Dossier dopage

La lutte antidopage est-elle un idéal atteignable ?


22/05/2018 - theconversation.com - Fabien M. Gargam

Cet article s'inscrit dans le prolongement de la publication de l'ouvrage Les processus stratégiques coordonné par Thomas Durand et Sakura Shimada. En 17 chapitres, ce livre veut apporter une grille de lecture aiguisée sur la manière dont les organisations fabriquent leurs stratégies. Le chapitre 13, écrit sous ma plume, s'intitule « Le dopage, un tabou masquant un avantage concurrentiel dévoyé et redoutable ».

L'objet de ma présente contribution ne consiste pas à redévelopper la thèse dudit chapitre associant le dopage dans le sport à une forme de tricherie diaboliquement efficace pour gagner mais à faire prendre conscience à une large audience de la complexité et de la vulnérabilité de la lutte antidopage, une activité hautement stratégique mais néanmoins marginalisée. Ce qui m'anime dans ce combat est le fait de contribuer à protéger les sportifs intègres des sportifs dopés. En guise de titre, la question formulée revient finalement à se demander de manière terre à terre si les contrôles contrôlent et sanctionnent effectivement.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, il est bon de rappeler qu'il n'existe aucun système parfait et que la lutte antidopage ne déroge pas à cette règle. Primo, nous montrerons que la lutte antidopage est reléguée au second plan. Secundo, nous aborderons la méconnaissance de sa complexité sans cesse grandissante. Tertio, nous évoquerons sa fragilisation. Quarto, nous nous poserons quelques questions essentielles pour tenter d'améliorer cette situation préoccupante, autrement dit, pour essayer de colmater les failles que comporte le système actuel.

Un sujet secondarisé

La lutte antidopage sert une noble cause puisqu'elle a pour principal objet de garantir l'équité des compétitions sportives en s'assurant que leurs pratiquants n'emploient ni les substances ni les méthodes interdites stipulées par la réglementation en vigueur.

En théorie, l'on pourrait donc penser qu'elle ferait cause commune mais dans les faits l'on est très loin du compte et ce, pour trois raisons selon moi.

Premièrement, la lutte antidopage s'empare d'un tabou. Dans le milieu sportif, tout le monde ou presque connaît le proverbe : on ne fera jamais d'un âne un cheval de course. Fortement ancrée dans l'esprit des gens, cette courte phrase laisse sous-entendre qu'un sportif de niveau moyen, même en se dopant, ne pourra jamais devenir un champion ce qui confère au dopage un caractère d'autant plus permissif. En réalité, cette croyance populaire est une dangereuse aberration car les personnes initiées savent pertinemment que le dopage se révèle, bien au contraire, décisif pour remporter une épreuve sportive toutes choses étant égales par ailleurs.

Deuxièmement, la lutte antidopage n'est pas respectée car elle limite grandement les possibilités de gagner artificiellement et cette action contraignante entraîne chez nombre de sportifs son rejet voire son dénigrement.

Troisièmement, la lutte antidopage ne peut malheureusement pas se battre à armes égales contre les tricheurs parce qu'elle n'a pas les moyens de ses ambitions. À titre d'exemple, le budget consacré à la lutte antidopage en France est dérisoire au regard des enjeux colossaux, toutes disciplines sportives confondues.


L'Everest de la lutte antidopage. Author provided

Une complexité insoupçonnée

Pour ne pas arranger les choses, la lutte antidopage est majoritairement traitée de manière simpliste alors qu'il s'agit d'une activité extrêmement complexe en perpétuelle évolution. A titre personnel, je m'intéresse à la lutte antidopage depuis environ 20 ans et pour affiner mes connaissances, j'ai intégré cette année le D.U. Formation à la lutte contre le dopage et à sa prévention à la Faculté de pharmacie de l'université Paris-Sud. Les intervenants et les autres étudiants, tous passionnés et aux profils variés, m'ont conforté dans la grande complexité du sujet.

En fait, seulement quelques personnes sont capables d'appréhender les tenants et les aboutissants de la lutte antidopage car elle requiert une transdisciplinarité issue de nombreux domaines, parfois très éloignés les uns des autres (médecine, pharmacologie, toxicologie, psychologie, droit, etc.). La visualisation du schéma, conçu pour l'occasion, permet de saisir rapidement pourquoi ce combat est si âpre à mener d'où le choix de son intitulé.

Un combat fragilisé

Comme si cela ne suffisait pas, la lutte antidopage subit des vents contraires qui compromettent sérieusement sa bonne marche. Tout d'abord, le système actuel incite implicitement les sportifs à avoir recours au dopage en raison des non-sanctions et des sanctions clémentes pratiquées vis-à-vis des tricheurs. Que l'on arrête de croire que les athlètes dopés sont des enfants de choeur. En adoptant une attitude de grande indulgence à leur égard, on les dédouane de leurs méfaits et on pénalise par la même occasion paradoxalement les sportifs intègres.

Ensuite, la recherche médicale et l'innovation pharmaceutique pourvoient, malgré eux, les tricheurs en armes sophistiquées et bien souvent indécelables avant un certain laps de temps. Il ne faut effectivement pas perdre de vue que le dopage correspond au fait de détourner une substance ou une méthode de son usage premier c.-à-d., traiter une maladie pour optimiser les capacités physiques et/ou mentales d'un sportif.

Par ailleurs, la lutte antidopage fait face à une situation manifeste de conflits d'intérêts. Lorsqu'un club, une fédération et un pays voient l'un de leurs sportifs sanctionné, ils sont également eux-mêmes pénalisés à plusieurs niveaux donc ils n'ont aucun intérêt à ce que leurs sportifs soient contrôlés positifs.

Enfin en lien direct avec le point précédent, la lutte antidopage revêt un caractère politique car le sport représente l'une des vitrines d'un pays, ce qui ajoute à sa complexité intrinsèque une forte dose d'ambiguïté. Ainsi, tant que la lutte antidopage ne sera pas renforcée, toutes les conditions ne seront pas réunies pour que la meilleure ou le meilleur gagne à la loyale.

Problématiser pour atteindre une pratique sportive intègre

Étant donné la nature sensible et transdisciplinaire du sujet, il me semble judicieux dans un premier temps de formuler des questions plutôt que d'apporter des réponses préfabriquées. En voici un échantillon qui laisse déjà transparaître l'immensité du chantier à conduire.

Comment faire pour que toutes les disciplines sportives soient soumises aux mêmes contraintes antidopage ?

Est-il exemplaire que des anciens dopés avérés occupent actuellement des responsabilités dans le milieu sportif ?

Comment le médecin salarié d'une équipe professionnelle peut-il refuser d'optimiser la performance des sportifs encadrés par ses soins alors qu'un lien de subordination les unit ?

Pourquoi les sportifs dopés sanctionnés ne devraient-ils pas dédommager les sportifs intègres victimes de leurs méfaits ?


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Cette page a été mise en ligne le 26/05/2018