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Dossier dopage |
Le contrôle positif du cycliste breton Damien Poisson (...) est venu rappeler que le fléau du dopage touche aussi le cyclisme amateur. Pour autant, assiste-t-on vraiment à un retour en arrière, à une époque où la triche était presque généralisée dans ce milieu ? Ouest-France a donné la parole aux acteurs
Un coureur s'en rappelle bien. « J'étais à l'Essor Breton, en mai dernier. C'est vrai qu'il était monstrueux » Malheureusement peut-être un peu trop. Le 22 novembre 2023, l'Agence française de lutte contre le dopage révélait que Damien Poisson (...) avait été contrôlé positif ce jour-là après l'arrivée.
Les analyses ont révélé la présence de stéroïdes anabolisants. Conséquence : trois ans de suspension pour le Breton, un « chic type » reconnu comme tel dans le milieu du vélo (...). « Je suis étonné, ça ne lui ressemble pas », dit un personnage du vélo breton qui le connaît bien. (...)
« C'est un mec qui, depuis des années, voulait passer pro, confie cet ex-coureur amateur qui l'a côtoyé. Il a stagné pendant longtemps, il n'y avait que le vélo dans sa vie et il a fait n'importe quoi Je pense qu'il était au bout du rouleau et voulait absolument passer pro avant la fin de l'année. » Cette quête, et les gains financiers, est souvent avancée comme les raisons du dopage à ce niveau
« Ils se posent beaucoup de questions »
Ce contrôle positif réveille surtout de vieux démons. Chez les amateurs, où la triche a trop longtemps existé comme chez les pros, le dopage est-il en train de faire son retour ? C'est une vraie crainte, et les avis sont à vrai dire partagés. Certains disent que le climat a changé, que les jeunes ne veulent pas en entendre parler, notamment.
D'autres, au contraire, s'inquiètent. « Il y a une recrudescence de comportements qui posent question », dit un cycliste. Pour eux, ce n'est certes pas le dopage lourd de leurs aînés, mais la volonté de tricher existe encore. Elle s'apparente à de la « bricole », comme le veut l'expression employée dans le jargon cycliste. En clair, des produits éthiquement limite, mais qui pour certains dépassent même la ligne rouge
Le doute est là, donc. « Dans le milieu des N1, des anciens coureurs amateurs m'en parlent, ils voient des choses, ils entendent des trucs Ils s'interrogent, lâche un organisateur de course amateur. Ça reste une minorité d'abrutis, mais je crains qu'il y en ait quelques-uns, oui » « En amateur, beaucoup de gars sont sur le fil du rasoir, raconte ce coureur. Ils prennent ce qu'il faut en caféine, leurs taux de fer sont à bloc, etc. Parfois, tu vois des mecs prendre deux-trois cachets de Claradol, du paracétamol avec de la caféine. Ce sont des petits trucs quoi »
« Certains jouent avec les limites »
Ce cycliste aussi partage ce constat. Selon lui, la fameuse « culture du cacheton » est loin d'avoir disparu. « Il y a toujours des mecs borderline. Dans leur sac, il y a des compléments alimentaires. Mais à un moment, quand tu as trois ou quatre pilules à côté de ton verre au petit-déjeuner, tu te complémentes toute la journée Ce n'est pas du dopage mais il ne faut pas déconner non plus (...) »
Est-ce réellement du dopage ? Parfois c'est une zone grise, mais parfois oui. Certains compléments alimentaires peuvent être considérés comme dopants. Les Dolirhume, eux, circulent. Ils contiennent de la pseudoéphédrine, donnent un coup de boost, et peuvent conduire à un contrôle positif. « Tu as le droit à trois par jour. Et si tu en prends quatre, il faut que tu justifies, et c'est une dérive », regrette ce directeur sportif. « Du Dolirhume, de l'antihistaminique (médicaments utilisés pour traiter les allergies), il y en a pas mal », reconnaît ce coureur.
La Ventoline, aussi, circulerait encore au départ des courses. Sauf que sa prise ne doit pas dépasser un certain seuil, de peur d'être pris par la patrouille. « Il y en a encore. Si tu as le droit à six bouffées, des mecs vont prendre cinq bouffées pile poil car ils savent qu'il faut une AUT au-delà, confie ce coureur. C'est autorisé, donc rien d'illégal, mais ça veut bien dire que tout n'est pas si blanc et qu'il y en a encore trop qui prennent leur petit truc C'est comme pour des cachets de magnésium, de fer, etc., alors qu'un coureur n'est pas carencé. Afin d'avoir tous ses taux au maximum »
Autre exemple d'optimisateur de performance : les Snus. Ces petits sachets de tabac (...) se placent sur la gencive des coureurs avant les courses. Certains en prendraient. La nicotine a des effets stimulants, elle libère de l'adrénaline, stimule le processus neuro-sensoriel et dynamise la vigilance et les réflexes. Pour des médecins, le Snus devrait être proscrit. « Je ne serais également pas surpris qu'un coureur se fasse choper pour du cannabis », pense un directeur sportif.
