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Le Blitz de San Remo conté par Danilo Di Luca


05/07/2017 - Cycliste infiltré - Danilo Di Luca

Nous sommes en 2001, j'en suis à ma troisième année comme professionnel, je cours le Giro d'Italie, heureux d'avoir de nouveau un numéro dans le dos. Le 23 mai, je gagne la quatrième étape à Montevergine di Mercogliano en Campanie. (...)

Le dix-septième jour, Max Biaggi est invité par la Gazzetta dans leur voiture, en tête du peloton. (...)

Juste après l'arrivée, Biaggi descend de voiture et vient à notre rencontre, il n'arrive pas encore à croire à ce à quoi il a assisté :

-Vous êtes dingues.

Puis il nous serre la main en signe d'estime et de respect.

Une fois la course terminée, on se rend tous à l'hôtel. Après le massage, on quitte nos chambres pour dîner. Dans la salle à manger, nous avons une zone réservée, séparée des autres clients. Je m’assois avec les coureurs, près de Spezialetti, mon équipier. Aux autres tables, il y a les directeurs sportifs, les agents de presse, les masseurs, les mécanos et le reste du staff.

Il se passe un truc bizarre, le service est très lent et la nourriture est mauvaise. Habituellement, une grande attention est apportée à ce que nous mangeons, le repas du soir est important, parce qu'il nous permet de reprendre des calories et de courir au mieux le lendemain. C'est aussi l'un des moments où on se détend et où on est ensemble. Fatigués d'attendre et crevant de faim, Spezia et moi décidons de nous débrouiller seuls. Je me lève et je vais voir Franco Gini, l'un des directeurs sportifs, je lui demande les clefs de la voiture, on veut aller manger une pizza au village. Ce n'est pas vraiment la procédure standard, mais Gini y consent. Pendant qu'on traverse le hall, je remarque trois personnes qui ne font pas partie de l'équipe. Je n'ai pas le temps d'arriver à la sortie que l'un des trois m'arrête.

- Où vas-tu ? me demande-t-il d'un ton hargneux, en me tutoyant.

- Bouffer une pizza.

- Ça m'étonnerait.

Il prend une carte d'identification dans sa veste et me la montre :

-Nous sommes des NAS et toi, tu ne vas nulle part.

Je suis déconcerté, mais je donne l'illusion du calme.

- Qu'est-ce que tu as dans la main ?

- Les clefs de la voiture.

- On y va ensemble.

Ils nous emmènent dehors, Spezia et moi, nous font ouvrir la voiture, la perquisitionnent d'un bout à l'autre et ne trouvent rien. Puis ils veulent entrer dans nos chambres, les perquisitionnent également et ne trouvent rien non plus. L'un des deux me demande :

- Il n’y a rien dans les poches ?

- Il n'y a rien.

- Tu peux me faire voir ce que tu as dans tes poches ?

À cette époque-là, je ne savais rien des contrôles et des perquisitions. Ce n'est que des années plus tard que j'ai appris comment me comporter dans certaines situations, quoi faire ou ne pas faire. Je glisse les mains dans mes poches et j'en sors de l'argent liquide et mon portable. Le type prend mon portable.

- On prend ça.

Ils gardent tous les portables durant les trois heures suivantes.

Quand je redescends dans le hall, j'apprends que la même scène est en train de se dérouler dans chaque hôtel, pour chaque équipe, pour chaque coureur. Deux cents hommes de toute l'Italie ont été mobilisés parmi les NAS et la garde des Finances. On parle d'ampoules et de seringues jetées par les fenêtres des chambres d'hôtel. Quelqu'un raconte que le masseur de la Mercatone Uno, l'équipe de Pantani, a été accompagné par des carabiniers en civil dans le parc sous l'hôtel, pour aller ramasser les produits lancés par les fenêtres durant le raid.

C'est un siège au sens propre du terme.

On va se coucher très tard, en colère d'avoir subi une injustice démesurée. Pourquoi s'acharnent-ils sur nous ? L'histoire de l'athlétisme regorge de cas de positivité, mais on n'a jamais vu une mobilisation des forces de l'ordre à un marathon ou à une épreuve de saut en longueur ou de natation.

