Actualité du dopage



La Vuelta, un tour ibère chargé

22/08/2015 - liberation.fr - Baptiste Bouthier

Chasse gardée des coureurs locaux depuis le début du siècle, l'épreuve nourrit les soupçons de laxisme de l'Espagne dans la lutte antidopage.

Ils en redemandent. Christopher Froome, Nairo Quintana, Alejandro Valverde et Vincenzo Nibali, les quatre premiers du Tour de France repartent au charbon ce samedi. A Marbella, en Andalousie, ils remontent en selle pour la 70e édition du Tour d'Espagne, en quête cette fois d'un maillot rouge. A suivre également, Tejay van Garderen (longtemps dans le coup pour le podium sur le Tour, avant d'abandonner), Peter Sagan (maillot vert sur les Champs), Pierre Rolland (10e de la Grande Boucle), Nacer Bouhanni et tant d'autres. Derrière les têtes d'affiche, le niveau du reste du peloton pique davantage les yeux, mais indéniablement, cette Vuelta cinq étoiles a comme un petit goût de Tour de France.

C'est dire que les temps changent vite. Malgré un passé parfois glorieux, le troisième grand Tour - la Vuelta (1935) a été créée bien après le Tour d'Italie (1909) et le Tour de France (1903), les deux autres courses de trois semaines de la saison - était retombé dans le quasi-anonymat au début des années 2000. Ce dont témoigne le palmarès, où figurent des sous-lieutenants comme Angel Casero ou Aitor González. Depuis, pas mal de choses ont changé. Le Pro Tour (devenu World Tour), sorte de première division du cyclisme, a été créé, resserrant l'élite. ASO, la société propriétaire du Tour de France, a racheté 49 % des parts d'Unipublic, qui organise celui d'Espagne, et le parcours a été largement retravaillé. Les insipides affrontements 100 % ibériques ont cessé, même si les locaux continuent globalement de mener la danse. Mais l'épreuve a d'autres soucis. Elle a beau attirer le gratin mondial du cyclisme, pour beaucoup avide de revanche après le Tour, elle n'échappe pas aux anomalies majuscules, du genre gros maillot rouge qui tache.

LA MÉTAMORPHOSE DE FROOME, LE MIRACLE HORNER

En 2011, c'est sur la Vuelta que Chris Froome s'était ainsi métamorphosé, à 26 ans et en trois semaines, de canasson tout juste bon à porter les bidons en pur-sang imbattable face à la montre et intenable en montagne, un niveau qu'il a constamment gardé depuis. Pourtant, cette année-là, le Britannique (qui n'avait pas encore connu la gloire sur le Tour) avait dû se contenter de la deuxième place. Pour le battre : un énergumène, Juan José Cobo, ex-équipier au sein de la pas triste Saunier Duval (une marque de chaudières, ça ne s'invente pas) de Riccardo Ricco et Leonardo Piepoli, contrôlés positifs à l'EPO recombinée sur le Tour 2008 que tous trois s'occupaient à joyeusement dynamiter. Après son succès sur ce Tour d'Espagne, l'Espagnol était rapidement devenu persona non grata dans les pelotons - à un moment, ça devenait trop gros. Deux ans plus tard, autre pantalonnade majeure avec Christopher Horner, devenu le plus vieux vainqueur de l'histoire des grands Tours en écrasant l'édition 2013 (Nibali en fait encore des cauchemars) à... 41 ans bien tassés. Un an plus tard, une chute anormale de son taux de cortisol quelques jours avant le départ l'empêchait (réglementairement) de défendre son titre. L'Américain avait pris de la cortisone pour, officiellement, soigner une bronchite. La vie est mal faite.

D'autres sont un poil plus discrets. Alejandro Valverde, jamais monté sur le podium du Tour de France avant cet été, a terminé six fois dans les trois premiers de la Vuelta, dont une victoire. Tardivement suspendu en 2010 pour son implication dans l'affaire Puerto (qui avait mis à terre Ullrich et compagnie dès 2006), il a depuis son retour à la compétition globalement baissé de pied, sauf à l'occasion répétée de son grand Tour national. Son compatriote Joaquin Rodriguez, six victoires d'étapes et trois top 5 depuis 2011, y était lui subitement devenu un as du contre-la-montre en 2012, après des années à rouler comme un fer à repasser.

«MONTÉES PLATES»

Il faut dire que la Vuelta, et plus généralement l'Espagne, le pays de l'opération Puerto, des médecins peu scrupuleux comme Eufemiano Fuentes ou José Ibarguren, et de nombreux réseaux démantelés les uns après les autres, a une réputation qui n'est plus à faire en matière de laxisme face au dopage. Entre autres exemples, José Luis Zapatero, alors Premier ministre, s'était ainsi permis d'affirmer il y a quatre ans qu'il n'y avait «aucune raison juridique de sanctionner Alberto Contador», finalement suspendu deux ans pour un contrôle positif au clenbutérol. De là à penser que certains s'y permettent des choses qu'ils n'oseraient pas faire de l'autre côté des Pyrénées, il n'y a qu'un pas que pas mal de représentants du peloton ne se gênent pas de faire.

A 35 et 36 ans, Valverde et Rodriguez seront encore, pendant trois semaines, capables de rivaliser avec Froome, Nibali, Quintana et compagnie, parce que c'est la Vuelta, à la fois mini-Tour de France et maxi-cour des miracles, et tout ce qui va avec. Notamment son parcours. Longtemps connue pour ses «montées plates» sur des rampes larges comme des autoroutes, la Vuelta aligne désormais comme les perles des étapes pas bien difficiles mais qui se terminent par des arrivées au sommet, parfois sur de très courtes bosses, parfois sur de longs cols. Neuf en tout cette année (sur 19 étapes en ligne, et deux contre-la-montre), pour une course souvent répétitive : sur les dernières éditions, on a souvent vu, d'une étape à l'autre, les mêmes coureurs dans le même ordre ou presque, monotonie façon Formule 1. Seule exception pour cette édition 2015 : la 11e étape, dessinée par Rodriguez lui-même, et qui propose au prix de sérieuses contorsions au sein de la principauté d'Andorre pas moins de cinq cols et 5 000 mètres de dénivelé positif - une dinguerie - en seulement 138 kilomètres. Y viva la Vuelta.

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Cette page a été mise en ligne le 06/09/2015