Dossier dopage

La lente libéralisation des bronchodilatateurs


11/11/2022 - cyclisme-dopage.com - Marc Kluszczynski

Avec un regard sur les bronchodilatateurs sur les vingt dernières années, on peut facilement se faire une idée sur la méthode de travail de l’agence mondiale antidopage, qui promet sans agir, qui n’écoute personne, même pas les spécialistes d’agences nationales. Le comportement de ses responsables enflés d’orgueil politique en devient même énervant.

L’histoire commence en 1994 quand Miguel Indurain est contrôlé positif au salbutamol au Tour de l’Oise. Son équipe Banesto en avait alors déclaré l’usage bien que le produit ne soit pas interdit par l’UCI, Indurain étant atteint de rhinites allergiques. Il ne sera bien entendu pas suspendu.

La première liste des produits interdits de l’AMA en 2004 précisait que l’usage du Salbutamol nécessitait l’obtention d’une AUT (autorisation d’usage à des fins thérapeutiques) à condition que la concentration urinaire ne dépasse pas 1000 nanogrammes par millilitre d’urine, suivant en cela la liste du CIO et de l’UCI de 2003. Au-delà de ce seuil, le sportif devait prouver un usage thérapeutique par une étude de pharmacocinétique. Le formotérol, le salmétérol et la terbutaline étaient également dans ce cas alors que les autres bronchodilatateurs restaient interdits. Premier signe d’une libéralisation qui s’étendra au fil des années, l’AMA acceptait déjà une tolérance à 1200 ng/ml. Ces 1000 ng/ml correspondent à un usage thérapeutique de 16 bouffées par 24 H soit 1600 µg/j.

La libéralisation des bronchodilatateurs s’enclenche à partir de 2005 quand l’AUT devient une « AUT abrégée » pour faciliter le travail des commissions d’AUT surchargées par les demandes. Rien ne change en 2006, 2007 et 2008 mais, en 2009, l’AMA choisit la fuite en avant et bannit l’AUT abrégée en raison des excès constatés.

En 2010, un nouveau pas est franchi dans la libéralisation. Le salbutamol et le salmétérol ne nécessitent plus qu’une déclaration d’usage (DU). L’AUT est abandonnée ; le seuil de 1000 ng/ml est conservé et l’AMA parle pour la 1ère fois de dose thérapeutique maximum de 16 bouffées par jour soit 1600 µg/j par voie inhalée.

En 2011, la DU est supprimée pour le salbutamol et le salmétérol, et en 2012, le formotérol les rejoint comme produit autorisé dans la limite d’un taux maximum. Ils sont respectivement de 1600, 200 et 54 µg/j. L’AMA déclarera même accepter des AUT rétroactives en cas de dépassement !

Mais on observe déjà en 2012 des contradictions et des anomalies dans le discours de l’AMA, ce qui entretient la confusion. Alors que le Vidal (dictionnaire des médicaments en France) évoque une dose thérapeutique maximale pour le salbutamol de 1500 µg/j soit 15 bouffées, l’AMA en reste à 16. Pour le formotérol, l’AMA tolère 36 µg/j alors que la dose maxi en thérapeutique est de 48. L’agence ne cite pas de chiffre pour le salmétérol (il faudra attendre 2013 et les 200 µg/j). Cette année-là, la dose maxi autorisée de formotérol est relevée à 54 µg/j.

En 2014, alors que l’AMA promet depuis un an des études complémentaires (c’est devenu sa déclaration récurrente chaque année) sur ces produits, elle fait apparaître la notion de dose inhalée et dose délivrée dans l’organisme (c’est-à-dire réellement assimilée par les poumons), ce qui explique pourquoi elle autorise le salbutamol et le formotérol à des doses supérieures aux doses thérapeutiques. Mais pourquoi alors pas le salmétérol ?

Cette législation confuse et opaque n’évoluera pas jusqu’en 2016. On n’entendra plus parler des études complémentaires promises depuis 4 ans. Jusqu’au contrôle positif au salbutamol du fondeur norvégien Martin Sundby en 2016 qui ne sera suspendu que deux mois en été ! Dès 2014, Sundby utilisait cette substance en aérosol pneumatique ou ultra-sonique, comme les autres fondeurs norvégiens, y-compris les juniors non atteints d’asthme ou de BIE (bronchoconstriction induite par l’exercice). En 2017, l’AMA sera obligée d’instaurer une précision sur le salbutamol. S’il reste autorisé jusqu’à 1600 µg/j, elle précise le seuil de 800µg par 12 H, histoire de ne pas prendre les 16 bouffées d’un coup ou d’utiliser une autre voie inhalée comme Sundby.

En 2018, 2019, 2020 et 2021, rien n’évolue malgré le cas positif de Froome en 2017 à l’issue de la 18ème étape de la Vuelta. Ce 17 septembre, le coureur britannique avait repris la moitié du temps perdu la veille sur Vincenzo Nibali. Aidé par ses avocats et quelques scientifiques, Froome réussit à démontrer que le seuil de 1000 ng/ml n’est pas fiable. On avait détecté chez Froome 2000 ng/ml, qui furent ramenés à 1429 ng/ml après avoir pris en compte la déshydratation du cycliste et sa densité urinaire augmentée. L’étude de l’AMA n’avait été réalisée que sur huit nageurs et ne reflète pas les conditions d’un grand Tour cycliste. Pourtant au début des années 2000, une étude suisse du Pr Martial Saugy (1), ex-directeur du laboratoire de Lausanne, avait montré qu’à dose thérapeutique le dosage des salbutamols libre et conjugué pouvait dépasser la limite de l’AMA. L’AMA n’en tiendra pas compte. L’UCI lâchera le morceau et Froome ne sera pas suspendu.

On ne saura jamais si Froome a dépassé ou non le nombre limite de 16 bouffées sur les conseils du fameux Dr Richard Freeman ; ce nombre ne vaut désormais plus rien, pas plus que la limite des 1000 ng/ml. En tout cas, il n’avait pas demandé d’AUT, pourtant nécessaire en cas de dépassement des limites fixées par l’AMA pour cette substance qui, rappelons-le, est d’usage libre en deçà d’un taux urinaire arbitraire que l’AMA n’a même pas modifié depuis l’affaire Froome.

En 2021, l’AMA libéralise un quatrième bronchodilatateur, le vilantérol à la dose maxi de 25 µg/j.

En 2022, la dose de salbutamol passe de 800 µg/12 H à 600 µg pour 8 H. Rien ne changera pour 2023.

Depuis Froome, il n’y a plus eu de contrôle positif au salbutamol alors même que Phil Gaimon, ex-pro, déclarait en 2016 qu’un tiers des cyclistes du World Tour l’utilisait avec ou sans AUT ! Froome, avec la puissance de l’équipe Sky, a pu s’en tirer et mettre l’AMA dans les cordes. Mais que dire des italiens Alessandro Petacchi qui en 2007 fut suspendu 10 mois avec 1352 ng/ml et Diego Ulissi en 2014, 9 mois avec 1920 ng/ml ?


Marc Kluszczynski est pharmacien
Il est titulaire du diplôme universitaire de dopage de l'université de Montpellier (2006)
Il est responsable de la rubrique "Front du dopage" du magazine Sport & Vie et collabore à cyclisme-dopage.com


(1) High amount of salbutamol: a case report, Schweizer, Mangin, Saugy. 2003


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Cette page a été mise en ligne le 11/11/2022