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Sur les 25,3 kilomètres du contre-la-montre des vins, Remco Evenepoel à 52,581 km/h, sous le regard attendri et l'esprit atone de la caravane et des suiveurs bourrés, a dominé les trois autres « Marvel » Pogacar, Roglic et Vingegaard avec peu d'écarts entre eux. Il faut boire pour oublier. Car c'est abyssal avec le reste des autres coureurs. Le meilleur Français au classement général qui a perdu 3 minutes 13 secondes dans l'étape est maintenant 24ème à 7 minutes et 41 secondes ! C'est du jamais vu après seulement une semaine de Tour de France ! Ils vont donc désormais essayer de s'échapper pour ronger des os, vu qu'ils sont tous inoffensifs pour la quête du maillot jaune. Plus de la moitié de la délégation nationale (19/33) est déjà à plus d'une heure du Slovène ! A chaque nation ses records. La Slovénie est le pays du vélo, avec les Emirats.
En ce jour de contre-la-montre, on a à nouveau parlé matériel et technologies, aérodynamique dans le but, une énième fois, de tenter d'expliquer ces performances non humaines, comme si rien n'existait déjà auparavant. En tant que pionnier dans ces domaines, dès le début des années 1990, je peux vous dire que si des choses ont évolué, bien sûr, c'est à la marge. Je pensais alors moi aussi que l'apport des technologies et le perfectionnement du matériel étaient la source principale de l'amélioration des performances. Puis on m'a dit « Ce n'est pas du meilleur entraîneur dont les coureurs ont besoin mais du meilleur docteur ». J'en suis désormais convaincu, hier comme en 2024.
Mise au point avant ma #Chronique #3 #LeTourdAntoine On parle beaucoup de la technologie au #TDF2024 et du pseudo vélo 2.0 comme si on avait inventé le fil à couper le beurre . Dés le début des années 90 en allant à Oulu en Finlande, en pionnier je mettais au point les? pic.twitter.com/ePkuXLodp5
— ??ntoine VAYER ????? (@festinaboy) July 5, 2024
J'ai donc posé quelques questions au meilleur spécialiste et expert en matière de recherches sur le matériel de pointe, Alban Lorenzini, qui s'occupe du site cyclesetforme.fr.
C'est sans appel. Lisez plutôt.
Alban Lorenzini a un accent sympa, belfortain, marqué. C'est un ingénieur en mécanique de formation. Il a travaillé 10 ans dans l'industrie automobile et s'est reconverti dans l'entraînement cycliste depuis 2010. Il est donc également « coach ». Il entraîne les cyclistes avec l'aide des capteurs de puissance, avec les watts, depuis le tout début du lancement de ses activités. En parallèle, c'est un consultant et un expert. Il teste le matériel depuis plus de 15 ans, comme les pneus, les roues, les lubrifiants et certains vélos. Il analyse la relation puissance produite vs gain réalisé sur des parcours et avec des protocoles spécifiques, « scientifiques ». Il explique ses analyses sur le blog qu'il anime : cyclesetforme.fr. Il collabore aussi avec certaines équipes professionnelles pour débriefer les meilleurs choix matériels possibles par rapport à ce que leurs sponsors proposent.
Antoine : Comment a évolué le matériel ces 15 dernières années, celui dont on dit qu'il permettrait de gagner de précieuses secondes, des watts ? Et comment faire la différence entre les annonces marketing et la réalité du terrain ?
Alban Lorenzini : Trois secteurs du vélo ont vraiment évolué depuis les années 2000 : la forme des vélos, les tenues avec le casque des cyclistes et le couple roues/pneus associés. Le temps des vélos en acier/alu aux tubes ultra fins équipés de boyaux surgonflés sur des jantes plates, emmenés par des cyclistes aux maillots flottants, c'est vraiment lointain et ce n'est plus le point de comparaison. Je n'ai pas connu cette époque. Je suis de la génération du carbone.
Antoine : Quelles sont les évolutions assez récentes ?
Alban Lorenzini : Les vélos se sont allégés et le carbone est travaillé avec une intégration de la câblerie. Ils sont étudiés en soufflerie pour permettre de rouler plus vite sans dépenser plus d'énergie. Ainsi pour un professionnel roulant à 45 km/h, on peut estimer qu'il peut économiser 40 watts ou 2 km/h entre le vélo des années 2000 et les meilleurs vélos actuels. Mais c'est la théorie. En pratique, il faut toujours mesurer le cycliste avec son vélo pour valider le gain. En effet, rien ne sert d'avoir un vélo dit « rapide », si on est mal posé, positionné dessus. Je rappelle que 70 à 75 % de la résistance à l'avancement à l'air pour rouler vite vient du cycliste lui-même ! On peut aussi ajouter qu'un vélo « rapide » pour un coureur, ne l'est pas forcément autant pour un autre. Les longueurs de buste, bras, positionnement de la tête et du dos vont créer des perturbations du flux d'air plus ou moins pénalisantes.
