Actualité du dopage



Tour de France : les cétones, un masquant médiatique


19/07/2019 - lemonde.fr - Clément Guillou

Ce Tour 2019, dans ses dix premiers jours, sentait le miel et l’encens. Joie des organisateurs : Français en jaune, course exaltante, nulle suspicion, presse bienveillante. Jamais, depuis l’affaire Festina il y a vingt et un ans, la question du dopage n’avait semblé aussi absente des débats. (...)

Le 15 juillet, De Telegraaf, journal néerlandais, a sorti ses confrères de la léthargie. Dans ses colonnes, l’équipe Jumbo-Visma admet consommer des corps cétoniques. Cet aveu (...) a relancé un débat qui revient régulièrement sur la grande table du Tour de France depuis cinq ans. Assimilées par certains à une aide à la performance, les cétones sont autorisées par l’Agence mondiale antidopage (AMA).

Présents naturellement dans le corps et fabriqués par le foie, les corps cétoniques peuvent être un carburant du muscle pendant l’effort. Grâce à eux, l’organisme peut retarder la sollicitation des glucides, dont le corps dispose en quantité limitée. Ainsi l’acide lactique, cet ennemi du cycliste qui lui brûle les jambes, apparaîtra plus tardivement. Par ailleurs, les corps cétoniques faciliteraient l’amaigrissement.

Pour Alaphilippe, c’est comme « un gel »

Des boissons riches en corps cétoniques ont été mises au point il y a une dizaine d’années par l’université d’Oxford. Elles sont relativement répandues sur le marché des compléments alimentaires. Dans la foulée de la Jumbo-Visma(...), l’équipe Deceuninck-Quick Step a admis leur utilisation. Le maillot jaune Julian Alaphilippe les compare à « un gel » énergétique ou à « un complément alimentaire ». Plusieurs autres équipes en utiliseraient, selon les fabricants.

Le coût de ces boissons, initialement, dépassait 2 000 euros le litre ; les équipes les plus riches du peloton, comme la Sky, ont été les premières soupçonnées d’en utiliser. Depuis, les prix ont baissé. Selon nos informations, l’équipe d’Alaphilippe utilise des flacons de 25 grammes coûtant moins de 30 euros. Leur fournisseur est en rupture de stock.

« J’en prends seulement dans les endroits où vous avez besoin de toute votre énergie, les jours où vous manquez rapidement de sucres et que vous voulez les conserver pour le final, explique le grimpeur de Jumbo-Visma, le Néerlandais Steven Kruijswijk. J’ai parfois l’impression d’être plus frais dans le final. Je ne sais pas si c’est cela, ou si c’est un effet placebo. »

Une simple mode ?

Les médecins des équipes françaises du Tour disent refuser de donner des cétones à leurs coureurs en l’absence de certitudes sur leur nocivité à long terme. Par ailleurs, les effets sur la performance ne sont pas attestés, affirme le directeur scientifique de l’AMA, Olivier Rabin. « On est toujours resté circonspect, dit-il au Monde. Les méta-analyses montrent qu’il n’y a pas d’effet positif. »

(...)

Dans le cas des cétones, le chiffre d’une augmentation de la performance de 15 % a été repris dans les médias. Il figure dans une étude menée par Peter Hespel, physiologiste à l’université de Louvain (Belgique) et conseiller de longue date de l’équipe Quick-Step. Il est « largement surinterprété », estime le docteur Xavier Bigard, conseiller scientifique de l’Union cycliste internationale (UCI). Par ailleurs, l’étude avait un objectif précis : étudier l’apport des corps cétoniques pour les sportifs en état de surentraînement. C’est-à-dire dans une situation dans laquelle le cycliste n’est jamais censé se retrouver.

Présent jeudi à Toulouse au départ de la 12e étape du Tour de France, le président de l’UCI David Lappartient s’est vu réclamer d’interdire les cétones par Marc Madiot, le patron de l’équipe Groupama-FDJ. Il faudrait pour cela prouver qu’elles ont un effet néfaste sur la santé, a-t-il répondu. Xavier Bigard, son conseiller scientifique, en doute. Pour lui, il y a davantage lieu de s’inquiéter des cures d’amaigrissement des coureurs « que l’on met en état de dépravation d’apport énergétique pour qu’ils perdent le maximum de graisses. »

« Il y a autre chose »

Pour le Tour de France, cette polémique sur un produit autorisé est un moindre mal, dans un contexte d’élévation des performances. La domination collective d’une poignée d’équipes rappelle à certains les années noires du sport. Le dernier contrôle positif à un produit lourd sur la Grande Boucle remonte à sept ans, signe que la lutte antidopage marque le pas.

Pour ce manager d’une équipe française, « il n’y a pas que les cétones. Il y a autre chose. » Ce que dit, micro ouvert à Ouest France, le docteur Jean-Jacques Menuet, de l’équipe Arkea-Samsic : « Il y a autre chose que les corps cétoniques qui expliquent certaines performances. » « Pendant ce temps, on ne parle pas des corticoïdes », souligne Marc Madiot. Ce produit dopant, interdit par les textes mais dont l’utilisation reste très mal encadrée, est soupçonné d’être largement utilisé dans certaines équipes.

Un autre produit (...), l’Aicar, est aussi revenu à l’avant-scène grâce au dossier du Telegraaf. Selon le quotidien néerlandais, cette pilule miracle qui renforce les muscles en favorisant la combustion des graisses, aurait fait un retour dans le peloton sous forme de poudre.

(...) L’Aicar est recherché automatiquement dans les échantillons, et la proportion de ceux présentant une valeur suspecte est faible. Elle est de moins de 1 pour 1 000 au laboratoire de Gand (Belgique), indique son directeur, Peter Van Eenoo. Par ailleurs, les protocoles de dopage associent l’Aicar au GW1516, facilement détectable.

Fin mai, l’AMA a demandé à une poignée de laboratoires de mettre en œuvre une méthode avancée de détection de l’Aicar, que seul celui de Cologne (Allemagne) maîtrise aujourd’hui. Son directeur scientifique assure que cette temporalité n’était pas liée à l’imminence du Tour de France. « L’Aicar n’est pas l’EPO des temps modernes, et si les cyclistes en prennent, on le trouvera sans mal », certifie Olivier Rabin.


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Cette page a été mise en ligne le 19/07/2019