Actualité du dopage

La triche toujours en roue libre


08/03/2015 - liberation.fr - Pierre Carrey

Le dopage dans le cyclisme est au coeur d'un rapport commandé par l'UCI début 2014.

Une lumière crue sur le dopage et la corruption dans le cyclisme actuel : après une année d'enquête, la commission indépendante chargée d'analyser les dérives de ce sport vient de boucler son rapport, auquel Libération a eu accès. «Il y aura des choses dérangeantes» au fil des 224 pages, prévient Brian Cookson (...). Dès son élection en septembre 2013, le Britannique s'était engagé à fouiller tant le passé que le présent. La commission indépendante de réforme du cyclisme a auditionné 174 témoins, dont Chris Froome, le vainqueur du Tour de France 2013, ainsi que des experts, y compris ceux qui étaient jusqu'ici méprisés à l'UCI. Hormis ceux déjà suspendus, aucun athlète n'a avoué avoir triché. Mais chacun apporte, sous couvert d'anonymat, sa part de révélations.

Les «doping doctors» toujours dans le paysage

Suspendu à vie, le médecin préféré de Lance Armstrong continue de sévir. Michele Ferrari aurait pour complice un coureur amateur italien, employé dans une pharmacie. A l'un, les ordonnances, à l'autre, la livraison des produits. Ce réseau aurait alimenté au moins jusqu'en 2013 «des coureurs professionnels et quatre équipes pro». Autre «doping doctor» épinglé, Eufemiano Fuentes, ce gynécologue qui a manipulé le sang de 200 sportifs, dont 60 cyclistes. Ses patients notoires ont été exclus du Tour de France 2006 quand éclata l'affaire Puerto.

Pourtant banni jusqu'en 2017, le docteur Fuentes est «apparemment toujours en train de traiter des athlètes», fustige le rapport, qui le localise en Amérique du Sud. En Argentine, où certaines équipes débutent leur saison ? Ou en Colombie, d'où proviennent les meilleurs grimpeurs du moment ?

De nouveaux produits circulent

Au fait, combien de cyclistes se dopent, de nos jours ? Entre 20% et 90%, selon les larges estimations recueillies par la commission. Que prennent-ils ? De l'Aicar, la molécule qui augmente la performance (hausse de la masse musculaire à poids constant) sans avoir besoin de s'entraîner. Son usage est prohibé, contrairement à d'autres médicaments en vogue : le tramadol (un antidouleur, qui a pour effet secondaire de provoquer des chutes en compétition), voire le gaz xénon (oxygénant sanguin).

Dans un méli-mélo de substances (notamment les oméga 3, franchement inoffensifs), le rapport mentionne la lévothyroxine, censée soigner l'hypothyroïdie. «Ce produit a du succès parce qu'il fait beaucoup maigrir», confirme un cycliste de premier plan à Libération.

Le passeport biologique détourné

C'était l'arme fatale de la lutte antidopage lors son lancement, en 2008. Le passeport biologique, qui traque les variations physiologiques suspectes, a, grâce à son efficacité, «donné aux coureurs propres la chance de gagner des courses». Revers de médaille, il est «ironiquement [...] utilisé par des coureurs pour échapper à la détection». Voici donc les microdoses d'EPO et de transfusion sanguine, décelables sur une courte fenêtre de temps et donc administrées la nuit, pendant que les inspecteurs roupillent : le rapport préconise d'instaurer des contrôles nocturnes.

Le festival des corticos

«Les récentes grandes victoires d'une équipe UCI World Tour étaient le résultat [...] d'un usage de corticoïdes destiné à perdre du poids», s'est épanché un médecin devant la commission. Où il est encore question de coureurs trop maigres... Prisés dans les années 80, les corticoïdes sont encore «largement utilisés» : un coureur invoque une allergie et demande une autorisation d'usage thérapeutique (AUT), qui couvre un éventuel contrôle positif. De nombreux repentis ont raconté la manip. Mais les corticoïdes restent libéralisés de fait par l'Agence mondiale antidopage, sous la pression des scientifiques anglo-saxons.

Des dirigeants sans scrupule

La commission s'est aussi penchée sur la gouvernance de l'UCI. «Il n'y a aucune trace de corruption», jubile l'ex-président Hein Verbruggen, qui a manifestement lu les conclusions. Le Néerlandais est blanchi au sens légal du terme. Taxé «seulement» de laxisme face au dopage, de pressions et combines diverses. Révélation : pour son ami Armstrong, il a «coordonné le brouillon et la publication» d'une lettre ouverte dans le Monde, en 2004. Après son retrait en 2005, il a continué de tirer les ficelles. Du reste, son successeur, Pat McQuaid, avait ses propres conflits d'intérêts, comme lorsqu'il a envoyé le contrat confidentiel d'un coureur à un proche (son fils, agent de profession ?). Commanditaire du rapport de la commission indépendante, Brian Cookson a pris la tête de l'Union cycliste internationale sur un programme de «changement». Pourtant, le rapport étrille Igor Makarov, magnat russe qui a financé la campagne de Brian Cookson - trop peu de détails affleurent sur le sujet. La gouvernance de l'UCI est à l'image du dopage dans le cyclisme : nets progrès mais peut beaucoup mieux faire.


Lire l'article en entier



Sur le même sujet


Cette page a été mise en ligne le 09/03/2015