Dossier dopage

Damien Ressiot : «Voir les dégâts du dopage chez les amateurs m'a estomaqué»


07/07/2016 - liberation.fr - Sylvain Mouillard

Journaliste reconverti dans la lutte antidopage, Damien Ressiot explique à quel point les cyclistes se gavent de médicaments.

Quand il est devenu journaliste, le cyclisme ne le passionnait pas. Damien Ressiot, alors à l'Equipe, penchait plutôt pour le foot ou le rugby. C'est par ses articles sur le dopage qu'il est devenu «fan de vélo, un sport magnifique». Parmi ses nombreux scoops, le plus retentissant fut sûrement celui de 2005, lorsqu'il révéla la prise d'EPO par Lance Armstrong lors de son premier Tour victorieux, en 1999. Il y a deux ans, à 50 ans, Ressiot a quitté le quotidien sportif, «fatigué et stressé de [se] prendre des procès». Un peu lassé aussi d'évoluer dans un journal dont le propriétaire, le groupe Amaury, est aussi celui du Tour de France. «Je ne regrette pas du tout ce métier, explique-t-il. J'avais la sensation de tourner en rond, et j'avais envie d'être réellement efficace, avec des moyens bien différents de ceux du journaliste.»

L'homme a d'abord collaboré à l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp) (...). Depuis le 1er octobre, il est le directeur des contrôles de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), chargée notamment de surveiller les 198 coureurs du Tour.

Quelle est la stratégie de recherche des tricheurs cette année sur le Tour ?

Le dispositif est semblable à celui de l'an dernier. Contrôles à l'arrivée des étapes, entre 7 et 8, ainsi que le soir et le matin à l'hôtel des coureurs. Les ciblages sont réalisés de concert entre la CADF [la fondation antidopage de l'Union cycliste internationale, ndlr] et l'AFLD.

Seul un coureur, l'Italien de 37 ans Luca Paolini, avait été contrôlé positif, pour une prise de cocaïne, avant le Tour. Est-ce un échec pour une instance comme la vôtre ?

Non, car la réussite de notre mission ne se mesure pas uniquement à l'aune du nombre de positifs. Les contrôles présentent également un fort effet dissuasif. Lorsqu'ils sont réalisés judicieusement, ils ont aussi vocation à bouleverser les habitudes des tricheurs, à les pousser à la faute. A les inhiber, les déstabiliser. A défaut d'épingler un sportif suspect, on peut également le contraindre à enregistrer des contre-performances consécutives à une succession de contrôles intelligents. A l'empêcher de gagner. C'est une petite victoire, qui doit profiter aux sportifs intègres.

Comment les pousse-t-on à la faute ?

Les tricheurs de haut vol ne commettent guère d'erreurs avec leur protocole, même s'ils ne sont pas à l'abri d'un problème de métabolisme [une déshydratation, par exemple] qui peut contrarier l'élimination d'un produit interdit. Ces gens sont très organisés. Presque paranos. Lorsqu'ils ont la sensation d'être harcelés par des contrôles, d'être dans le collimateur, ils préfèrent s'abstenir.

(...)

Adhérez-vous à l'idée selon laquelle l'état sanitaire du peloton s'est globalement amélioré par rapport à il y a dix ans ?

Je l'espère. Difficile de délivrer une photographie précise. Les habitudes semblent changer, mais parallèlement, on note depuis quelques années le retour en force de l'usage détourné des corticoïdes. Les tricheurs s'adaptent aux réglementations laxistes concernant certaines molécules. L'usage du Tramadol, un antidouleur, pose aussi une question culturelle : celle de cyclistes habitués à être sous aide médicamenteuse. Et c'est un euphémisme. Il existe beaucoup de produits de confort, autorisés par les règlements, qui font partie courante de la pharmacopée du peloton. Beaucoup trop. Cette surconsommation de molécules s'explique par la spécificité de la psychologie du sportif de haut niveau, qui se complaît dans l'usage de cette béquille chimique et développe une sorte de pensée magique sur les produits qu'il utilise.

La prévention de ce genre de comportements doit-elle se faire en amont de la carrière pro ?

Absolument. L'AFLD développe des actions de prévention ciblées sur cette période clé, ce moment où l'ado peut débarquer sur la planète du très haut niveau. Par son travail, son talent, ou par l'usage d'adjuvants. Voire les trois. Cette zone de vulnérabilité constitue une priorité. Même si la répression reste notre coeur d'activité, l'éducation des sportifs relève de notre action de service public. La prévention, c'est ce qui donne du sens à notre métier.

Quelle est la situation chez les amateurs ?

On reste confrontés à des comportements parfois délirants, avec de vrais risques sanitaires, ce qui marque une rupture avec ce qu'encourent les 198 coureurs du Tour. Excepté le problème du Tramadol et des risques de chute que son usage induit [le médicament peut endormir], ces derniers bénéficient d'un tel arsenal et d'un tel réseau de compétences médicales que même si les effets délétères de certains produits à plus ou moins long terme sont avérés, les pros sont en bonne santé. Le paysage amateur est bien plus préoccupant. L'opération répressive que l'AFLD a effectuée en mars dans le peloton guadeloupéen, pour rester dans le même sport, a abouti à des résultats alarmants : 19 % de positifs lors d'une épreuve, une prise de risque sanitaire maximale, des hématocrites [part de globules rouges dans le sang] supérieurs à 60, l'usage de saignées pour éviter les contre-indications à la pratique sportive. On s'est retrouvés propulsés dans la culture du dopage des années 90.

Qu'avez-vous appris de votre passage à l'Oclaesp, qui s'intéresse surtout au monde amateur ?

Je sous-estimais largement l'existence des trafics de produits dopants, la manière dont ils sont structurés et les dégâts qu'ils occasionnent. Ça m'a estomaqué, voire déstabilisé. On n'a aucune idée, en tant que journaliste sportif rivé sur le haut niveau, de l'étendue des dégâts dans les échelons du dessous. Découvrir des laboratoires clandestins dans des pavillons de banlieue, assister aux auditions de types obsédés par leur plastique qui se fichent de la traçabilité des produits qu'ils consomment, qui anéantissent leur cellule familiale parce qu'ils sont gavés de testostérone, ça fait froid dans le dos. J(...)

(...)


Lire l'article en entier



Sur le même sujet


Cette page a été mise en ligne le 10/10/2016