Brève

Augmentation des puissances : Sonny Colbrelli n'explique pas tout


09/10/2023 - cyclisme-dopage.com - Marc Kluszczynski

Sonny Colbrelli, le sprinteur-puncheur de la Bahrain-Victorious avait dû arrêter sa carrière en 2022. Il s'effondre à l'arrivée de la 2ème étape du Tour de Catalogne, qu'il franchit en 2ème position. Il est alors victime de convulsions et d'un arrêt cardiaque. Ce sera sa dernière compétition. Officiellement, la cause est d'origine cardiaque. Cependant, pendant le Tour de France 2021, l'équipe Bahrain Victorius est perquisitionnée par l'OCLAESP, une rumeur court : les coureurs se lèveraient la nuit pour pédaler ! L'enquête montrera la présence de tizanidine chez trois cyclistes. Pendant ce Tour, le même Colbrelli termine 3ème de la 9ème étape de Tignes après 4500 m de dénivelé. Pas mal pour un sprinteur !

En 2023, devenu directeur sportif chez Bahrain Victorius, Colbrelli fournit à CyclingNews une explication à l'augmentation des puissances en World Tour qui interrogent (1). En effet, depuis maintenant quatre ans, les puissances estimées des coureurs sont en augmentation et se rapprochent désormais de celles des années 2000, où la majorité du peloton pédalait à l'EPO et/ou aux transfusions. L'Italien n'est sûrement pas le mieux placé pour se livrer à un tel exercice. Pas plus que son équipe, dont le directeur Milan Erzen a été impliqué dans l'affaire Aderlass en 2019. Bahrain Victorius avait déjà placé des gabarits puissants et musclés dans les étapes de montagne, comme Jan Tratnik dans le Zoncolan, qui finit 3ème de la 14ème étape du Giro 2021. L'équipe semble maintenant rentrée dans le rang, en dépit de ses trois victoires d'étapes dans le dernier Tour de France (10, 15 et 19ème étapes).

L'étude de l'ancien coureur n'est donc pas dénuée de conflit d'intérêt. Sonny Colbrelli pense qu'il n'y a plus de dopage : l'augmentation des vitesses serait due aux gains marginaux (matériel, vêtements aéros, diététique, préparation en altitude, entraînement). Ce discours est bien sûr difficile à accepter alors même que les records d'ascension de l'époque EPO tombent les uns après les autres. D'autres gains marginaux avaient déjà été convoqués pour expliquer la supériorité de l'équipe Sky (devenue Ineos). On sait désormais qu'ils consistaient surtout en injection de corticoïdes retard. Le Dr Freeman a été suspendu quatre ans pour dopage en début de cette année.

Colbrelli a effectué des tests avec des vélos actuels et d'autres des années 80, sur le plat et en montée (1 km entre 6 et 7%). Ses résultats sont bien naturellement corrélés à l'augmentation des puissances constatées dans les estimations. Les vélos les plus récents « aéros » permettent une économie de 30 watts pour rouler à 40 km/h sur le plat (2) (3) ; à 300 watts, ils roulent 1,5 km/h plus vite. Un vélo des années 80 (bien que plus léger) nécessite 25 watts de plus pour rouler à 18 km/h dans du 8% : à 360 watts, il est plus lent de 1,5 km/h dans une pente à 8%.

Colbrelli et Bahrain Victorius en concluent, le dopage a donc bien disparu et les records d'ascension constatés lors du Tour de France 2023 ne sont dus qu'à l'amélioration du matériel et à la lubrification de la chaîne trempée dans un bain de cire chaude et non plus huilée.

