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Actualité du dopage |
Procès Festina. Quatrième journée d'audience au tribunal de Lille. Le grand déballage continue, les noms les plus prestigieux du peloton sont mis en cause.
Avec les témoignages de Thomas Davy et Erwan Menthéour, on parle cette fois de la Française des Jeux. Mais nous restons au centre des pratiques du peloton. Même l'équipe espagnole Banesto est accusée. Compte rendu.
Il est 18 h 30. Dehors, le jour commence à peine à s'évanouir, mais on ne le voit pas. Dedans, dans cette salle qui vit au rythme, comme le dit si bien Thibault de Montbrial, l'avocat de Bruno Roussel, " de deux équipes dopées par jour ", Erwan Menthéour et Jeff D'Hondt sont à la barre. Le premier, ex-coureur de la Française des Jeux (FDJ), est là pour parler, fidèle à son habitude depuis qu'il a quitté " le milieu ", " la famille ".
Celui qui se tient à ses côtés, Belge de nationalité, fut le soigneur de la FDJ. L'audience touche à sa fin. Erwan Menthéour se rapproche de Jeff D'Hondt et dit : " Monsieur le président, je ne sais pas si je peux... (Il regarde le président puis s'adresse alors directement à son ancien soigneur.) Jeff, regarde-moi dans les yeux. Tu ne m'as jamais fait d'injections ? "
- Non, répond l'autre.
- Non ?
- Non.
- J'espère que tu pourras encore te regarder dans une glace demain matin, réplique, la voix tremblante, Menthéour.
Cette scène résume à elle seule la nature et l'importance des débats. Toute la journée, l'ex-soigneur s'est obstiné à nier l'évidence. Pourtant c'est un vieux de la vieille. Excusez du peu : depuis 1966, il est dans le milieu. Il est passé un peu partout, chez Flandria, Peugeot, Telekom. Il a " soigné " un peu tout le monde, Maertens, Zoetemelk, Pollentier, et plus récemment, Heulot, Ullrich, Zabel...
Tiens, Erik Zabel, le sprinter allemand. Dopé Zabel ? " Non, monsieur le président ", répond-il. C'est ce qu'il dit. Puis il se prend les pieds dans le tapis tout seul en ajoutant : " Mais il a été positif deux fois... " Oui, mais Jeff, voyez-vous, n'a " rien vu et rien donné ". Tout juste admet-il avoir " entendu parler de l'EPO, en 1992, pour la première fois ". Le président Daniel Delegove en plaisante presque : " En somme, vous êtes un miraculé du vélo ! " Le président continue : " Faisiez-vous des piqûres quand vous étiez à la FDJ ? " Réponse : " Oui, rarement. Sur ordre du docteur. Mais c'était des produits de récupération. Rien d'autre. " (...)
Alors, toute l'après-midi, chacun s'emploie à démonter les pauvres arguments de cet homme grisonnant de cinquante-huit ans. Et au passage, tous démontent un peu plus le cyclisme dans son ensemble, et ses pratiques mafieuses en particulier. La grande braderie du jeudi commence avec Thomas Davy (...). En 1997, il ne reste que quelques mois à la FDJ, avant de tout balancer, le dopage avec. Il raconte : " Chez Casto, déjà, je recevais des corticoïdes, donnés par le médecin de l'époque, le Dr Mégret " (1). Il parle timidement, pioche souvent dans sa mémoire, hésite, mais sait ce qu'il avance. Le monde du vélo lui a fait savoir qu'il dérangeait, lui " l'étudiant " comme on l'appelait, pour finalement le rejeter. Forcément : il a mené à bien un DESS de management du sport. Avant de débarquer dans l'équipe dirigée par Marc Madiot, il donna un coup de main dans l'équipe espagnole du roi Miguel Indurain. Et boom ! Il affirme : " Il y avait aussi du dopage chez Banesto. Oui, de l'EPO. Tout le monde y passait, je le pense. " À cet instant, le nom est pratiquement lâché, le président souffle sur les braises gentiment. C'est presque dit, mais suggéré tellement fortement : Miguel Indurain le quintuple vainqueur du Tour aurait été dopé. Une bombe. Une de plus.
Ce n'est pas fini. Marc Madiot, le célèbre directeur sportif de la Française de Jeux, vainqueur de Paris-Roubaix à deux reprises, est taillé en pièces. Littéralement. Thomas Davy : " J'ai pris de l'EPO à la FDJ. Jeff D'Hondt m'en a fourni. J'étais demandeur. Madiot était conscient de ce qui se passait, il n'avait pas recruté ce soigneur par hasard. " Thibault de Montbrial, l'avocat de Bruno Roussel, boit du petit lait. " Le procès, monsieur le président, avance à deux équipes dopées par jour. Il est dommage que M. Madiot ne soit pas cité comme témoin, surtout sous serment, cela aurait été intéressant. "
Erwan Menthéour, bien droit dans sa veste de cuir, achève le déballage d'automne d'une voix limpide et ambitieuse. Lui aussi connaît son affaire, il a été " chopé " sur Paris-Nice, en 1997, avec un taux d'hématocrite supérieur à 50 %. Il l'assure avec force : " Madiot est un véritable faux-cul. Il ne voulait pas prendre la responsabilité du dopage, c'est tout. C'est Jeff D'Hondt qui me piquait et Madiot le savait. "
- Et comme coureur, pensez-vous que M. Madiot se dopait ? demande le président.
- Il était avec Jeff D'Hondt chez Telekom, il avait du savoir-faire, réplique Menthéour. D'Hont était " monsieur dopeur ", c'est pour ça que Madiot l'a embauché. C'était pour sa qualité de dopeur. "
(...)
Même les noms les plus célèbres de ces dernières années apparaissent directement ou indirectement à la barre : Armstrong, Pantani, Ullrich, Riis, Indurain, Delgado, Roche... que des vainqueurs du Tour. Erwan Menthéour, qui avouera avoir reçu des menaces venues d'Italie parce qu'il voulait citer un médecin célèbre dans un livre, confesse toutefois, en se tournant vers Bruno Roussel : " Beaucoup de coureurs voulaient aller chez Festina, parce que c'était la politique du moins pire. Bruno a organisé le dopage pour protéger les coureurs d'eux-mêmes. Car un coureur, face à lui-même, il a toujours le choix. Brochard et Hervé étaient des grands garçons. "
Et il déclare solennellement : " Dans toute ma carrière, je n'ai connu que deux ou trois coureurs qui ne prenaient rien... "
(1) Il est désormais le médecin officiel de la Fédération française de cyclisme.
Cette page a été mise en ligne le 12/04/2020