Dossier dopage

Dopage : médecins, attention à votre devoir d'information !


11/12/2012 - village-justice.com - Michaël Jaskierowicz

La Cour de cassation vient de rendre un arrêt strict pour les médecins en ce qui concerne leur devoir d'information (Cass. 1re civ., 28 novembre 2012, pourvoi n° 11-26516). Un arrêt d'autant plus intéressant qu'il concerne le sport professionnel et le dopage. Au vu des circonstances relevées par la Cour de cassation elle-même dans son arrêt, la solution retenue paraît sévère.

En l'espèce, un coureur cycliste professionnel avait consulté un médecin généraliste le 30 juin 2008 en raison d'une crise hémorroïdaire. Le médecin lui avait prescrit un médicament contenant une substance interdite lors de certaines compétitions.

Or, le coureur devait participer au Tour de France, qui démarrait cette année-là le 5 juillet, soit quelques jours après la consultation. Ce coureur faisait l'objet lors de cette édition de la Grande Boucle d'un contrôle positif aux produits dopants et était licencié par l'équipe qui l'employait.

Le coureur recherchait la responsabilité du médecin.

La Cour d'appel de Riom le déboutait de ses demandes. La Cour de cassation va casser partiellement cet arrêt. Si la solution retenue n'aura probablement pas un impact trop lourd pour le médecin en cause dans cette affaire (étant donné que la cassation intervient sur la question intéressant le préjudice moral), il n'en reste pas moins qu'elle est critiquable.

Deux volets distincts ont être examinés par la Cour de cassation :

Sur le préjudice matériel subi par le coureur en raison de son licenciement

La Cour d'appel avait jugé que le médecin avait commis une faute en n'informant pas le coureur cycliste des effets et contre-indications du médicament prescrit, laquelle avait eu pour conséquence de l'exclure du Tour de France 2008 (...).

Toutefois, la Cour d'appel avait estimé qu'il n'existait pas de lien de causalité entre la faute et les dommages subis à raison du licenciement prononcé contre le coureur.

Le coureur contestait cette analyse (...).

La Cour de cassation ne suit pas le coureur et affirme au contraire que la Cour d'appel avait pu valablement déduire que son préjudice matériel résultait exclusivement de sa propre faute puisqu'il ressortait du dossier que :

1. le coureur avait été licencié par son équipe pour faute grave en raison du non-respect des obligations contractuelles qui découlaient à la fois de son contrat de travail et des règles de bonne conduite ratifiées par l'ensemble des coureurs, lesquelles consistaient notamment à informer le médecin de l'équipe et le manager s'il souhaitait être suivi par un médecin personnel ainsi qu'à informer le médecin responsable de toute médication prescrite par le médecin personnel

2. le coureur avait adopté un comportement déloyal en faisant fi des instructions reçues sur les dangers du dopage et des mesures strictes de prévention intégrées dans les règles de fonctionnement de son équipe, en consultant le docteur poursuivi dans des conditions suspectes, et en obtenant, par l'effet d'une consultation clandestine, la prescription d'un produit contre-indiqué (...)

Malgré les conditions troubles de la consultation relevées par la Cour de cassation, celle-ci va se montrer stricte sur le devoir d'information du médecin :

Sur le préjudice moral subi par le coureur en raison du manquement par le médecin à son devoir d'information

En l'espèce, la Cour d'appel avait estimé que le médecin avait commis une faute en administrant un traitement par Heptaminol sans vérification suffisante de la situation du coureur, alors que celui-ci l'avait informé de son activité sportive professionnelle. Le médecin ne justifiait en effet pas avoir communiqué à celui-ci les informations médicales concernant les effets et contre-indications de ce médicament.

Toutefois, la Cour d'appel avait rejeté la demande du coureur en réparation du préjudice moral qu'il prétendait avoir subi au motif que celui-ci était un coureur aguerri, bien informé des incidences de ses actes et des risques encourus en matière de dopage, et qu'il ne pouvait donc sérieusement soutenir que le non-respect du devoir d'information du médecin lui aurait causé un quelconque préjudice indemnisable.

La Cour de cassation casse l'arrêt d'appel sur ce point au visa de l'article L.1111-2 du code de la santé publique, et en énonçant :

« Attendu que toute personne a le droit d'être informée, préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposés, des risques inhérents à ceux-ci, et que son consentement doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n'est pas à même de consentir, de sorte que le non-respect du devoir d'information qui en découle, cause à celui auquel l'information était légalement due, un préjudice, que le juge ne peut laisser sans réparation ».

Certes, le médecin, en entendant les mots « je suis un cycliste professionnel » aurait du opérer certaines vérifications, surtout que des scandales de dopage viennent régulièrement s’immiscer dans l’actualité de ce sport. (...)

Dans ce contexte, il est difficile, juridiquement, de ne pas retenir la faute. Toutefois, la Cour d’appel, visiblement gênée de devoir accorder une indemnisation au titre du manquement au devoir d’information, au vu des circonstances de l’espèce, a essayé de trouver un moyen de ne pas l’octroyer. Lorsque la Cour d’appel évoque l’absence de préjudice indemnisable, elle vise en quelque sorte, à demi-mot, à atténuer l’intensité du devoir d’information du médecin dans cette affaire.

La Cour de cassation a choisi une attitude plus stricte µµ en expliquant que dès lors qu’il y avait manquement au devoir d’information, et donc faute, cette faute devait nécessairement entraîner réparation.

(...)

Un médecin, même généraliste, sera donc bien avisé de creuser autant que possible la situation de son patient, en particulier lorsque celui-ci l’informe qu’il est un sportif professionnel. A ce titre, il devra notamment s’informer sur les compétitions que celui-ci est amené à disputer, leur date, ainsi que la liste des produits considérés comme interdits.

La consultation risque d’être bien plus longue que pour un patient ordinaire et les sportifs professionnels ne devront pas s’étonner de voir surgir beaucoup de papier à signer lors de leurs prochaines consultations médicales !


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Cette page a été mise en ligne le 19/12/2012