Actualité du dopage

La femme est l’avenir du vélo… si elle ne triche plus comme les hommes

01/08/2022 - cyclisme-dopage.com - Antoine Vayer

J’ai toujours entraîné des femmes. J’ai bien aimé par certains côtés leur approche méticuleuse de la discipline. Elle est encore, mais jusqu’à quand, à bien des points de vue sensiblement différente de celle des hommes. Les femmes en compétition se battent parfois pour une place de 27ème aussi chère à leurs yeux qu’une victoire. Toutes ne sont pas encore vraiment professionnelles. C’est encore une passion pour la plupart et pas un simple métier en devenir. Beaucoup commencent néanmoins à imiter leurs alter-egos masculins : même marque, même équipe, même communication. Cela va peut-être causer leur perte.

Un Tour féminin revient en 2022...
Source : Espé - 01/08/2022

Anniemek Van Vleuten, presque quadragénaire

Côté vivier, cela a toujours été peu ou prou le même prorata qu’aujourd’hui. C’est moins de 10% de pratiquantes, que ce soit en compétition au niveau des licences, ou en loisir dans les pelotons des épreuves cyclosportives. C’est un pourcentage qu’on retrouve aussi, hélas, dans l’encadrement. Les femmes que j’ai coachées ont participé aux Jeux Olympiques, gagné des titres mondiaux et une foultitude de titres nationaux. Autrefois, faire 400 heures de vélo et 10000 kilomètres par an garantissait une présence en équipe de France pour une jeune femme qui avait des dispositions au niveau sportif et un terrain génétique correct. Les rares qui faisaient plus, car elles avaient un travail ou qui étaient mises en disposition, comme Jeannie Longo, ou bien qui avaient des sponsors-mécènes ayant trouvé là “leur danseuse”, dominaient le peloton.

La Batave hispanisée Anniemek Van Vleuten, 39 ans, qui a dû traverser - ou tout du moins voir puisque tout le monde l’a vu et su - toutes les grandes ères du dopage aux Pays-Bas roule, elle, comme un homme professionnel depuis des années. Avec les mêmes vitamines ? On ne sait pas. 1.200 heures par an, 33.000 kilomètres, 430.000 mètres de dénivelé, souvent en altitude en montagne où elle multiplie des stages en dépensant l’équivalent de 700.000 Kcal à pédaler, il faut encaisser ! Elle tient les comptes méticuleusement. C’est une femme du monde qui voyage partout et est dotée d’un caractère incroyable. Celles qui ont le plus de caractère sont les plus névrosées. C’est une baroudeuse qui impressionne tous ceux qu’elle côtoie. Nourrie au gouda, on en doute. Je serais elle, je dirais simplement face aux questions légitimes sur son incroyable domination : « regardez comment et où je m’entraine, peu font plus et mieux que moi ». Les médias, Jalabert en tête, ce Madoff du cyclisme, parlent de coureure « expérimentée ». Ce mot a une sale connotation dans la bouche de Jalabert et du milieu.

