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Actualité du dopage |
Un article du site anglais Escape Collective faisait beaucoup de bruit vendredi, au moment même où les performances de Tadej Pogacar et de son principal rival Jonas Vingegaard laissent les suiveurs dubitatifs, d'abord au Pla d'Adet puis au Plateau de Bielle.
Le pharmacien Marc Kluszczynski, dont nous publions régulièrement des articles, apporte son éclairage sur la possibilité d'utiliser le monoxyde de carbone dans le but d'améliorer les performances. Marc est titulaire du diplôme universitaire de dopage de l'université de Montpellier (2006). Il est aussi responsable de la rubrique "Front du dopage" du magazine Sport & Vie. Il connait le sujet. En septembre dernier, déjà sur notre site, il alertait sur la possible utilisation de gaz inhalés par le Jumbo-Visma.
Nous publions ici son deuxième article. Le premier, « Du monoxyde de carbone en inhalation ! » est à lire ici.
L'EPO reste bien sûr le meilleur moyen pour augmenter le taux d'hémoglobine et la quantité d'oxygène apportée aux muscles. Dès les années 60, Raphaël Géminiani, directeur sportif de Jacques Anquetil, s'était intéressé à la question. Bien que l'EPO fût découverte en 1957, Géminiani conseillait à Anquetil des séjours en tente dont l'atmosphère était ionisée par décharge électrique à la base de la formation d'ozone. Avec l'aide du Dr Bidet, Anquetil passera aux injections d'ozone en solution pour la Giro 1967. Après sa troisième place derrière Felice Gimondi et Franco Balmanion, le traitement à l'ozone avait montré ses limites : gaz instable, il se transforme très vite en oxygène, qui n'apporte aucun avantage dans l'organisme d'un sportif aux transporteurs déjà saturés. Il fallait donc agir sur le nombre de transporteurs de l'oxygène, les globules rouges qui contiennent l'hémoglobine. L'EPO est enfin isolée en 1972 par Eugène Golswasser, puis synthétisée au début des années 80. Elle est utilisée dès 1989 au Championnats du Monde de ski nordique à Lahti (Finlande) puis elle inonde les sports d'endurance. La hiérarchie sportive est bouleversée pendant quelques années jusqu'à la mise au point du test de détection en 2000. Les évolutions récentes de ce test permettent de détecter les microdoses de quelques centaines d'UI. Couplé à l'interprétation du passeport sanguin, il est devenu de plus en plus risqué de se doper à l'EPO.
Certains s'étaient déjà engouffrés dans l'utilisation des PFC, mais ces substances sont dangereuses et facilement détectables. Favoriser l'hypoxie pour augmenter le taux d'hémoglobine et le nombre de globules rouges est devenu la ligne directrice de l'entraînement des sportifs d'endurance. Des moyens légaux existent, comme les stages en altitude ou les tentes hypoxiques (bien plus efficaces que les masques hypoxiques que portait Alberto Salazar à l'entraînement dans les années 80). Les moyens illégaux s'ajoutent toujours avec un temps de retard sur la liste des interdictions de l'AMA (les médicaments de l'érythropoïèse sont toujours plus nombreux et agissent à d'autres niveaux que l'EPO). L'inhalation d'un mélange oxygène et xénon utilisé par les sportifs russes aux JO de Sotchi est interdite en septembre 2014. L'utilisation de chlorure de cobalt (connu depuis le siècle dernier pour traiter l'anémie) et remis au goût du jour par trois médecins italiens en 2006, est interdite en 2015.
Utilisation du monoxyde de carbone comme facteur d'hypoxie
Tout dernièrement (1), des physiologistes allemands de l'Université de Bayreuth citent l'utilisation du monoxyde de carbone (CO) comme facteur d'hypoxie. Encore une fois, on se souviendra d'Alberto Salazar qui préparait le marathon olympique de Los Angeles en s'entraînant sur tapis roulant dans son garage, avec le moteur de sa voiture qui tournait ! Le CO est produit par combustion incomplète dans les moteurs à explosion, âtres à feu de bois, chauffe-eaux mal réglés ou encore cigarettes. Il est responsable chaque année de nombreux accidents domestiques mortels car, à haute dose, ce gaz incolore, inodore et sans saveur supprime toute respiration cellulaire. Il déplace l'oxygène de sa liaison à l'hémoglobine, et cette liaison est 220 fois plus stable que la liaison Hb-O2. D'où la nécessité de respirer de l'oxygène en caisson hyperbare pour traiter l'intoxication.
