Actualité du dopage

Le Team Sky sous pression, le cyclisme britannique en danger


03/03/2017 - liberation.fr - Pierre Carrey

L'image du cyclisme britannique est abîmée et son financement public remis en question dans le cadre de l'affaire Wiggins et Team Sky. L'audition mercredi du docteur Freeman par une commission parlementaire n'a fait que renforcer les soupçons.

Plus de mille heures d'auditions, 34 témoins interrogés par l'agence antidopage du Royaume-Uni, une commission parlementaire en émoi, une investigation tous azimuts dans les médias et même un coup de main d'Interpol. Les enquêtes se poursuivent au sujet du dopage présumé dans le cyclisme britannique, autour de Bradley Wiggins, de son ex-employeur (l'équipe Sky) et de la fédération britannique (British Cycling). «L'intégrité du cyclisme britannique est ''en lambeaux''», écrivait le Times jeudi à la une de son cahier sports, au lendemain d'une déposition consternante du Dr Richard Freeman, médecin de Sky, devant la commission d'enquête parlementaire réunie à Londres (...).

Le Times, propriété de la famille Murdoch (tout comme la chaîne télé Sky, sponsor de l'équipe), reprend ainsi une citation d'un député membre de la commission, Damian Collins : «La crédibilité du Team Sky et de la fédération britannique de cyclisme est tombée en lambeaux. Ils se trouvent dans une position terrible.» Nicole Sapstead, cheffe de l'agence antidopage du Royaume Uni (UKAD), juge quant à elle le système de défense de Sky et de British Cycling «étrange».

Ordinateur volé en Grèce

L'audition du docteur Freeman n'a fait que conforter les soupçons de détournement de médicaments à des fins dopantes au sein de l'équipe entre 2011 et 2013. Le médecin du Team Sky a ainsi affirmé qu'il avait perdu le dossier médical de Bradley Wiggins, le principal coureur visé dans l'enquête, car il n'en existait qu'une seule copie, contenue dans un ordinateur portable qui lui aurait été dérobé lors de vacances en Grèce. Agacement du député Collins : «Comment pouvez-vous dire que la fédération britannique est la plus propre et la plus éthique au monde quand il n'y a pas de traces pour justifier ce que les médecins donnent aux coureurs ?»

Après les propos contradictoires et incohérents tenus par les responsables de Sky et British Cycling en novembre passé, c'est peu dire l'audition du Dr Freeman a stupéfié les parlementaires. Le praticien, venu du football, était présenté comme étranger à la tricherie lorsque le Team Sky l'a recruté en 2010, à la suite du Dr Geert Leinders, le Néerlandais suspendu à vie pour dopage du temps où il officiait dans une équipe précédente, Rabobank.

«Harcèlement» médiatique

En parallèle de l'enquête des députés et de l'agence antidopage (UKAD), plusieurs journalistes cherchent à obtenir des informations, alimentant le climat de tension autour de Sky. (...)

Selon nos sources, Wiggins se plaint depuis cet automne, auprès de proches, que des journalistes le «harcèlent» et lui «téléphonent en pleine nuit». Le coureur, qui a annoncé sa retraite en décembre, à 36 ans, a nié tout dopage fin septembre dans une émission de la BBC. Il n'a pas encore été convoqué par les députés britanniques.

Piratage et scoop

Les soupçons de dopage sont apparus mi-septembre avec le piratage des données médicales de plusieurs sportifs par un groupe de hackers anonymes, des données qui démontrent la prise par Wiggins de corticoïdes sous ordonnance avant des objectifs majeurs, entre 2011 et 2013. En octobre, le Daily Mail a ensuite révélé que le champion cycliste avait reçu un colis spécialement convoyé entre l'Angleterre et la France par un membre de la fédération britannique, avant le Tour de France 2011.

Le recoupement de ces informations peut laisser supposer une démarche dopante de Wiggins : les corticoïdes n'auraient ainsi pas été consommés pour «traiter des allergies», comme il l'a prétendu, mais pour augmenter ses performances, cette classe de médicaments permettant notamment de reculer le seuil de la fatigue et de la douleur chez les sportifs.

Mensonges et incohérences

Si l'intention de se doper n'a pu être étayée jusqu'à présent, les témoignages et dépositions des différentes personnes auditionnées ont laissé les enquêteurs perplexes : la fédération a d'abord nié un acheminement de médicaments vers la France, puis admis les faits. Sky a affirmé qu'il s'agissait de Fluimucil, un simple décongestionnant nasal, alors que ce produit ne nécessite aucun envoi express et s'achète dans toutes les pharmacies d'Europe.

La fédération britannique a également soutenu que son employé chargé de remettre le colis était en déplacement pour encadrer un stage de l'équipe nationale féminine, ce qui est faux. Enfin, Sky a affirmé que le produit n'avait pas été délivré discrètement à Wiggins à l'intérieur du bus de l'équipe, au terme d'une étape du Critérium du Dauphiné, car le véhicule était censé avoir quitté les lieux : une vidéo prouve au contraire qu'il était toujours stationné à l'heure présumée de la remise des corticoïdes.

Pas de sanction pour dopage ?

Ce détournement présumé de corticoïdes ne devrait pas faire l'objet de sanctions pour dopage, étant donné que sa consommation est couverte par une ordonnance, suivant une réglementation très floue et permissive de l'Agence mondiale antidopage. Cependant, la fédération cycliste britannique et le Team Sky subissent l'opprobre médiatique et des menaces financières, dans un pays qui se découvrait jusqu'à présent une passion sans faille pour le cyclisme, avec des coureurs dominateurs sur piste depuis 2008 et sur le Tour de France depuis 2012 (...).

L'agence gouvernementale qui finance les fédérations sportives est à ce point dépitée par les contradictions et mensonges du clan Wiggins qu'elle envisage de revoir sa prochaine convention avec British Cycling, demandant des «conditions», comme le fait de «prendre des mesures» pour «restaurer la crédibilité du cyclisme». Liz Nicholl, directrice exécutive de UK Sports, juge en effet l'affaire Sky et Wiggins «choquante» et «inacceptable».

(...)

Réduction des subventions ?

(...) Le Team Sky, dont le budget de 30 millions d'euros est le plus conséquent du peloton, doit une partie de sa richesse à une mutualisation des moyens avec la fédération britannique de cyclisme. Les fonds publics sont également nécessaires pour organiser des épreuves de prestige dans le pays, comme un troisième grand départ du Tour de France et un championnat du monde sur route, des événements pour lesquels le comté du Yorkshire s'est porté candidat.

Une source proche de l'équipe Sky indique à Libération que «la seule façon d'apaiser l'opinion serait de se débarrasser de (Dave) Brailsford ou de (Richard) Freeman», respectivement manager et médecin toujours en poste. Mais d'autres sources estiment qu'un départ de Brailsford, ancien directeur de la fédération britannique puis fondateur de l'équipe en 2010, pourrait entraîner un retrait du sponsor principal.

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Cette page a été mise en ligne le 04/03/2017