Antoine : C'est donc l'homme qui fait la différence pour la pénétration dans l'air, le SCx, et donc sa position. Au niveau matériel, en dehors du cadre, quelles sont les améliorations ?
Alban Lorenzini : Les autres secteurs qui ont le plus évolué sont les tenues et les casques. A 45 km/h, on peut avoir 20 w de gain entre un maillot flottant peu ajusté comme on le voyait dans les années 2000 versus les tenues « fit » d'aujourd'hui. Les textiles ont évolué pour en favorisant l'écoulement du flux d'air. Ces derniers ont tellement progressé que l'UCI a dû mettre des règles sur les mensurations et utilisations (notamment lors des contre-la-montre) car les textiles sont plus rapides que la peau nue. Les casques ont connu leurs évolutions même si c'est moins spectaculaire que les tissus. Entre un casque bien aéré et un casque « aéro », on peut aller chercher 10 w à 45 km/h. Là aussi il y a de gros biais possibles entre la mesure théorique en soufflerie et la réalité. Parfois la soufflerie est un leurre. La forme de tête de chacun, la lanière plus ou moins flottante, l'alignement avec le dos de sa position va avoir un impact important sur le gain final. Un casque performant chez un coureur peut l'être beaucoup moins chez un autre ! Et puis il faut tenir compte de la chaleur en été, un casque pas assez ventilé c'est un risque de surchauffe du coureur avec à la clé bien plus de 10 watts de perte On peut gagner d'un côté et beaucoup perdre de l'autre.
Antoine : Vous parlez beaucoup de mesure à 45 km/h, pourquoi ?
Alban Lorenzini : Il faut des forces importantes en soufflerie pour avoir de la précision dans la mesure mais on commence à s'apercevoir que ces gains à 45 km/h ne sont pas tous valables à des vitesses inférieures par une simple règle de conversion. La théorie serait que les gains annoncés en watts à 45 km/h soient divisés par deux à 35 km/h et par trois à 30 km/h mais ce n'est pas toujours le cas. Dans les cols à 20-25km/h c'est infime... Certaines combinaisons de CLM sont par exemple conçues au niveau textile pour accélérer le coureur quand il dépasse 45 km/h mais elles vont plutôt le ralentir à 40 km/h Des réductions de la trainée aérodynamique bénéfiques appelées “effet voile” à 45 km/h, ne se produiront plus à 30 km/h ou seront même inversées ! C'est aussi le cas pour le couple roue/pneu. La forme d'un pneu peut ralentir la roue à 35 km/h et l'accélérer à 45 kmh en cas de vent latéral.
Antoine : C'est ça le troisième secteur d'amélioration : les pneus et les roues ?
Alban Lorenzini : L'ex-boyau est maintenant dépassé pour plusieurs raisons. La principale étant que pour rouler vite, le système d'accrochages des pneus, par tringles, permet un meilleur écoulement du flux d'air sur la jante qui a elle aussi évolué en hauteur. Mais le boyau a longtemps résisté pour sa capacité à rouler à plat en cas de crevaison ainsi que pour les risques d'échauffement moindres au niveau des pistes de freinages. Le boyau collé résiste mieux aux montées de températures que le pneu en contact plus proche de la jante.
Antoine : Tout a changé à cause de l'arrivée marketing des lourds freins à disque et des pneus tubeless ?
Alban Lorenzini : Oui, sans soucis d'échauffement et pouvant rouler à très basse pression, les tubeless sont devenus la norme aujourd'hui. Ainsi les derniers développements se sont concentrés sur l'amélioration des gommes de ces pneumatiques. Le boyau a été délaissé. En parallèle de cela, les sections de pneus se sont élargies. Contrairement à de nombreuses croyances, un pneu large permet un meilleur roulement sur du bitume ! C'est surtout à cause des phénomènes vibratoires qui sont mieux gommés sur un pneu de 28 mm à basse pression qu'un boyau de 19 mm gonflé à 8 bars qui va rebondir et voir son rendement décrocher. Les roues se sont élargies pour mieux accueillir ces nouveaux pneus et la pénalité aérodynamique dûe à la largeur plus importante du pneu est quasiment gommée.
