admirer des athlètes presque déshumanisés ?


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Cette page a été mise en ligne le 31/10/2017