La Longo, 63 ans

Je me souviens avoir constitué, face à Longo, l’ogre du cyclisme féminin, une équipe avec Chantal Gorostegui, championne de France, les jeunes Chevanne-Brunel, Fanny Lecourtois, Laurence Leboucher, Karine Boitier au Tour de Vendée qui était une épreuve internationale. J’en ai accompagné certaines ensuite en équipe de France au Tour cycliste féminin puis sur la Grande Boucle féminine. Avant, j’avais assisté au Tour de France féminin. J’étais présent sur le plateau au moment de la fameuse prise de bec entre Madiot et Jeannie. J’ai couru avec les deux. Un tour du Finistère avec Madiot, ouvert aux élites et quelques manches de la mi-août bretonne avec « La Longo ». Elle arrivait à faire, sur des circuits pas trop durs, 100 kilomètres avec nous, sans être lâchée. Nous considérions cela comme un exploit. Son histoire d’EPO commandée en Chine par son mari a tout gâché. C’est une femme, bien sûr « de caractère » aussi, névrosée aussi, juste comme il faut pour un(e) athlète de haut niveau. Tou(te)s le sont de fait, hommes ou femmes. Elle est organisée, cultivée, intelligente, pleine de bon sens mais c’est uniquement rapporté à elle. On le lui reproche. Les vrai(e)s champion(ne)s sont tou(te)s égocentré(e)s pourtant. C’est un fait. C’est cet incident matrimonial avec l’EPO, dont on peut légitimement douter à qui il était destiné, qui l’a empêchée de devenir ministre des sports, par exemple, et d’être considérée comme il se doit. Le dopage détruit. 1157 victoires, 13 fois championne du monde, vainqueure des jeux Olympiques, 59 titres nationaux, trois fois vainqueure du tour de France qui se déroulait alors en 18 étapes dans les plus grands cols. C’est la sportive française la plus titrée de tous les temps, toutes disciplines confondues. Elle a aussi eu son contrôle positif à l’éphédrine qu’elle raconte dans Du miel dans mon cartable, un de ses livres (lire ici). Elle a aussi écrit Performances & Records Jeannie Longo, précis d'entraînement original que j’ai lu et où j’ai appris. C’est une méticuleuse, elle aussi. Van Vleuten n’a pas tout à fait son palmarès. Qquoique. Elle n’a pas de mari qui a commandé de l’EPO par Internet, quoiqu’il faudrait vérifier. Elle n’a pas encore de casseroles et de contrôle dopage positif. Une sacrée carrière non ternie : elle pourrait devenir ministre.

Bonjour Madame, c'est pour un contrôle antidopage
Source : Espé - 01/08/2022

Le dopage par le watt

Au tout début des années 2000, je me suis rendu à Paris, plein d’espoir, au siège de la toute jeune Agence Française de Lutte contre (ou pour, je ne sais plus) le Dopage, nouvellement créée, qui s’appelait alors Conseil de prévention et de lutte contre le dopage. J’avais notamment sous le bras des fichiers méticuleusement triés, bien sûr. Ceux du suivi exhaustif des tests et du profil de puissance au watt près, sur des années, d’une femme coureuse cycliste. Je voulais démontrer, déjà, que les watts étaient l’indicateur le plus fiable du dopage. Cette athlète est passée en une année d’un statut de « Top Ten » au niveau mondial, à celui d’une domination sans partage sur sa planète vélo dans le monde entier. A titre d’exemple, au mois de décembre elle pesait 50 kilos et à son seuil aérobie pour le palier à 225 watts, elle avait un taux de lactates de 2,6 mmoles. A ce même taux de lactates, protocole de dopage installé (EPO, hormones de croissance, etc), elle poussait 275 watts pour un poids de 47 kg (5,85 w/kg). Un gain de 50 watts sur son test ! Ses roues ne touchaient plus le sol sur le terrain non plus, lors des efforts censés être « lactiques ». Pas de lactates, pas de douleurs, une force constante du diable, la respiration tranquille le cœur à 180 Bpm. Elle aurait peut-être pu suivre Van Vleuten (5,55 w/kg - 58 kg) sur la montée du Lago di Cei avec de l’endurance lors du dernier tour d’Italie (voir profil de puissance ci-dessous) et peut-être sur ce Tour de France entre 5 et 5,5 watts/kg en permanence. Les gens de l’AFLD m’ont dit « merci monsieur, au revoir ». Les watts, méconnus à l’époque, ne devaient pas être une donnée assez « scientifique » à leurs yeux. J’ai du passer pour un incompétent et faire un peu d’humour “non crédible”. Avoir l’air con peut être utile, l'être vraiment serait plus facile. Leur préoccupation principale doit être maintenant de contrôler leur taux de cholestérol personnel.

Cette athlète a eu son ascenseur social. Elle est devenue bankable et a touché le jackpot avec un sponsor et un salaire, dont une partie défiscalisée, à faire pâlir les tenniswomen de l’époque. Les femmes, en nombre, se sont dopées autant que les hommes, avec les mêmes produits qui ont eu des effets affreux au niveau hormonal pour certaines. Il faut le savoir. Ce n’est pas parce que vous êtes jeune ni que vous êtes une femme que vous ne tricherez pas. Les multiples cas révélés ces dernières années ont été bien moins médiatisés que ceux des hommes, plus célèbres, c’est tout. Ils ont été tout aussi dramatiques pour l’équité du sport que pour leur santé individuelle.

