Dossier dopage

Cyclisme : deux nouvelles études tempèrent l’utilité des cétones, le « carburant » des coureurs


29/08/2020 - lemonde.fr - Clément Guillou

Le mystère demeure sur l’efficacité des boissons riches en corps cétoniques, très en vogue dans le peloton. Deux études belges suggèrent une augmentation faible ou nulle des performances, comme le soutient l’Agence mondiale antidopage.

Fumisterie ou boisson miracle ? Les cétones, les boissons stars du Tour de France 2019, suscitent toujours l’interrogation un an plus tard. Les trois meilleures équipes du monde en sont des consommatrices patentées, dont celles des favoris Primoz Roglic (Jumbo-Visma) et Egan Bernal (Ineos). En juillet, une enquête du Mail on Sunday a mis en évidence leur utilisation par les sportifs de Sa Majesté en amont des Jeux olympiques de Londres 2012, dans le cadre d’un programme secret mené par UK Sport, organisation faîtière du sport britannique.

L’Agence mondiale antidopage (AMA) continue de ne pas s’inquiéter de ces boissons riches en corps cétoniques, assimilées à de simples compléments alimentaires par leurs utilisateurs. Certains médecins d’équipe se refusent à les dispenser aux coureurs, en l’absence de certitudes sur leurs conséquences à long terme sur la santé.

En 2019, pourtant, une étude avait affolé le peloton, ainsi que les déclarations de l’un des auteurs. Peter Hespel, physiologiste à l’université de Louvain (Belgique) et nutritionniste de l’équipe Deceuninck-Quick Step, y voyait « probablement une pièce du puzzle » dans le succès éclatant des coureurs de l’équipe belge.

Un chiffre de l’étude avait été largement repris et surinterprété : 15 %, soit l’écart de performance entre deux groupes de cyclistes amateurs en situation de surentraînement, l’un alimenté en cétones, l’autre non. Cette étude suggérait que les cétones pouvaient être efficaces dans la récupération après une phase d’entraînement intense et « protégeait du risque de surentraînement », expliquait Peter Hespel.

Aucune différence

Un an plus tard, en mai 2020, les chercheurs de l’université de Louvain ont publié les fruits de deux nouvelles études sur le rôle des cétones, cette fois sur les performances pendant l’effort. Les résultats sont moins concluants que ceux de la première étude et laissent penser que ces compléments alimentaires sont plus efficaces pour récupérer des efforts que pour améliorer les performances.

Contrairement à l’étude parue en 2019, qui portait sur des cyclistes néophytes, celles parues au printemps et à l’automne concernent des cyclistes accomplis, de niveau national belge. (...)

Dans les deux études, les chercheurs ont fait boire des corps cétoniques à un groupe de cyclistes avant et pendant un effort de trois heures, à une intensité variant entre 60 % et 90 % de leurs capacités (seuil lactique). Le groupe a ensuite produit un effort intense sur quinze minutes (contre-la-montre), puis un sprint sur une minute. Sur la première étude, affirme le professeur Chiel Poffé, « nous n’avons observé aucune différence sur la performance entre le groupe ayant pris des corps cétoniques et le groupe témoin. Nous n’avons pas non plus constaté d’économie sur la consommation de glucides (...). »

En revanche, les chercheurs ont constaté deux différences notables : chez les cyclistes prenant des cétones, le PH sanguin était en baisse – ce qui peut fatiguer l’organisme plus rapidement – et la sensation de faim après l’effort était presque absente – un avantage pour les sportifs souhaitant perdre du poids.

« Beaucoup d’inconnues scientifiques »

Dans une deuxième étude, l’équipe de Peter Hespel et Chiel Poffé a associé la prise de cétones et de bicarbonate de sodium. Ils en ont conclu que le bicarbonate « débloquait l’action ergogénique des cétones durant l’exercice ». Cette association « a produit une augmentation de la performance » de l’ordre de 5 %, par rapport au groupe témoin, dans le contre-la-montre en fin d’effort. « Cela fonctionne si l’on consomme les corps cétoniques dans la première partie de la course, et non durant la phase de haute intensité en fin de course », précise Chiel Poffé.

Cette amélioration de la performance mesurée à 5 %, sur un échantillon de neuf coureurs, est toutefois peu significative. « Il reste beaucoup d’inconnues scientifiques sur les corps cétoniques », poursuit Chiel Poffé.

Il faudrait, pour avoir davantage de certitudes, pouvoir mener des expériences sur des cyclistes de haut niveau, en période d’entraînement ou durant une course par étapes. Mais, bien que l’université de Louvain travaille en proche collaboration avec l’équipe Deceuninck-Quick Step, « on n’a jamais fait d’étude sur une course et il est difficile de les faire venir dans un laboratoire », déplore le chercheur. « On en a donné à des cyclistes de haut niveau, mais ce n’est pas de la science. Certains y ont trouvé un bénéfice, d’autres non »

De quoi maintenir le halo de mystère qui entoure les cétones, l’un des nouveaux fantasmes du peloton toujours baba devant la force collective de certaines équipes.


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Cette page a été mise en ligne le 19/09/2020