Dossier dopage

Le dopage : c'est tout en travaillant moins, gagner plus


xx/xx/2006 - L'Equipe - Propos recueillis par Jérémie Arbona

Le docteur Gilbert Peres est chef de service de physiologie et d'explorations fonctionnelles du sport à l'hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière. Il est membre de la commission médicale d'expertise de la FFC et responsable du suivi médical longitudinal contrôlé sur le plateau technique de la Pitié-Salpêtrière.

Docteur Peres, du seul point de vue physiologique, est-il possible qu'un coureur de type rouleur-sprinter puisse d'une année sur l'autre devenir un bon grimpeur de manière naturelle ?

On ne peut pas modifier des fibres rapides en fibres lentes, sinon en partie, grâce à un entraînement adapté, mais des fibres lentes en fibres rapides, non. A moins de pratiquer des greffes nerveuses, mais c'est très délicat. Il faut six mois en moyenne pour qu'une greffe prenne, et encore, ça ne prend pas toujours. En plus, il faudrait faire cela au niveau de différents muscles... Expérimentalement, c'est possible, mais concrètement, non. On naît avec des potentialités qu'on peut améliorer d'un certain pourcentage par l'entraînement, mais au-delà non.

(...)

Nous sommes couverts par le secret médical individuel. En revanche, de façon générale statistique, il a été démontré qu'un certain nombre de cyclistes ont été transformés, en particulier lorsqu'ils ont changé d'équipes, et en particulier, lorsqu'ils sont passés d'une équipe française vers une équipe étrangère.

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A l'évidence, dans certains pays, on se transforme mieux que dans d'autres. Moyennant l'utilisation d'un certain type de produits, on peut transformer un rouleur-sprinter en un bon grimpeur et transformer, en partie, un grimpeur en rouleur en lui faisant augmenter sa masse musculaire. Cela implique de l'entraînement bien sûr. Mais cet entraînement sera beaucoup plus efficace à l'aide de ces produits à risque pour la santé. Cela signifie qu'il faut un suivi médical (...) qui je pense se fait (...) par certains médecins (...) de certains pays que l'on peut citer : ex-RDA, Italie, Espagne du Sud, Belgique et Pays-Bas.

(...)

Peut-on penser qu'il existe des sujets, que l'on soupçonne de se doper mais qui, en fait, sont dotés de qualités naturelles exceptionnelles les plaçant bien au-dessus de la concurrence ?

C'est vrai, il existe des individus supérieurs, mais ils ne sont pas TRES supérieurs. Il y a des limites à l'adaptation humaine. Les sportifs sont proches les uns des autres. D'ailleurs, les sujets les plus à risque de dopage sont ceux qui approchent l'optimum, mais n'y parviennent pas par des moyens naturels. Ils vont finalement essayer par des moyens artificiels et interdits d'approcher ceux qui ont des qualités supérieures. Et c'est parfaitement injuste. Ceux qui y arrivent par leurs propres qualités se trouvent en concurrence avec des tricheurs. Ils se rendent compte d'une chose : finalement, pour rester dans la course, ils vont être obligés d'y goûter. Poussés par cette inégalité, les sujets un peu supérieurs physiologiquement vont être obligés de prendre un peu, parce que d'autres prennent beaucoup. Cela fausse totalement le jeu, celui de la démonstration du développement de ses potentialités par des moyens naturels.

Le dopage permet d'accroître des aptitudes physiologiques, énergétiques, musculaires pour essayer de rattraper le manque à gagner par une génétique insuffisante. A l'évidence, des gens sont sortis du lot d'une façon anormalement rapide.

(...)

Certains sujets réagissent-ils mieux au dopage que d'autres ?

Certains réagissent mieux à l'entraînement que d'autres. Physiologiquement, c'est connu : au-delà d'un certain pourcentage, il y a peu de probabilité d'évoluer et cela demande du temps. Gagner du temps ce n'est pas forcément naturel. Celui qui se dope va, avec moins d'entraînement, être beaucoup plus efficace. Le dopage, c'est tricher : tout en travaillant moins, gagner plus. C'est injuste.

(...)

Une dernière question plus personnelle : au procès Festina, un ancien coureur de la formation Castorama, Thomas Davy, a dénoncé la pratique du dopage au sein de cette équipe que vous suiviez. Comment réagissez-vous à ce genre de propos ?

Nous avons suivi l'équipe Castorama, à un moment donné, en ne pratiquant que des examens médicaux explorations fonctionnelles, le suivi biologique étant assuré par le médecin de l'équipe, le docteur Mégret, et nous échappant totalement. En 1994, on s'est posé des questions sur certains résultats, on s'est dit qu'il devait se passer quelque chose d'anormal. A ce moment-là, nous avons décidé conjointement avec le docteur Mégret de cesser toute collaboration avec l'équipe Castorama si elle n'arrêtait pas toutes ces pratiques douteuses. Et comme nous n'avons obtenu aucune garantie, nous avons rompu.

La vitesse d'évolution de certains coureurs nous avait alerté. Nous, physiologistes, sommes habitués aux adaptations normales, et nous savons qu'une vitesse d'adaptation est nécessaire en ce qui concerne la consommation maximale d'oxygène ou certaines activités enzymatiques. Il y a des choses qui nous paraissaient un peu étonnantes et on s'est rendu compte qu'on était les cautions d'un système.

Les coureurs jouaient parfaitement le jeu. Il y a une véritable omerta. Ils sont libres de prendre ou de ne pas prendre, de déclarer ou de ne pas déclarer. Cependant, je crois que c'était une des équipes probablement les moins touchées par le dopage.


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Cette page a été mise en ligne le 05/05/2006