Actualité du dopage

Nairo Quintana : encore une affaire confuse


22/08/2022 - cyclisme-dopage.com - Marc Kluszczynski

Encore une affaire confuse à tous les niveaux. Deux échantillons du colombien, vainqueur du Giro 2014 et de la Vuelta 2016, prélevés après la 7ème étape (8 juillet, Super Planche des Belles Filles) et la 11ème (13 juillet, col du Granon) ont révélé la présence de tramadol. Quintana vient de prolonger son contrat chez Arkéa-Samsic jusqu’en 2025, après sa 6ème place sur le Tour de France. Cet antalgique opioïde de niveau II malheureusement largement prescrit en France présente des effets indésirables à priori incompatibles avec la pratique du cyclisme : accoutumance, vertiges, nausées, somnolence. Certains peuvent bien sûr être amoindris par la caféine. En 2015, 5,9% des échantillons récoltés montraient la présence d’une dose supérieure à 200 ng/ml (soit plusieurs comprimés) et 80% concernaient le cyclisme. En raison de l’usage répandu dans le peloton, révélé par des lanceurs d’alerte, l’AMA décide dès 2012 de l’inscrire sur la liste des produits sous surveillance en compétition. Les médecins des équipes adhérant au MPCC s’engagent en octobre 2013 à ne pas délivrer de tramadol aux coureurs.

Le premier problème dans cette affaire est que, 10 ans après, le tramadol est encore sous surveillance par l’AMA (2). L’immobilisme de l’Agence qui tolère la médicalisation du peloton, l’empêche de légiférer sur les antalgiques problématique : un antalgique bien connu, ingurgité 45 minutes avant un contre-la-montre de 16 km, permet un gain de 30 secondes. David Lappartient, élu président de l’UCI en 2017, avait fait de l’interdiction du tramadol un de ses chevaux de bataille pour son élection. Interdiction qui sera décidé pour le 1er mars 2019 en mettant en avant des raisons médicales et de sécurité du peloton. L’UCI édicte une législation propre au tramadol, qui apparemment ne gêne pas l’AMA.

Le second problème pourrait donner matière aux avocats de Quintana : l’UCI en tant que fédération internationale, ne peut dicter ses propres lois et doit suivre celles de l’AMA, même si dans le cas du tramadol, elles ne débouchent pas sur une suspension. Bien conseillé par ses avocats, le colombien a décidé de faire appel devant le TAS. Une fédération internationale peut-elle édicter des règles plus dures (3) que celles de l’AMA pour une substance sous surveillance depuis dix ans ?

Quintana aurait donc pu s’aligner sur la Vuelta. Il a décidé de renoncer deux jours avant le départ et de se consacrer à sa défense. Pour l’instant, il conteste la présence du tramadol et déclare n’en avoir jamais pris. Plaidera-t-il la contamination de ses échantillons pendant le contrôle ? Les avocats vont donc devoir s’expliquer. L’immobilisme de l’AMA a donc accouché d’un règlement bancal dont les sanctions vont être remises en cause.

La réputation de Nairo Quintana, dont le « pack » inclut son frère, son soigneur espagnol Mikel Otero et un médecin colombien Fredy Alexander Gonzales Torres, en prend encore un coup après la perquisition de l’OCLAESP lors du Tour de France 2020 à Méribel où du matériel de perfusion et des poches salines de 100 ml furent découvertes dans la chambre de colombiens.


(1) Le MPCC est loin d’être le rempart idéal contre tous les débordements. Une équipe peut y adhérer sans qu’aucun de ses coureurs n’y adhère. A l’inverse, un cycliste peut s’engager à titre individuel sans que l’équipe n’y souscrive. Arkéa-Samsic appartient au MPCC ainsi que treize coureurs. Nacer Bouhanni, Winner Anacona, Nairo Quintana et son frère Dayer et Warren Barguil n'en sont pas membre.

(2) En 2013, le Dr Olivier Rabin, directeur scientifique de l’AMA, déclarait que le tramadol devenait une priorité pour l’agence et qu’elle allait revoir sa classification pour 2014

(3) L’UCI cycling regulations interdit le tramadol dans le but de préserver l’intégrité physique du cycliste et d’assurer le niveau de sécurité des compétitions. D’après l’UCI, il n’y a pas d’interférence avec le code mondial antidopage. A l’issue des compétitions, contrôle antidopage et recherche de l’antalgique sont effectués par des équipes bien différentes. Si le tramadol est présent, le cycliste est disqualifié et sanctionné d’une amende de 5000 CHF (10000 CHF si deux coureurs d’une même équipe sont en cause). A partir de la 2ème violation, le cycliste est suspendu 5 mois, puis 9 mois à partir de la 3ème fois. Mais ces suspensions sont-elles légales dans le cadre du code mondial antidopage ? Une période de suspension ne peut concerner que le dopage.


Sur le même sujet


Cette page a été mise en ligne le 22/08/2022