Actualité du dopage

La trop lente avancée du cas Christopher Froome


30/03/2018 - lemonde.fr - Clément Guillou

« Arrivée prévue en août 2018. » Christopher Froome annonçait ainsi sur les réseaux sociaux, samedi 24 mars, la naissance de son deuxième enfant. Lui faudra-t-il attendre aussi longtemps pour voir le terme de la procédure lancée par l'Union cycliste internationale (UCI) à la suite de son contrôle antidopage anormal, il y a sept mois ? A l'en croire, l'échéance lui serait insupportable : « Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour que cela soit réglé le plus vite possible. J'essaie de rester concentré », a-t-il dit début mars.

Froome n'a pas varié : il veut être fixé le plus vite possible sur son sort, étant entendu, selon lui, qu'il sera forcément blanchi, puisqu'il n'a, à aucun moment, pris du salbutamol dans des quantités supérieures à celles acceptées par le code mondial antidopage, ni sous une autre forme. Son échantillon urinaire du 7 septembre 2017, lors d'un Tour d'Espagne victorieux, a pourtant fait apparaître cette molécule [au] double de la limite autorisée. Un taux très rarement atteint dans les cas de contrôle positif au salbutamol. (...)

(...) « Pour l'instant, tout joue à son avantage. Son but, c'est que cela traîne jusqu'au-delà du Tour », juge une source au fait de la procédure. Le squelettique coureur du Team Sky pourrait ainsi prendre le départ de ses deux principaux objectifs de la saison, le Tour d'Italie (4-27 mai) et le Tour de France (7-29 juillet). Dans une ambiance sans doute détestable, mais le maillot jaune a appris à supporter les quolibets sur les routes de France où ses efforts linguistiques, son sourire franc et ses mots aimables sur le patrimoine national n'émeuvent plus ceux qui ont appris à se méfier des performances trop belles.

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« Je n'ai pas d'élément qui me permette de dire qu'il retarde volontairement les choses. Il essaye de défendre un certain nombre d'arguments, c'est son droit, objecte le président de l'UCI, David Lappartient. Je ne vois pas ce qu'il gagnerait à attendre, car si c'est pour courir et être sanctionné après, quel intérêt ? S'il est blanchi, il peut y aller sans stress, sans pression et sans crainte d'être éventuellement déclassé. »

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D'après nos informations, le risque est désormais grand pour que le cas Froome ne soit pas tranché d'ici à juillet. Cela semblait inimaginable après la révélation de l'affaire dans nos colonnes, le 13 décembre 2017. Un acteur de la procédure confie : « Ce ne sera pas fait avant le Giro. Il reste une petite chance que ce soit le cas avant le Tour. »

Ces dernières semaines, le dossier a néanmoins connu une avancée majeure : le tribunal antidopage de l'UCI a été saisi, ont indiqué au Monde plusieurs sources proches de la fédération internationale. Ce qui signifie que le service juridique de l'Union cycliste a estimé qu'il n'y avait pas de de données objectives permettant d'aboutir à un non-lieu.

La procédure a donc quitté les murs de l'UCI, où elle était traitée par le Legal Anti-Doping Services (LADS), pour atterrir au tribunal antidopage de l'UCI, structure indépendante créée en 2015. Combien de temps lui faudra-t-il pour traiter le dossier scientifique préparé en amont ? Jusqu'ici, les procédures ont toujours pris plus de deux mois et demi, parfois jusqu'à un an, alors même que les cas étaient plus simples que celui de Froome. L'une des parties a toutefois la possibilité de demander « une procédure accélérée, si les circonstances l'exigent ».

Le juge qui décidera de l'avenir de Christopher Froome a déjà été désigné : il s'agit de l'Allemand Ulrich Haas, l'un des arbitres les plus expérimentés en la matière, corédacteur de la dernière version du code mondial antidopage.

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Depuis septembre 2017, le redoutable avocat britannique de Froome, Mike Morgan, a fait à l'UCI de très nombreuses requêtes. Certaines inhabituelles : il aurait par exemple demandé qu'elle fournisse les échantillons B de Christopher Froome les jours précédant son contrôle anormal, afin de procéder à de nouvelles analyses. Refusé.

Depuis la révélation du cas Froome, l'équipe Sky a donné plusieurs explications à ce dépassement du seuil. Une à une, toutes ont été écartées par le LADS. Le cabinet Morgan, qui s'est attaché les services des meilleurs experts de la question, s'en est donc remis à la dernière stratégie possible : remettre en cause le test au salbutamol et la limite fixée à 1 000 ng/ml. C'est-à-dire s'opposer frontalement au code mondial antidopage et aux laboratoires, pour convaincre les experts qu'il n'y a pas eu de prise orale du salbutamol - dans ce cas, la molécule a des effets anabolisants et est strictement interdite. « Ils cherchent à obtenir l'ensemble des éléments qui leur permettrait de contester le test lui-même, de convaincre qu'il n'est pas valide scientifiquement », assure une autre source proche du dossier.

La partie devrait donc être longue et signifie que Froome aura face à lui l'Agence mondiale antidopage, garante des règles et de leur validité scientifique. « L'AMA est déjà en contact avec l'UCI sur ces questions-là, dit Olivier Niggli, son directeur général. On va fournir à l'UCI tous les éléments dont ils ont besoin concernant le test en lui-même. » Pour Olivier Rabin, son directeur scientifique, la limite à 1 000 ng/ml est incontestable : « La règle est établie depuis longtemps, le seuil n'a pas changé et est déjà passé devant le Tribunal arbitral du sport [TAS]. »

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Mauro Vegni, directeur du Giro, ne réclame officiellement qu'une chose : qu'une décision sur Froome soit prise avant ou après l'épreuve, mais pas pendant. « Ce ne serait pas correct pour le Giro, pour l'organisateur, pour le public. Si c'est après, je souhaiterais que le résultat ne soit pas annulé de manière rétroactive, ce n'est pas bon pour le cyclisme. »

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Les organisateurs du Tour sont aussi soucieux de leur image, moins du destin de Chris Froome dont l'épreuve pourrait très bien se passer. Selon plusieurs organes de presse britanniques, ils étudient la possibilité - fragile juridiquement - d'activer la clause d'atteinte à l'image de la compétition pour empêcher le leader de la Sky de participer. ASO oppose à cette rumeur un « no comment », se bornant à réclamer à toute force que le cas soit tranché avant le début de l'épreuve.

Comment réagirait Sky ? Depuis la révélation de l'affaire, elle soutient Froome du bout des lèvres. Interrogée sur la rumeur disant que Froome finance lui-même sa défense, l'équipe préfère ne pas commenter. Son leader est quasiment absent du site officiel. Durant l'hiver 2017, le natif du Kenya avait pris ses distances vis-à-vis du manager de l'équipe, Dave Brailsford, mis en difficulté par des révélations de la presse et une enquête du Parlement britannique. Depuis, les relations entre Brailsford et le couple Froome - sa femme Michelle gère sa carrière - sont fraîches. Si Froome est suspendu, ne serait-ce que trois mois, Team Sky devra, selon son code interne, licencier son coureur vedette. Le Britannique pourra aussi faire appel devant le TAS et mener une nouvelle bataille d'experts.

L'échantillon prélevé le 7 septembre à Santo Toribio de Liébana, dans le nord de l'Espagne, n'a sans doute pas fini d'enrichir les cabinets d'avocats en droit du sport, de Londres à Zürich.


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Cette page a été mise en ligne le 31/03/2018