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« Il y a d'autres choses que les Cétones qui expliquent certaines performances », dit le médecin d'une équipe du peloton


18/07/2019 - ouest-france.fr - Recueilli par Gaspard BREMOND et Christophe RICHARD.

Depuis quelques jours, on parle beaucoup sur le Tour de France, de l'usage des Cétones synthétiques, une boisson qui agirait comme un carburant en course ou en phase de récupération. Le maillot jaune Julian Alaphilippe et son équipe, Deceuninck-Quick Step, en utilisent, tout comme Jumbo-Visma. Qu'en pense un médecin d'équipe ? Jean-Jacques Menuet, de la formation Arkéa-Samsic, se prononce. Et élargit le débat.

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Qu’est-ce que la cétone, cette boisson utilisée par des équipes comme Jumbo-Visma ou Deceuninck-Quick Step ?

En clair, si je mange plein de graisses sans manger trop de sucres, mon foie va fabriquer des corps cétoniques. Là, ces corps cétoniques synthétiques existent sous la forme de liquide que les coureurs vont prendre avant le départ, à mi-course et éventuellement en récupération. Ils constituent un carburant supplémentaire pour les muscles en dehors des glucides et des lipides. Il permet aussi de retarder le moment à partir duquel le muscle va avoir besoin de sucre. Le gars va donc économiser son sucre pendant l’étape et il aura plus de force dans le final, plus de force, plus de giclette. Les intérêts sont multiples : pour avoir un carburant supplémentaire et pour épargner ses réserves de sucre sur la fin. Mais c’est une vieille histoire. Pendant la guerre du Golfe, les militaires anglais l’utilisaient déjà En 2016, je savais qu’il y en avait déjà dans le peloton.

Quel est le problème, selon vous ?

Le problème, comme c’est quelque chose de naturel fabriqué par le corps, on peut se dire que ce n’est pas interdit. Mais nous médecins, on se fait un peu bordurer par des entraîneurs ou préparateurs physiques qui commencent à jouer avec ça et conseillent ça à leurs sportifs. On est là, donc, pour dire qu’on ne connaît pas trop les effets secondaires. Peut-être que dans quelques années, on saura que c’est une merde.

Quels peuvent-être ces effets secondaires ?

Ça pourrait perturber le fonctionnement du foie, qui ne fabrique des corps cétoniques que quand il est en privation de glucose. Mon discours médical est de dire qu’on n’y touche pas, il n’y a pas d’étude sérieuse.

Comment réagissent vos coureurs vis à vis de la Cétone ?

Dans le vestiaire, ils en parlent. Ils ne comprennent pas pourquoi les autres le prennent, se demandent ce qu’il faudrait faire. Moi, j’ai toujours centré le coureur sur sa santé, son avenir, ses enfants, sa famille, tout ça Il ne faut pas oublier que le vélo n’est qu’un passage. Mais après, je pense vraiment que le débat sur les cétones est faux, et qu’il y a autre chose que les corps cétoniques qui expliquent certaines performances.

Comme quoi ?

En particulier l’Aicar (un produit comparable à une substance naturellement sécrétée par le corps qui renforce les muscles tout en favorisant la combustion des graisses et la résistance) qui est quasiment indétectable. La fenêtre de tir est très réduite : vingt minutes entre la prise et la fin de la détection aux contrôles. Ils ont largement le temps de bricoler.

Sur quoi vous basez-vous ? Vos impressions ? Des informations ?

Un, j’ai un décodeur. Deux, j’ai des antennes. Je ne crache pas du tout sur le système, ni sur le vélo. C’est un sport que j’aime. Ce que je veux, c’est que le sportif ne prenne pas de risques pour sa santé. Après, le gars fait ce qu’il veut. Je ne suis pas flic, je ne suis pas juge. En tout cas, chez nous, les portes sont fermées pour ce genre de produit.

Au niveau éthique, si on vous apporte la preuve qu’il n’y a pas d’effet secondaire à la prise de Cétone, l’utiliseriez-vous ?

Oui. Il y a déjà, par exemple, la diète cétonique, qui consiste, pour faire maigrir quelqu’un, à manger plein de graisse pendant un mois sans trop manger de sucre, est quelque chose que j’ai utilisée chez des trailers, des sports d’endurance extrême. Pour des personnes en surpoids, ça marche. C’est un coup de pouce. Après, prendre quelque chose avant, pendant et après l’effort, on est dans une démarche qui est tout de même limite au niveau éthique. Après, je suis peut-être un vieux con Moi, je préfère travailler sur la nutrition, sur certains acides aminés. Je n’ai pas envie de perturber l’organisme.

Vous évoquiez l’Aicar. Quid des micro-doses ?

Bien sûr que les micro-doses sont largement utilisées dans le peloton. Selon moi, on pourrait facilement fermer la porte aux micro-doses, en interdisant certains corticoïdes locaux. Je prends juste un exemple. Le Nasacort, un produit à usage nasal, existe aussi sous forme injectable. Si un coureur se fait une injection de Nasacort, il sera moins allergique, fera moins d’asthme, et il aura plus de force (que s’il l’avait inhalé par voie nasale), cela supprimera sa sensation de fatigue. Il pourra alors parfaitement se défendre au contrôle en disant qu’il a pris du Nasacort par voie nasale, parce que c’est le même produit. Car au contrôle, on ne peut pas faire de différence entre une petite dose de corticoïde administrée par voie sous-cutanée du Nasacort inhalé.

Avez-vous le sentiment que le cyclisme avance à deux vitesses ?

Aujourd’hui, les gars sont beaucoup plus contrôlés, la génération qui arrive me semble quand même beaucoup moins joueuse que les autres avec les règles. Même pour les trucs pour dormir, etc. La recherche de la performance elle est obligatoire, elle sera là encore dans quarante ans. Mais nous, médecins, il faut se mettre des barrières.


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Cette page a été mise en ligne le 18/07/2019