Antoine : Le gain en confort et le roulement l'emportent largement sur la petite pénalité aérodynamique ?
Alban Lorenzini : Il n'y a encore qu'en contre-la-montre qu'on peut trouver des pneus de 25/26 mm à l'avant. Au niveau des gains, c'est par contre beaucoup moins impressionnant que tout le reste. Même si les roues font beaucoup parler entre masse tournante, hauteur et poids, il faut savoir que c'est l'élément le plus “cher” en ratio coût/gain sur un vélo. Sur un parcours de 100 kilomètres roulé à 35 km/h de moyenne une roue aéro de hauteur de jante 50 mm (c'est la norme aujourd'hui), vous fera gagner une minute environ ou bien économiser 4 à 5 watts maximum comparé à une roue toute plate. Et pour ne rien arranger, on sait que certaines roues fonctionnent moins bien avec certains cadres que d'autres.
Antoine : C'est donc encore quasiment nul. Concernant le roulement des pneus, c'est plus intéressant ?
Alban Lorenzini : D'un équipementier à un autre on peut avoir 5 watts par paire de différence dès 30 km/h. Par exemple en 2023, Vingegaard utilisait un nouveau tubeless prototype, qu'on a testé depuis. Celui-ci était plus rapide de 5 watts par paire à 45 km/h que les pneus de contre-la-montre de Pogacar. Le roulement est quasi proportionnel à la vitesse, jusqu'à 50 km/h du moins. Donc si vous avez un équipementier qui n'est pas dans les meilleurs, une paire de pneus qui est 5 watts plus lent à 30 km/h, sera plus lent de 7, w à 45 km/h »
Antoine : Il serait donc normal de constater des améliorations de la vitesse moyenne ces dernières années, tant chez les pratiquants amateurs que professionnels et quelles que soient les courses, dès lors que la vitesse est élevée, avec ces gains marginaux ?
Alban Lorenzini : Oui et on peut aussi les associer à des entraînements mieux calibrés, des stages d'altitudes répétés et mieux maîtrisés, devenus la norme ainsi qu'un contrôle de la nutrition plus pointu qui jouent aussi dans l'amélioration des vitesses.
Antoine : Dès que celle-ci ralentit, dans les cols, le matériel joue de moins en moins, donc les gains et les écarts entre vélos et équipements modernes par rapport aux années 2000 se réduisent rapidement ?
Alban Lorenzini : En dessous de 15 km/h et dans des pentes sévères, il n'y aucun gain aéro ou de roulement. Seuls les watts/kilos générés par le coureur influencent le temps final. Les gains sont encore très faibles entre 15 et 20 km/h. Passé 20 km/h voire 25 km/h , qui devient une vitesse souvent atteinte chez les pros même sur des montées de plus de 5 %, les gains aérodynamiques et de roulement peuvent s'additionner un peu. Par rapport aux années 2000 et à 25 km/h, on pourrait estimer à plus 5 watts en aéro sur les vélos, 5 watts pour aéro avec roulement du couple roues/ pneus et peut être encore 5 watts sur la tenue avec le casque. Néanmoins, les 5 watts aéro des vélos prêtent à discussion. Certains vélos de montagne comme le Cervelo R5 de la Visma ont très peu d'amélioration aérodynamiques, à part l'intégration des câbles sur le cockpit (monobloc cintre + potence). Pogacar n'a pas non plus un vélo ultra « rapide ». On peut pour lui estimer à 2 ou 3 watts de gain à 25 km/h. Il roule la plupart du temps avec des roues hautes d'ailleurs pour compenser un peu ce manque de vitesse.
Antoine : Ce n'est donc pas le matériel qui les fait grimper aussi vite ?
Alban Lorenzini : « En montagne, c'est l'absence de fatigue et la capacité à produire des efforts plus violents et répétés, longs, quelles que soient les configurations de courses qui posent le plus de questions depuis 2021 pour certains leaders et équipiers ».
Antoine : Des questions, mais vous avez des réponses ?
Alban Lorenzini : « Ces questions sont sans réponses pour moi et beaucoup d'entraîneurs professionnels qui ont pourtant le meilleur matériel du monde. On a bien sûr comme tout le monde notre petite idée, mais ce n'est pas le matériel qui fait les gains et la différence.
Rebondissant sur cette interview et d'autres réalisées pendant le Tour de France 2024, Alban Lorenzini publie an août une étude détaillée pour appuyer ses propos. On peut la lire ici.
Cette page a été mise en ligne le 05/07/2024