Les corticoïdes, en partie interdits depuis 2022, perdureraient dans les pelotons. « Je ne suis pas sûr non plus qu'il y ait eu beaucoup d'accalmies avec les cortico », dit un cycliste amateur. Un de ses compères ajoute : « Certains, je pense, utilisent encore des microdoses de cortico, cela te fait sécher et gagner en force. Et apparemment, certains amateurs prennent aussi des cétones » Les cétones, ce produit encore autorisé chez les pros, au cœur d'une polémique depuis 2019 parce qu'utilisé par des équipes étrangères mais officiellement aucune française. Est-ce dopant ? L'AMA n'a pas encore tranché
« Quand un mec met longtemps à chercher sa pâte de fruit dans la poche, ce n'est pas une pâte de fruit »
Avec le temps, donc, les coureurs ont parfois appris à ne se faire guère d'illusion. « Sur le vélo, on en voyait qui faisait. Les anciens m'avaient dit'' Un jour si t'es en échappée avec lui, regarde vraiment ce qu'il fait.'' J'ai bien vu Quand un mec met longtemps à chercher sa pâte de fruit dans la poche, ce n'est pas une pâte de fruit Je ne sais pas ce que c'était, mais on entendait parler de Tramadol (un antidouleur) , de tout ça. À une heure de l'arrivée, il y en avait qui se mettait à l'arrière de l'échappée et tu le voyais bien Certains ne se cachaient même pas, ils mettaient ça dans leurs poches ou dans les manches et ils prenaient un cachet. Ils n'avaient honte de rien »
Le Tramadol, toujours. « Il y a quelques années, raconte un coureur, je m'étais blessé et on m'avait prescrit du Tramadol. J'en ai pris deux quand j'étais alité, et j'avais vomi tout ce que j'avais. Pour moi, la question était réglée (rires) Mais quand les médias ont annoncé ma blessure, j'ai reçu des messages de coureurs pour savoir si je pouvais leur vendre du Tramadol. Je ne voulais pas y croire ! »
« Je n'ai jamais été contrôlé sur une course »
Le problème, selon beaucoup de nos interlocuteurs, se trouve dans l'absence de contrôles et donc des craintes que ceux-ci suscitent. Les amateurs n'ont pas à se soumettre au passeport biologique, ni au système de localisation Adams. Dans les faits, en 2022, 984 prélèvements ont été réalisés sur des cyclistes, mais seuls 20 % concernaient les amateurs (à partir de la N2) et 80 % les pros ou les N1. Une tendance inverse d'il y a une dizaine d'années, où les amateurs étaient davantage surveillés. « L'Agence mondiale antidopage (AMA) impose désormais de contrôler au plus haut niveau, dit Christophe Bassons, (...) l'un des hommes chargés de la lutte contre le trafic et la prévention des conduites dopantes pour l'État. C'est malheureux »
« Moi, je n'ai jamais été contrôlé sur une course ! », lâche ainsi ce coureur qui vient d'arrêter. « Pareil pour moi, mais je n'ai pas trop marché », dit un autre. « L'an dernier, on a eu deux contrôles chez les hommes, mais on n'avait vu personne sur notre épreuve depuis quatre ans ! », dit Alain Baniel, président du Kreiz Breizh Elite. « Je regrette que les coureurs de N1 ne soient pas soumis aux mêmes contrôles que les professionnels », pense cet autre organisateur.
Ce directeur sportif poursuit : « (...) Tu sais que les contrôles tombent toujours aux mêmes moments. Toujours avant les championnats de France. Si t'es limite et tu sais qu'il y a tout le temps contrôle, tu ne viens pas sur la course » Dans le milieu, on regrette le temps où « il y avait le suivi par prise de sang fait par la Fédération française. C'était deux fois par an, c'est passé à un, et maintenant les gars ne sont plus suivis »
« On ne va jamais voir les amateurs quand ils coupent en dehors des courses !, peste Christophe Bassons. Quand ils ne courent pas pendant un mois, ils peuvent faire absolument ce qu'ils veulent Tu n'as rien contre eux, pas d'horaire, pas de localisation » L'an passé, en 2022, il y a tout de même eu dix résultats d'analyses anormaux en cyclisme (pros et amateurs confondus), mais tous n'ont pas débouché sur des sanctions car, fait curieux, les amateurs peuvent présenter des AUT a posteriori.
