Actualité du dopage

Trop vite, trop haut, beaucoup trop fort pour être honnête : abominable #2


02/07/2024 - cyclisme-dopage.com - Antoine Vayer - #TeamWattthefuck

L'historique depuis 1994 des performances en haute altitude

A Sierra Nevada à 2350 m au centre national du sport, sur les pentes du stratovolcan Teide qui culmine à 3718 m sur l'île de Tenerife dans l'archipel des îles Canaries, sur l'Etna en Sicile à 1950 m au refuge de Sapienza, dans les Alpes au col du Lautaret à 2000 m à l'hôtel des Glaciers devant lequel l'étape est passée au pied du Galibier aujourd'hui, à la station de Tignes 2100m ou à Isola 2000 ou bien moins haut à Font Romeu à 1850m près du centre d'entraînement et d'expertise de la performance de haut-niveau en altitude (créé spécialement sous de Gaulle pour préparer les JO de Mexico de 1968 et adapter les athlètes qui n'avaient ramené qu'une seule médaille d'or des JO en 1964 en équitation), les cyclistes vivent souvent maintenant en haute altitude. Quand ils ne sont pas dans des établissements avec des pièces ou des tentes en « hypoxie » qui simulent cette altitude. Le but premier de tout cela était de « faire des globules ». Initialement. Cela a complètement dérapé. La philosophie a changé. Dans ces endroits haut perchés, on peut se doper, collecter son sang, le bricoler sans risque, faire des réglages avec des produits, trafiquer les muscles, l'hémoglobine et les mitochondries qu'on veut plus grosses, pour qu'elles deviennent des usines au moindre déchet qui limiteraient les efforts de la filière énergétique aérobie, pour ne jamais avoir mal, ni rien ressentir en plaine comme en altitude. Pour espérer pousser plus de 450 watts mutants, partout, tout le temps.

Pas de stress

L'altitude devrait être un gros frein aux watts. Il existe plusieurs stress en altitude. « Normalement », mais apparemment pas pour tout le monde. La pression atmosphérique est diminuée. L'air et l'oxygène qu'on respire passe dans le sang par les parois des alvéoles pulmonaires. Il y a moins de pression quand on pédale au-dessus de 1000 m. Puis plus on grimpe, moins l'oxygène, qui est le principal carburant des cellules pour fournir les efforts d'endurance, passe dans le sang. C'est le premier stress. La teneur en oxygène de l'air est en dessous de 18% en hypoxie alors qu'en plaine elle est vers 20%. Les coureurs et leur encadrement médical suivent la saturation partielle de cet oxygène avec un oxymètre au bout du doigt, comme à l'hôpital. Dans ces centres d'entraînement en altitude, les chambres d'hôtel sont de toute façon similaires à celles d'un hôpital. Au niveau de la mer les coureurs sont à 97-98% de saturation, le sang est bien chargé en oxygène.

En altitude, avec cette moindre pression atmosphérique et les gaz qui en plus se répandent plus dans l'air, cela provoque un deuxième « stress ». La quantité d'oxygène transférable au sang dans les cinq litres que nous respirons est réduite, avec moins de « capacité respiratoire » qu'en plaine. Quand les athlètes arrivent en stage en altitude, leur saturation partielle d'oxygène chute de manière nette, vers 88-90%. Ils ventilent plus, la fréquence cardiaque augmente fortement. Le cœur bat la chamade. Vous avez sans doute ressenti cela au ski en haut des pistes ou si vous êtes allé au Pic du Midi. Ce n'est pas le cas pour tous apparemment. On cherche ces stress en stage pour améliorer la capacité d'adaptation. Sous tente hypoxique, le stress barométrique de pression n'existe pas dans l'air ambiant. On règle donc à 2500 m pour avoir l'équivalent de 2000 m dans la vraie altitude. Après, les athlètes se stabilisent vers 91% en saturation. Au-dessus de 2000m, au début, on peut avoir des petits maux de tête, des points bizarres sur la poitrine. C'est normal. Ce sont les stress dus à la perte de 7 à 8% d'apport en oxygène dans le sang, même si l'air n'est jamais pauvre en oxygène. Non, il passe moins bien à cause de cette moindre pression. Dans le même volume inspiré on en a moins, tout comme d'azote ou les gaz rares qui composent l'air. Il faudrait ventiler 6 litres et non plus 5. Les sensations « bizarres » passent au bout de quelques jours. Il faut boire environ 1,5 litres de plus que d'habitude par jour passé en altitude. Par réfractométrie, l'encadrement contrôle la densité urinaire tous les matins. Il y a plus simple, comme pisser blanc, comme au contrôle antidopage. Il faut aussi avaler plus de glucides. Parce que vous montez des cols mais aussi parce qu'à 2000m, le rythme cardiaque est franchement accéléré, c'est 10 à 15 pulsations par minute de plus qu'en plaine. On consomme donc plus. C'est comme si vous mettiez un masque à oxygène là-haut à 2000 mètres.