Le lendemain matin, la nouvelle fait fureur à la télé et dans les journaux. Soudés, on décide de ne pas courir l'étape en signe de protestation. On se retrouve dans un hôtel pour comprendre quelle stratégie adopter. On y respire un air combatif, l'envie de se serrer les coudes et de faire front ensemble. Le cyclisme est un sport solitaire, à la différence d'autres disciplines où on fait équipe. Tu t'entraînes seul, tu ne rencontres tes collègues que durant les courses, où tu sais que pour gagner, tu dois les battre tous, les deux cents. On n’est pas habitués à penser que nous sommes plus forts ensembles. Pourtant, en ce moment, on dirait que ça pourrait passer différemment. Nous sommes tous là, de grands noms comme Simoni, qui porte le maillot rose, Frigo qui est deuxième, Pantani, Ullrich, Cipollini, aux jeunes promesses comme Figueras et moi.

Nous discutons longuement, Pantani et Cipollini prennent la parole à plusieurs reprises, je suis d'accord sur la ligne d'action qui reflète l'état d'âme et les intentions du groupe dans son ensemble. Leur avis a un poids différent, ce sont des coureurs expérimentés, ce sont des champions. Ils ont le pouvoir de donner voix aux revendications de tous.

Quelques phrases résonnent sans cesse dans la salle :

- Ils ne peuvent pas nous traiter ainsi.

- On n'est pas des bêtes, on est des êtres humains.

-Ne perdons pas l'occasion de nous faire respecter.

Parfois, de petits groupes se créent. Quand Cipollini et Pantani parlent, tous se taisent pour les écouter. À la fin, la situation est claire : on ne court pas, on rentre chez nous. On décide qu'on se réunira de nouveau à Milan avec des avocats pour présenter des requêtes de protection claires et explicites.

Après presque trois heures, on fait une pause.

Au retour, Cipollini prend la parole :

- Les gars, pour aujourd'hui, l'étape est partie et on a annulé, mais demain, c'est mieux si on repart.

Un brouhaha se propage dans la salle, Cipollini est en train de renverser la vapeur, il a peut-être parlé avec son agent, peut-être avec les directeurs sportifs de l'équipe, peut-être avec les organisateurs du Giro. Et il a changé d'idée.

Je vois la colère enflammer le visage de Pantani. Marco est un introverti, un homme de peu de paroles et le coup dur de Madonna di Campiglio en 1999 l'a amené à se renfermer encore davantage. (...)

Quand il se rend compte que Cipollini est sur le point de changer son fusil d'épaule et qu'il veut convaincre tout le groupe, il entre dans une colère noire :

- Tu es dingue, on doit tous rentrer chez nous !

Il crie, hors de lui. Il ne veut pas plier l'échine, ne peut pas accepter un autre abus. Je suis d'accord avec lui, Pantani est une inspiration, le génie à l'état pur sur les pédales. J'éprouve le respect et l'admiration que l'on ressent devant quelqu'un qui a un don, un talent spécial, et en assume la totale responsabilité.

Mais c'est trop tard, la coalition s'est déjà scindée en deux. Simoni prend la parole et se range du côté de Cipollini. Pantani le regarde, l'amertume l'emporte sur la rage, il s'approche de lui et lui saisit un bras :

- Gibo, ne pense pas que tu es sur le point de gagner le Giro, pense au cyclisme. Au Tour de France 1998, je portais le maillot jaune, et pour l'affaire Festina, on s'est arrêtés au milieu de la route. J'ai été le premier à enlever mon numéro.

Simoni évite de le regarder et se libère de sa poigne :

- Marco, pour toi, c'est différent, toi, tu as déjà gagné un Giro et un Tour. Moi maintenant, j’ai ma chance.

Je ne sais pas où je trouve le courage. Dans le silence de l'instant, je prends la parole :

- Nous avons perdu une grande opportunité au Tour 1998, ne faisons pas la même erreur maintenant. C'est peut-être la dernière fois où on peut démontrer qu'on ne plaisante pas.

Pantani et Figueras sont avec moi, Cipollini tente de mettre tout le groupe de son côté. Et il y arrive, il y met une heure entière, mais il y arrive. Le lendemain, on court. Une fois la réunion terminée, Pantani fait ses bagages et rentre chez lui. Le lendemain matin, on monte tous en selle. Je me retire à la dix-huitième étape à cause d'une tendinite. Simoni gagne le Giro.

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Cette page a été mise en ligne le 04/04/2020