Quand vous aurez fait vos preuves et que ce sera rentable...
Source : Espé - 01/08/2022

- 20% , pour un Tour plus crédible celui des hommes ?

A l’orée du Tour de France Femmes (avec ou sans Zwift), Frédéric Portoleau a déjà décortiqué les watts des meilleures cyclistes des deux dernières décennies : lire ici. Nous avons bien sûr moins de données comparées aux hommes, tant le vélo féminin était tombé aux oubliettes et non télévisé. Il apparaît que cela peut désormais rapporter de l’argent à la société qui l’organise le Tour. Elle avait lâché l’affaire tant cela lui paraissait peu « bankable » à l’époque. Par l’argent alléché, elle revient. Les équipes fleurissent. Il en ressort que ces dames, pour les meilleures seulement, ont « pour l’instant » à minima et en moyenne des puissances de 20% inférieures à celles de hommes dans les cols longs. Dans les arrivées pentues et abruptes comme au mur de Huy à la Flèche Wallone, c’est plus. Au niveau de la vitesse sur les deux Tours, on est à 38,40 kilomètres par heure de moyenne sur les 1.033 kilomètres pour Annemiek Van Vleuten contre 42,07 kilomètres par heure de moyenne sur les 3346 kilomètres pour Jonas Vingegaard. La néerlandaise a monté le radar de La planche des Belles Filles en 24 minutes à environ 5,5 watts/kg, là où Pogacar avait grimpé en 19’40’’ à 6,62 watts/kg. Comparaison n’est pas raison ? Est-ce moins spectaculaire ? Le public s’en est-il rendu compte ? Les réponses sont NON. Vous mettez les femmes en juillet, 21 étapes avec aucune épreuve en face comme pour les hommes à qui vous consacrez huit jours de course à suivre, le spectacle et le sport en sortiraient sans doute grandis.

Pour les hommes, on connait le seuil humain et les cyclistes aux seuils suspects, miraculeux ou mutants à 410, 430 et 450 watts Etalon (l’Etalon est un coureur de 70 kilos), environ à 5,8 watts/kg, 6 watts/kg et 6,4 watts/kg. Les femmes coureuses cyclistes sont en moyenne plus petites de 10 centimètres et pèsent statistiquement 10 kilos de moins que les hommes. On travaille sur les seuils féminins qui définiront la tricherie, sur un Watt Etalon d’une coureuse qui ferait 60 kilos et pas 70 comme chez les hommes. On a de bonnes bases, avec certaines qu’on sait vertueuses également comme les hommes, et qui nous servent de références. On commence à avoir du recul. On se renseigne sur qui est qui et qui fait quoi avec la tricherie et avec qui autour au niveau des encadrements. Alors comment cela s’est-il passé sur ce Tour de France Femmes (sans Zwift) dans les deux étapes de montagne en terme de watts ?

Etape 7 : Le Markstein

Annemiek Van Vleuten accélère dès le premier col de l'étape, le Petit Ballon. Il reste 82 km à parcourir. Seule Demi Vollering parvient à rester dans sa roue. Les deux Néerlandaises grimpent le petit Ballon (9,43 km à 8,08%) en 31min04sec à 18,2 km/h. La puissance développée est de 314 watts Etalon pour 5,25 w/kg. Le groupe de Juliette Labous a déjà 2’30’’ de retard. La Française a développé 291 watts Etalon et 4,95 w/kg. L'Italienne Longo Borghini est intercalée.

Van Vleuten et Vollering creusent encore l'écart sur la montée suivante le Platzerwazel (7,14 km à 8,28%). Puis Van Vleuten s'échappe en fin d'ascension et Vollering passe au sommet avec un retard de 25’’. Van Vleuten développe 313 watts étalon et 5,25 w/kg pendant 24’16’’ ! Le rythme est le même que sur le Petit Ballon. Aucune faiblesse bien qu’elle ait d’avoir dit « ne pas avoir réussi à s’alimenter et à boire pendant deux jours au début du Tour et d’avoir pensé à abandonner pendant les moments les plus durs de sa carrière » N’ayons pas peur des maux. Un phénomène de surcompensation sans doute. La médecine de récupération a fait des progrés apparemment dans son équipe Movistar qui compte dans ses rangs un autre quadra chez les hommes, ex-champion du monde, Alejandro Valverde qu’on ne présente plus. Le groupe de Juliette Labous grimpe ce deuxième col en 26’44’’, soit 2’28’’ plus lentement que Van Vleuten. C’est un gouffre La Française développe 281 watts Etalon et 4,8 w/kg.

