Dossier dopage

Le dossier noir du dopage amateur


29/10/1998 - L'Express - Alain Mercier

Sébastien Grousselle avait 21 ans et une passion pour le cyclisme, dont il voulait faire son métier. Il rêvait du Tour de France et patientait dans le peloton des 400 meilleurs coureurs amateurs (...). Le vendredi 18 septembre 1998, Sébastien Grousselle est mort sur une route de Montereau, en Seine-et-Marne, alors qu'il disputait un critérium de fin de saison. Les témoins l'ont vu chuter brusquement de son vélo, sans raison apparente, en pleine ligne droite. Sa tête a percuté violemment un trottoir, provoquant une fracture du crâne et celle de plusieurs vertèbres. Il est décédé dans les heures qui ont suivi.

Avancée par les premiers secours, l'hypothèse d'une rupture d'anévrisme n'a pas été retenue par l'enquête de police. Une analyse du sang de la victime a révélé une présence massive de corticoïdes. Sébastien Grousselle était donc dopé au moment de l'accident. A 21 ans. Alors que le sport n'était pour lui qu'un (...) fantasme de carrière. Le vendredi 16 octobre, le parquet de Fontainebleau a ouvert une information judiciaire contre X pour «homicide involontaire, transport, cession et acquisition de substances vénéneuses et facilitation à l'usage de stupéfiants». (...) L'affaire a fait grand bruit. Elle n'est pourtant pas sans précédent. En 1968, un jeune footballeur de 18 ans, Jean-Louis Cadri, amateur lui aussi, avait succombé sur le terrain, en plein match de football. L'autopsie révélera la présence (...) d'une importante quantité d'amphétamines. (...)

Dénominateur commun à ces deux victimes: l'une comme l'autre pratiquaient le sport en simples amateurs. Preuve que le dopage n'est pas l'apanage d'une élite de champions (...) gonflés aux hormones pour les besoins du sport spectacle et de la course aux performances. (...) Médecin et chercheur, directeur du département d'étude du dopage et des drogues de la performance à l'université de Nancy, Patrick Laure a mené l'enquête auprès de 2 000 sportifs amateurs. Son échantillon de population: des hommes et femmes de plus de 15 ans, licenciés dans un club et pratiquant au moins deux heures par semaine. Choisis au hasard, ils représentent 51 disciplines. Le résultat, en cours de publication scientifique, fait froid dans le dos. «Près de 10% des personnes interrogées avouent utiliser des produits dopants, explique Patrick Laure. La consommation ne diffère pas d'un sexe à l'autre. Et elle atteint deux pics très visibles: les jeunes de 25 ans et la tranche d'âge 35-39 ans.» En rapportant ces chiffres à l'échelle nationale (...) on peut estimer à 1 million le nombre d'amateurs qui ont recours au dopage - «Pour la victoire, pour la performance ou pour l'argent». Trois raisons avouées qui ne dépareraient pas dans le vocabulaire usuel du champion moderne. Les produits? (...) En tête, les stimulants (45%), une catégorie où se rangent notamment les amphétamines, la caféine et l'éphédrine, connues pour faire reculer le seuil de fatigue pendant l'effort. Suivent les stupéfiants, dont le cannabis, et les antidouleurs (28%), puis les cortico-stéroïdes (12%), et enfin les anabolisants (3%), famille dominée par la testostérone et la nandrolone. Commentaire de Patrick Laure: «Il s'agit toujours de médicaments détournés de leur usage, et bien souvent remboursés par la Sécurité sociale.» Surprise: les dopés admettent en majorité (61%) s'approvisionner très simplement chez leur pharmacien, une ordonnance à la main et l'air faussement patraque. Les autres font leurs emplettes au marché noir (20%) ou préfèrent se fournir auprès de leur entourage (15%). Le corps médical serait donc complice. Une hypothèse que Patrick Laure réfute: «En réalité, les médecins qui prescrivent ces produits ignorent la plupart du temps que leurs patients en feront usage à des fins de dopage. Il n'est pas très difficile de feindre un mal quelconque afin d'obtenir l'ordonnance que l'on souhaite. (...) Selon mes sources, les praticiens qui fournissent sciemment les sportifs en produits interdits sont très peu nombreux. Guère plus de deux par département.»

On est bien loin de l'affaire Festina, de la mort de «FloJo», Florence Griffith-Joyner (...) et des rumeurs galopantes autour du football professionnel. Le dopage au quotidien s'apparente plutôt à un bricolage hasardeux (...) pratiqué sans le moindre suivi médical et au mépris des règles de prudence. «Sur les 200 contrôles positifs effectués en France l'an passé, 175 concernent des sportifs non professionnels», explique Jean Poczobut, conseiller technique au ministère de la Jeunesse et des Sports. Bref, le dopage est dans la rue. On a détecté, en France, des traces d'anabolisants chez des enfants de 8 ans. Un élève d'une classe de cinquième, dans les Vosges, a avoué à son médecin recevoir régulièrement des injections de stéroïdes. (...)

L'édition française d'un magazine américain destiné aux culturistes (...) expliquait récemment comment conserver ses muscles après une cure de Stanozolol, un stéroïde anabolisant connu pour avoir été à l'origine du contrôle positif de Ben Johnson aux Jeux de Séoul, en 1988. Aux Etats-Unis, les aveux de dopage de Mark McGwire, la vedette actuelle du base-ball, n'ont pas semblé choquer l'opinion. Pis: les laboratoires qui commercialisent son produit miracle, l'androsténédione, (...) ont frôlé la rupture de stock. Le mal est profond. Mais les armes pour le combattre encore peu dissuasives. (...)


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Cette page a été mise en ligne le 01/06/2006