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« Le Tour 2019 va peut-être se jouer à vitesse réelle »


22/07/2019 - lemonde.fr - Antoine Vayer

Un des 1 023 fichiers que m’a transmis un lanceur d’alerte sur l’équipe Sky, devenue Ineos, portait sur la première victoire de Christopher Froome sur une étape du Tour, au sommet de la Planche des Belles-Filles, le 7 juillet 2012. Ce fichier est révélateur d’un cyclisme appelé « à deux vitesses ». Ses coéquipiers, Richie Porte et Michael Rogers, se sacrifient. Ils finissent quand même 13e et 14e. Chris gagne l’étape devant son leader Bradley Wiggins. Il commente ce fichier, surpris par sa fréquence cardiaque (180 pulsations par minute) : « Au final, avec Brad, on aurait pu aller plus vite sur le haut. Je suis sûr qu’on aura l’occasion de vraiment mettre les gaz. » Ils le font collectivement et individuellement, plusieurs fois. Ils finissent aux deux premières places à Paris. Le dixième, le novice Thibaut Pinot, 22 ans, termine à plus de dix-sept minutes malgré un profil de puissance de grimpeur hors norme dans les cols. Pinot gagne une étape, finit près des Anglais en montagne.

L’équipe Sky réveille les spectres de doublés ou de triplés de tricheurs. J’ai utilisé cette expression « cyclisme à deux vitesses » la première fois début 1999, à la suite du scandale Festina en 1998. Les différences de résultats, vitesse et puissance développée, entre ceux qui essaient d’arrêter de se doper et les équipes ou individus qui continuent, sont flagrantes. Le débat s’ouvre alors. Mais Lance Armstrong gagne le premier de ses sept Tour de France, en suivant le train de son équipe US Postal, surpuissante. On se tait. Puis Lance tombe. L’expression est restée. Tyler Hamilton et d’autres expliquent comment, après traitement, en six mois, ils ont augmenté de 10 % leurs records de puissance pour changer de régime moteur. Voilà le train Sky qui arrive en 2012. Il roule trop vite. Sky tue chaque Tour, froidement.

Découragement

Depuis le début de cette saison, nombreux sont les coureurs que je scrute depuis leur adolescence qui me témoignent, fichiers à l’appui, de leur découragement. Ils ont essayé d’accroître leurs possibilités humaines grâce à un travail acharné, à la pointe de tous les progrès, sans tricher. Ils me parlent d’us louches et d’équipes qui, sur le plat, les obligent à mettre un plateau (avant) de 55 dents pour espérer suivre. Ils évoquent des vitesses ascensionnelles qui les interrogent sur leur talent. Ils me reparlent de ce cyclisme « à deux vitesses » que je constate, comme eux, sur le terrain.

Je leur dis de ne pas se décourager. Certes, des collectifs se sont gavés en première partie de Tour. Et Alaphilippe a battu de manière stupéfiante son record de puissance de 6 % dans des montées qu’on pensait trop longues pour lui et où il craquait, d’ordinaire. Mais hier, à force de repousser des limites insoupçonnées jusqu’alors, Julian semble les avoir atteintes. Le train Ineos a presque déraillé. C’est tout aussi incompréhensible que sa vitesse folle de ces dernières années. D’autres trains sont devenus des TER d’où certains sont descendus en marche. Mais pas tous.

Pinot, fidèle à son profil de puissance de 2012, grimpe comme il a toujours fait. Il est aidé par David Gaudu, plus talentueux au même âge que son aîné. Le Colombien Egan Bernal développe des puissances conformes à ses habitudes. Le Tour 2019 va peut-être se jouer à vitesse réelle, la même pour tous en troisième semaine ? Sans recharge de dopants ou méthodes illicites : ceux qui trichent devraient rétrograder. Enfin, logiquement.


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Cette page a été mise en ligne le 24/07/2019