Pourtant les jantes carbones à profil haut ou moyen procurent un avantage réduit en montagne. Aussi et surtout, on rétorquera que lors du Tour de France 2023 et dans les épreuves du World Tour, ces améliorations matérielles semblent ne profiter qu'à deux équipes dominatrices (Jumbo-Visma et UAE). Et au sein de ces deux équipes, cet avantage se retrouve chez tous les équipiers. Pourquoi pas dans les autres équipes ? Pourquoi à la FdJ, par exemple, David Gaudu, à son meilleur niveau lors du Tour de France 2023, n'a-t-il pas amélioré ses performances de 25 à 30 watts ? Précisons aussi que les spécialistes d'estimation des puissances appliquent le même facteur de correction dû au matériel (frottement, rendement du vélo) pour tous les cyclistes et que les vélos actuels en montagne sont plus lourds (mais profilés) qu'il y a 10 ou 20 ans.

On s'est rendu compte qu'un gain d'un kilo sur le poids du vélo n'apporte qu'une amélioration minime de quelques watts en montagne (1 kg de vélo en plus représente une perte de 4 watts dans une ascension de 5 km à 6%) (4). On estime en revanche un gain de 5 watts pour 1 kg de poids de corps perdu.

Ce que nous explique Colbrelli correspond en fait à des gains de vélos profilés roulant à 50 km/h sur le plat, soit la différence entre des vélos anciens classiques et des vélos actuels. En montagne, le gain de puissance qu'apporte un vélo léger n'est que de quelques watts. Un kilogramme en plus sur le « dead weight » ne fait perdre qu'une demi-seconde sur 5 km de montée à 7% soit 3,7 watts (4)(5). A 3 W/kg, un vélo léger est 25 s plus rapide par heure qu'un vélo aéro dans une pente à 10 % ; à 4,5 W/kg, 19 s ; à 6W/kg, 14 s : la différence n'est pas énorme. Un vélo léger voire aéro reste le meilleur choix en montagne, il apporte un gain de 20 à 25 s par heure d'ascension. Encore une fois, ce n'est pas énorme. Et l'hypothèse de Colbrelli n'explique toujours pas les puissances de 450 watts dans le Tour de France 2023 (6).

(1) cyclingnews.com - 27 juillet 2023 - Why does the Tour de France keep getting faster? Sonny Colbrelli and Bahrain Victorious find out.

(2) Cycles & Forme - 2020 - Actu aéro Mi 2020 (Grâce à des tests effectués en soufflerie, on constate un gain de seulement 1 à 2 watts à 35 km/h entre des profils de roues de 35 et 50 mm.)

(3) Réduire le poids du vélo de 500g permet d'économiser 3 watts dans une pente à 5% et 6 watts dans une pente à 10%. A des vitesses plus élevées, l'aérodynamisme prend plus d'importance : à 50km/h sur le plat, le gain est estimé à 28 watts ! L'avantage de roues légères chez les pros nécessite une pente d'au moins 8%.

(4) Aerodynamics versus weight : what's the tipping point for Pro and amateur cyclists ? Bikerumor.com

(5) Cyclist.co.uk. Dans une montée de 5 km à 6% de moyenne, un vélo aéro est déjà plus lent de 15 s. Il nécessite un effort de 3,2 watts supplémentaires. Les vélos légers ne bénéficient pas d'un gros avantage en montagne même à partir d'une pente à 8%. De plus, l'UCI limite le poids des vélos à 6,8 kg. Y a -t-il une tricherie sur le poids en vidant des ballasts remplis d'eau en cours d'étape ?

(6) Chronowatts - 9 août 2023 : D'après Frédéric Portoleau « le niveau actuel (des performances en montagne) est inquiétant et l'augmentation des performances en montagne depuis 2019 sur les portions à faible vitesse, ne peut pas s'expliquer par l'amélioration du matériel ».


Marc Kluszczynski est pharmacien
Il est titulaire du diplôme universitaire de dopage de l'université de Montpellier (2006)
Il est responsable de la rubrique "Front du dopage" du magazine Sport & Vie et collabore à cyclisme-dopage.com


Autres brèves de 2023


Cette page a été mise en ligne le 09/10/2023