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Actualité du dopage |
Les dossiers piratés de l'Agence mondiale antidopage pointent la pratique des autorisations à usage thérapeutique : une sorte de tricherie sur ordonnance.
Depuis septembre, les Fancy Bears, un groupe de hackers, ont publié les données piratées de l'Agence mondiale antidopage (AMA) concernant 68 sportifs issus de 16 pays et représentant 20 disciplines. Des superstars du tennis comme les soeurs Williams et Rafael Nadal, du cyclisme comme Chris Froome, et des champions moins connus, dont deux Français, le coureur Dimitri Bascou et l'épéiste Gauthier Grumier. Tous ont en commun d'avoir participé aux JO de Rio (...e), et d'avoir, lors de ces Jeux ou plus tôt dans leur carrière, bénéficié au moins une fois d'une «autorisation à usage thérapeutique» (AUT), dérogation permettant à un athlète malade de suivre un traitement comportant des substances dopantes. Asthme, problèmes articulaires, troubles du comportement, les cas exhumés par les Fancy Bears sont variés : d'une allergie ponctuelle à la cacahuète pour Grumier en 2009 à l'hyperactivité que la gymnaste Simone Biles, quadruple médaillée d'or à Rio, traîne depuis l'enfance.
Les sportifs concernés se défendent, dénonçant une violation du secret médical et plaidant leur bonne foi. Interrogé, Nadal résume le positionnement commun : «Quand on vous accorde la permission de prendre un produit pour des raisons thérapeutiques, vous ne prenez pas quelque chose d'interdit.» Les Fancy Bears, dont les victimes soupçonnent qu'ils roulent pour Moscou - le Kremlin souhaiterait selon cette thèse se venger du scandale de dopage d'Etat qui a fait interdire de JO de multiples Russes - parlent plutôt d'un permis de se doper. Où s'achève le traitement médical, où commence le dopage ? Libération a interrogé Jean-Jacques Menuet, médecin du sport spécialisé dans le cyclisme, collaborateur de l'équipe Fortuneo-Vital Concept.
Est-ce une bonne chose que des données médicales fuitent sur Internet ?
La publication des données sur le dopage est une atteinte au secret médical, mais c'est ce fameux secret qui freine la bonne compréhension du sujet. Il est temps d'alerter le grand public sur les cas de détournement de corticoïdes à des fins dopantes. A l'origine, ils ont été conçus pour soigner : des otites, des sinusites, des allergies. Mais ils présentent aussi «des avantages» pour la performance : ils diminuent l'état de la douleur, stimulent le système nerveux, rendent le sujet plus réactif et font baisser la masse graisseuse...
Concrètement, est-ce qu'un sportif malade sera plus performant en étant sous traitement (autorisé) de corticoïdes ?
Cette classe de médicaments se révèle très efficace pour diminuer les symptômes. Par exemple, en pleine période d'allergie (mai, juin, juillet) on sait que les corticoïdes par voie générale - en comprimés ou par voie injectable - marchent très bien. Sauf que pour ma part, je n'en prescris pas. Disons que si un sportif prend part à une compétition après avoir reçu son traitement, il pourrait avoir une avance : au minimum, il sera moins essoufflé. Au maximum, il sera plus fort.
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Un athlète souffrant d'une grosse infection ne devrait pas faire de sport ?
Si un individu a une pathologie qui se soigne avec des corticoïdes, c'est qu'il a de la fièvre. Or, le sport augmente encore la température et fait ainsi courir un risque de myocardite [inflammation musculaire du coeur, ndlr].
Les AUT divulguées peuvent être utilisées sur une année complète. Dans le cas de Chris Froome par exemple...
Un traitement sur une année dépasse l'entendement. Je ne connais pas le dossier de Froome en détail mais, en clair, un sportif qui a des allergies au point d'utiliser des produits comme de la Prednisolone à l'année devrait être en arrêt de travail. La difficulté avec les ordonnances de corticoïdes, c'est qu'on ne sait pas si l'athlète est réellement allergique ou bien s'il cherche à se doper.
L'AUT est-elle est un écran de fumée ?
Certaines molécules posent un problème. La Triamcinolone est à la fois contenue dans un médicament «plus léger» à usage local (le Nasacort, un spray nasal pour les allergies) et dans le Kenacort, «plus lourd» qui s'injecte. Donc, on ne sait pas si une AUT qui mentionne l'usage de Triamcinolone concerne un traitement léger ou lourd. La mention de la posologie donne quand même une idée... Mais ceux qui trichent en sont désormais aux microdoses : ils se font prescrire un médicament banal, utilisent sa version lourde, mais en petite quantité.
Comment éviter ce détournement ?
Dans un premier temps et à court terme, en renforçant le processus d'obtention des AUT. La Fédération française de cyclisme est en avance sur le sujet : tout cycliste qui se fait prescrire une infiltration de corticoïdes par son médecin doit en référer au médecin fédéral, qui évalue l'opportunité du traitement grâce à des examens, des échographies... Ainsi, on vérifie que le traitement est bien prescrit à des fins thérapeutiques et non pas dopantes. Par ailleurs, les équipes membres du Mouvement pour un cyclisme crédible (...) vont plus loin que le règlement de l'Agence mondiale antidopage : tout coureur ayant eu recours à des corticoïdes est mis au repos pendant la durée de la compétition. C'est le bon sens médical : un malade ne peut pas faire de sport. Et c'est aussi un argument éthique : on ne joue pas avec les règlements, on met fin aux ambiguïtés.
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Vous exercez comme médecin du sport depuis vingt-cinq ans. Que prescrivez-vous à vos patients qui pourraient avoir besoin de corticoïdes ?
D'abord je les mets au repos. Ensuite je prescris des médicaments non dopants, comme des antihistaminiques. Cela fait une vingtaine d'années que je n'ai pas prescrit de corticoïdes par voie générale comme le Kenacort. Pour moi, c'est vraiment une bombe, qui envahit le corps pour un bénéfice que l'on peut obtenir avec des molécules moins agressives.
Et les corticoïdes par voie locale, comme les sprays pour les allergies ?
J'en prescris à une seule condition : que la molécule se trouve uniquement dans les médicaments par voie locale. Ainsi, il ne peut pas y avoir d'ambiguïté avec une possible utilisation de produit plus lourd, de type injectable.
Quels sont les risques des corticoïdes pour la santé, à long terme ?
Diminution de la masse musculaire, du taux de protéines dans le sang, des moyens des défenses immunitaires et décalcification du squelette. Si on peut se passer des corticoïdes, autant les éviter.
Cette page a été mise en ligne le 25/09/2016