Les chercheurs allemands ont administré à 11 sujets, 100 ml de CO 5 f/j durant trois semaines. Le taux de Hb-CO a augmenté de 5%, de même que le taux de globules rouges (l'hématocrite a augmenté de 13,8%) et d'Hb (la masse totale de l'hémoglobine a augmenté de 44 g ou 4,8%). Le VO2 max a augmenté de 3%. Une exposition continue à une faible dose de CO est donc bénéfique à l'entraînement en endurance sans modifier de manière trop brutale les constantes du passeport sanguin. Si c'était le cas, un entraînement par conditions caniculaires comme pédaler sur home-trainer aux heures les plus chaudes permettrait d'augmenter le volume sanguin et de parer à une augmentation trop forte du taux d'hémoglobine. On se souvient que certains cyclistes s'étaient mis à fumer quelques cigarettes par jour à l'apparition du test EPO. Dès les années 70, on avait remarqué que le sang des fumeurs présentait un taux d'hémoglobine et un hématocrite plus élevés que ceux des non-fumeurs. Le Comité d'Ethique en France avait interdit en 2010 aux scientifiques la mesure de la masse totale de l'hémoglobine car elle nécessite l'inhalation de CO. C'est pour cette raison qu'elle ne fait pas partie des constantes du passeport sanguin. Les 5% d'Hb-Co formés ne provoquent pas d'effets indésirables. Il faut aussi savoir qu'une exposition ponctuelle au CO abaisse le VO2 max de 3 %, par diminution du taux d'hémoglobine de quelques pour cents également.
Monoxyde de carbone et traitement à l'oxygène hyperbare
Le traitement à l'oxygène hyperbare est complémentaire à celui du monoxyde de carbone. Dans les sports d'endurance, le traitement hyperbare à 100% d'oxygène doit être réalisé tous les jours. Il dure environ deux heures, ce qui est faisable dans un grand Tour si le bus de l'équipe est équipé de plusieurs caissons. Le taux d'hémoglobine peut grimper de 3 g/dl ! (5). L'avantage est donc décisif dans une étape de montagne. L'oxygène dissous dans le plasma se trouve à une concentration 16 fois plus importante que celle d'un plasma à pression atmosphérique : il peut atteindre 32 à 48 fois la valeur de l'oxygène dissous à pression atmosphérique (2 à 3% de l'oxygène inhalé), l'hémoglobine restant bien sûr saturée ! L'effet n'est pas durable : le taux d'oxygène dissous revient à cette valeur de départ à la fin de l'étape. Il faudrait donc contrôler les coureurs avant le départ de l'étape ! A quand un taux limite d'oxygène dissous ? Rien de mieux pour berner les contrôleurs alors que les globules rouges ont une durée de vie de 120 jours.
Vers une interdiction ?
L'AMA se décidera-t-elle à inscrire l'oxygène sur la liste des produits ou méthodes sous surveillance avant de l'interdire ? Il faut le souhaiter car en 14 ans les connaissances ont évolué et l'encadrement médical des équipes professionnelles est à l'affût de la moindre faille de la législation poreuse de l'AMA.
(1) Chronic exposure to low dose carbon monoxyde alters hemoglobin mass and VO2 max. Schmidt, Walter and al. Med Sci in Sports and Ex. 52(9), 1879-1887. Sept 2020. De nouvelles avancées de cette méthode avaient été présentées à l'Université de Florence lors d'une conférence (Science and cycling) juste avant le départ du Tour de france 2024 !
Cette page a été mise en ligne le 15/07/2024