Actualité du dopage

Du monoxyde de carbone en inhalation ! #6


14/07/2024 - cyclisme-dopage.com - #TeamWatttheFuck et Marc Kluszczynski

Un article du site anglais Escape Collective faisait beaucoup de bruit hier, au moment même où les performances de Tadej Pogacar et de son principal rival Jonas Vingegaard laissent les suiveurs dubitatifs.

Le pharmacien Marc Kluszczynski, dont nous publions régulièrement des articles, apporte son éclairage sur la possibilité d'utiliser le monoxyde de carbone dans le but d'améliorer les performances. Marc est titulaire du diplôme universitaire de dopage de l'université de Montpellier (2006). Il est aussi responsable de la rubrique "Front du dopage" du magazine Sport & Vie. Il connait le sujet. En septembre dernier, déjà sur notre site, il alertait sur la possible utilisation de gaz inhalés par le Jumbo-Visma (article à lire iciici).

Nous publions ici un premier article. Un deuxième, « Oxygène et monoxyde de carbone, nouveaux dopants ! » est en préparation.

Du monoxyde de carbone en inhalation !

L'information tombait le samedi 13 juillet, au matin de la 14ème étape entre Pau et Saint-Lary-Soulan. Le site anglais Escape Collective (1) révélait que les équipes Visma-Lease a bike, UAE Team Emirates et Israël Premier Tech utilisaient un recycleur de monoxyde de carbone (ou CO rebreather). Les détails qui suivaient étaient peu compréhensibles. Ce recycleur serait destiné au dosage de CO dans le sang et à celui « d'autres valeurs sanguines », « servant ainsi à reproduire les effets de l'altitude ». Les directeurs de la performance chez Visma (Mathieu Heijboer) et chez UAE (Adriano Rotunno) ont reconnu que le dosage de CO dans le sang est pratiqué dans leurs équipes, mais ils n'en disent pas beaucoup plus.

A la lecture des articles de presse, il est clair que les journalistes n'ont pas très bien compris ce qui se passait. S'agirait-il de mesurer les effets d'un entraînement en altitude comme ils veulent le laisser entendre ? Heijboer précise que les trois équipes du World Tour utilisent un dispositif, le Detalo blood volume analyser à 50.000 euros, mesurant le volume de sang total, le volume des globules rouges, le volume plasmatique et la masse totale de l'hémoglobine. Le Detalo est connecté à une source d'oxygène et de CO. Le CO inhalé en petite quantité (100 ml) n'est pas dangereux et cette méthode est utilisée depuis de nombreuses années pour chiffrer la masse totale de l'hémoglobine. Elle nécessite la formation de 5% d'Hb-CO (CO lié à l'hémoglobine). Il est donc faux d'insister sur la dangerosité de la méthode, même si l'inhalation de CO en grande quantité est mortelle.

On peut supposer que les deux équipes de pointe sur ce Tour de France vont plus loin. En déterminant le taux d'Hb-CO avant une étape chez un cycliste, le but serait de l'éliminer et de le transformer en Hb-O2. Comme la liaison Hb-CO est 220 fois plus stable que la liaison Hb-O2, la seule manière de se débarrasser d'Hb-CO est de respirer de l'oxygène hyperbare, entre 3 et 4 atmosphères en caisson. Sport et Vie avait évoqué cette pratique l'année dernière. Non seulement, Hb-CO disparaît (gain marginal) mais de l'oxygène se dissout dans le plasma. Là, le gain est énorme en terme de performance : le taux d'Hb peut augmenter de 3 g/dl.

Mais pourquoi respirer du CO pour mesurer le taux d'Hb-CO ? Les deux directeurs de la performance chez Visma et UAE n'ont bien sûr pas évoqué l'effet dopant de l'inhalation de CO. L'hypoxie induite augmente le taux de globules rouges, la masse totale de l'hémoglobine de 4,8%, ce qui augmente le VO2 max de 3%. Il s'agit, trois semaines avant le Tour, de respirer du CO afin d'augmenter le taux d'hémoglobine et le VO2 max, puis d'éliminer le Hb-CO résiduel (déchet) en respirant de l'oxygène hyperbare. Voici donc la nouvelle méthode de dopage que l'AMA n'a pas vu venir : inhaler du CO, mesurer le CO résiduel, l'éliminer avec l'oxygène hyperbare. Elle pourrait même la tolérer comme appartenant à la zone grise.

Mais la méthode cadre bien avec la méthode interdite M 1.3 du Code mondial antidopage : « toute manipulation intravasculaire de sang ou composant(s) sanguin(s) par des méthodes physiques ou chimiques », même si les gaz utilisés ne le sont pas. La piste soulevée il y a un an (inhalation de gaz non interdit), lire notre article, était la bonne. Visma et UAE se défendent bien sûr d'utiliser l'inhalation de CO pour augmenter l'hémoglobine et donc la performance. Il s'agirait pour eux uniquement de quantifier un entraînement en altitude


(1) Exclusive: Tour riders are inhaling carbon monoxide to optimise altitude training - Escape Collective, 12/07/2024. Kristof Ramon, Cor Vos.


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Cette page a été mise en ligne le 14/07/2024