La longue chevauchée de Van Vleuten se poursuit. Au pied du Grand Ballon, Vollering est à 2’30’’, Longo Borghini à 5’50’’ et le groupe de Juliette Labous à 6’20’’. Van Vleuten mettra 44’40’’ pour se hisser au sommet du Grand Ballon à 1341m d'altitude (13,83 km à 6,59%). Elle développe 4,6 w/kg et 273 watts Etalon. Demi Vollering passe deuxième au sommet à 3’34’’. Elle a perdu 1’04’’ sur Van Vleuten et développé 4,5 w/kg et 266 watts Etalon. Juliette Labous, Cecilie Ludwig et Katarzyna Niewiadoma s'isolent de leur groupe après le col Amic et passent au sommet du Grand Ballon 5’50’’ après Van Vleuten. Juliette Labous développe 4,65 w/kg et 273 watts Etalon.

Après une échappée d’anthologie, Van Vleuten remporte l'étape au Markstein et prend la tête du classement général avec une avance de 3’14’’ sur Demi Vollering et de 4’33’’ sur Katarzyna Niewiadoma. La performance de Van Vleuten est incroyable. Après avoir développé de fortes puissances sur les deux premiers cols à 5,25 w/kg, elle est parvenue à l'emporter après une échappée solitaire de plus de 60 km. Elle ne s'est pas écroulée sur le Grand Ballon malgré la forte dépense d'énergie sur le petit Ballon et le Platzerwazel. Désormais, on ne dira plus « une échappée à la Merckx » ou « faire une Landis » mais « un raid Van Vleuten ».

Le Tour masculin fera huit étapes
Source : Espé - 01/08/2022

Etape 8 : Planche des Belles Filles

Les leaders de ce Tour de France s'observent sur la montée du Ballon d'Alsace (8,8 km à 6,98%). Van Vleuten et les autres favorites développent environ 4,4 w/kg et 262 watts Etalon. Le rythme est beaucoup moins intense que la veille. Van Vleuten doit changer plusieurs fois de vélo. Celui peint en jaune ne parait pas encore au point. Chaque fois, un peu lâchée à cause de ses multiples changements, elle reste calme et rentre dans le peloton avec une facilité déconcertante en donnant l’impression visuelle de pédaler deux fois plus vite que les autres.

L'échappée du jour est reprise dans les premières pentes de la Planche des Belles Filles. Puis Van Vleuten attaque. La Néerlandaise est intouchable et s’envole vers une deuxième victoire en deux jours. Elle grimpe la Super Planche (7 km à 8,77%) en 23’59’’ à 5,5 w/kg et 328 watts Etalon Femmes (standard 60 kg femmes) là où Pogacar avait grimpé en 19'40" à 6,62 watts/kg pour 461 Watts Etalon Hommes (standard 70 kg) La performance est remarquable au lendemain d'une longue échappée. Demi Vollering termine, comme la veille, deuxième à 30’’. Juliette Labous arrive cinquième à 1’56’’ et conserve sa quatrième place au classement général. Elle développe 5,1 w/kg et 300 watts Etalon.

Le profil de puissance de la néerlandaise, comme celui des autres concurrentes, est désormais plus complet. Le Tour de France peut désormais aller chercher du cash avec un grand départ aux Pays-Bas et éventuellement un contre-la-montre, même si c’est moins vendeur. Cela tombe bien, Van Vleuten adore les contre-la-montre et fêtera ainsi de manière originale ses 40 ans, avec Valverde, avec Jeannie Longo qui saura peut-être interpréter les puissances et préciser avec nous où sont chez les femmes les seuils humains, suspects, miraculeux ou mutants.

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Performances d'Annemiek Van Vleuten (mises à jour à l'issue du Tour de France 2022)
Source : Frédéric Portoleau - 01/08/2022
Le profil de puissance d'Annemiek Van Vleuten (mise à jour à l'issue du Tour de France 2022)
Source : chronoswatts.com - 01/08/2022


Cette page a été mise en ligne le 01/08/2022