L'AFLD se bat avec ses moyens, en somme. Elle va jusqu'à infiltrer des équipes. « Elle m'avait contacté afin que je fasse la taupe dans une de mes anciennes formations, reconnaît un coureur. (...) Mais, au final, je ne l'ai pas aidée »
« On a mis à l'arrêt deux coureurs deux-trois semaines car il y avait des doutes »
Dans les équipes, nous dit-on, les sanctions internes sont lourdes. « En cas de cas avéré, on suspend tout lien avec le coureur, et on lui demande des indemnités de réparation, le remboursement de tout frais qu'on a pu mettre en place pour lui », dit un directeur sportif. Avant cette éventualité, il fait de la prévention. « On fait signer la charte de la FFC. Toutes les équipes de niveau N1 doivent remplir un dossier avec cette charte fédérale qui liste une bonne partie de ce sujet-là : respecter l'équité du sport, etc. On a un règlement intérieur, on demande aux coureurs qu'ils soient suivis par un médecin de l'équipe, qu'ils soient suivis sur les plateformes d'entraînement ou autre. En début d'année, je demande une fiche aux coureurs pour savoir s'ils courent avec des traitements. Dès que je vois qu'on dépasse le cadre de l'autorisation, un coureur malade reste à la maison. »
« Nous, on avait un dossier médical, établi par le médecin d'équipe, qui nous autorisait à faire des contrôles, raconte Alain Heulot, ex-président de Sojasun Espoirs (N1). Il nous arrivait d'effectuer des contrôles inopinés Si on avait un doute, le médecin faisait une prescription et il avait 48 heures pour aller dans un laboratoire et fournir le résultat de l'analyse avec des points bien précis. Il y a deux coureurs qu'on a mis à l'arrêt deux-trois semaines car certains de leurs paramètres pouvaient laisser planer la suspicion Ensuite, on faisait un contrôle pour voir si tout était rentré dans l'ordre. Mais tout le monde ne fait pas des contrôles inopinés en interne »
Ce directeur sportif fait, lui, du suivi des coureurs une priorité. (...) Dans sa structure, ils encouragent également le double cursus. « On leur dit que si le vélo s'arrête, la vie n'est pas finie » Parfois, l'obsession du professionnalisme conduit à franchir la ligne rouge Surtout qu'il le dit : « Ceux qui passent à l'acte peuvent penser que tout le monde le fait »
« Ce qui me choquait, c'était les directeurs sportifs qui allaient taper la bise comme si de rien n'était à un mec pas clean »
À l'inverse, quelques équipes ont encore mauvaise réputation. Dans le milieu, ce sont des noms qui reviennent. C'est lié au passé d'un coureur, d'une structure, à des performances qui étonnent. Mais rarement à des contrôles positifs. « Quand une équipe a des mecs qui gagnent beaucoup chez les amateurs et qui ne passent pas pros, on se pose des questions », confie un coureur. La machine à rumeurs fonctionne à plein. (...) « Je me souviens d'un gars, il y a quelques années, qui avait un dernier gros objectif en carrière. Je suis persuadé qu'il avait tout mis ce jour-là Car on ne l'a jamais revu après. » Un organisateur de course : « Un directeur sportif m'a dit un jour qu'il n'allait pas prendre ce coureur car il avait de gros doutes. »
Les entourages peuvent également être viciés, à en croire certains. La famille, notamment, avec des parents ayant couru dans les sales années, n'aide pas toujours. « Ce qui me choquait, c'était aussi les directeurs sportifs qui allaient taper la bise, comme si tout allait bien, à un mec dont le monde savait qu'il n'était pas clean », dit par exemple un coureur.
C'est ce qui inquiète Christophe Bassons. L'ex-coureur est pessimiste. « Je pense que le dopage est de retour en amateur. J'entends des choses, on me rapporte des trucs. Plus grand monde n'est contrôlé. Je vois aussi des anciens coureurs, des anciennes chaudières, qui reviennent et qui gagnent des courses.. » Il dit même : « Pour certains, je le crains, c'est encore du dopage lourd. Ca va au-delà du « bricolage ». L'EPO n'est pas morte, hein ».
L'ancien coureur est dépité. « Toute l'action de lutte, de prévention, se casse un peu la figure Je suis malheureux pour ceux qui jouent le jeu, pour les jeunes qui ne sont pas tous là-dedans. C'est de l'injustice pour eux »
Cette page a été mise en ligne le 08/12/2024