Il existe un troisième stress dit « oxydatif ». Il faut éviter la zone lactique en altitude, ne pas faire d'efforts violents longtemps à plus de 1500m. Normalement cela devrait piquer et vous suffoquez à cause de ce triple stress dans les pentes du Galibier, même au Tour, surtout au Tour, on l'a vu pour 98% du peloton. Ipso facto, on pousse beaucoup moins de watts en altitude. Plus on grimpe, moins on peut produire des watts en pédalant ! Il existe une perte de 6% de l'efficacité et de la production de watts par décade, tous les 1000 mètres. Sauf apparemment, comme au Galibier, pour 2% des coureurs. A 2500 mètres ils pédalent pratiquement comme en plaine.


Les grandes performances en altitude
Source : Frédéric Portoleau - chronoswatts.com - 02/07/2024

Trop de watts

On prête aux Colombiens et aux Equatoriens d'être plus habitués, eux qui vivent et s'entraînent depuis qu'ils sont tout petits à 3000 mètres d'altitude. Superman Lopez avait réalisé un numéro dans le col de La Loze à 2302 m d'altitude en 2020 avec 432 Watts Etalon, l'équivalent de 459 Watts mutants à 1000m. Il vient d'être suspendu quatre ans pour violation des règles antidopage. Egan Bernal ex-vainqueur du Tour a terminé à 2'42'' de Pogacar sur la ligne à Valloire. Selon ses données publiées sur Strava, il aurait fait du 400 watts Étalon dans le Galibier, ce qui est déjà remarquable à 2300m d'altitude, mais humain dirons-nous. Richard Carapaz le maillot Jaune a été largué et a terminé à 5'10''. Il est redescendu de sa montagne. Je vous parlais dans ma chronique #1 (“Même pas mal ! Vers une nouvelle avalanche de records déments”) des records qui allaient tomber, tous, après celui de San Luca. Celui du Galibier c'était celui de Nairo Quintana, autre Colombien consommateur de Tramadol et écarté du peloton pendant un an. Le Galibier : pied à 2057 m, sommet à 2642 m, 8,65 km à 6,76% moyen. Ce record à battre datait de 2019 avec 22'22'' et 411 Watts Étalon. L'équivalent à 1000 mètres d'altitude, c'est 444 Watts Etalon.

Le record historique en altitude appartenait à Tony Rominger en Sierra Nevada à 2515 m où la pente est plus douce. C'était en 1994 quand l'EPO coulait à flot dans les veines. Rominger était à 474 Watts Etalon, équivalent de 512 Watts Étalon à 1000m d'altitude. Pantani l'a “challengé” ensuite (voir notre tableau). On pensait ces temps révolus. Mais Vingegaard (voir tableau) a recommencé à nous faire peur au col du Granon en 2022 et a remis au goût du jour des performances délirantes en haute altitude. Et puis cette année, Pogacar a titillé à un watt près le record de Rominger au Giro, à Foscagno, à 2285m d'altitude : 480 watts Etalon, équivalent de 511 Watts Étalon à 1000m d'altitude. On savait qu'il était prêt. Lisez bien ce tableau qui est un scoop jamais publié. Repérez les performances des uns et des autres au fur et à mesure du temps. Constatez. Les chiffres parlent.

Cirque du Tour de France
Source : Espé - 01/07/2022

Aujourd'hui cela a été abominable, du jamais vu. On a été au-delà. Pogacar avec UAE a fait exploser le record déjà dément de Quintana dans le Galibier. Son équipe l'a emmené au sprint, en organisant même « une bordure » dans le col à 25 km/h de moyenne, pour un nouveau record de 20'46'' sur les 8,65 km à 6,76%, soit 1'36'' de moins que le Colombien en 2019. Dans la dernière pente à 10% à 2600 mètres d'altitude, le Slovène a pédalé seul contre le vent de face à 25km/h. C'est du jamais vu dans l'histoire du vélo et dans l'historique des cols en haute altitude avec cette pente. C'est abominable ce que vous avez vu. C'est bien au-delà d'une performance mutante à 450 watts Etalon. Le vent a contrarié les mesures exactes de watts que calcule Frédéric Portoleau, mais c'est pire que tout.

Du jamais vu.

Abominable.

Il faudrait croire en l'incroyable.

Non. Cela suffit.

On aime le vélo. Mais pas ça.

Les mécanos t'ont mis un parachute de freinage
Source : Espé - 02/07/2024

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Cette page a été mise en ligne le 02/07/2024