Brève

Éric Boyer sur la lutte contre le dopage dans le cyclisme : « Tout le monde a baissé les bras »


02/03/2024 - leparisien.fr - Christophe Bérard

L'ancien manager de l'équipe Cofidis estime que les coureurs, qui ont fait part ces dernières années de leurs doutes sur le retour d'un cyclisme à deux vitesses, ne sont pas entendus.

Ancien vainqueur de trois étapes du Giro, Éric Boyer a surtout été le manager de l'équipe Cofidis pendant sept ans (2005-2012). Investi dans la lutte contre le dopage, ses positions lui ont valu quelques inimitiés dans le milieu cycliste, quitté prématurément à son goût. Invité à porter son regard sur la propreté ou non de son sport en 2024, Éric Boyer a accepté cet entretien. Lors du rendez-vous, il avait pris soin de venir avec de nombreuses notes. « Les messages passent mieux quand ils sont précis », explique-t-il.

Comment jugez-vous le cyclisme aujourd'hui ?

ERIC BOYER. Le « tous dopés » est faux. Comme le « tous propres ». En 2024, le cyclisme reste un sport qui a toujours souffert du dopage et il n'y a aucune raison qu'il ait disparu. Après l'affaire Festina en 1998, les Français ont vraiment pris les bonnes mesures. Et les services médicaux dans les équipes ont alors servi à protéger les coureurs et non plus à la médecine de performance. Hélas, à l'étranger, très peu ont suivi cette prise de conscience. Et on s'est pris plein d'affaires de dopage dans la figure.

Peut-on schématiser avec un cyclisme français propre mais qui ne gagne plus ?

Non. Les Pogacar, Vingegaard, Evenepoel ou Van Aert ont du talent par exemple. Mais les Français en ont autant. Je constate qu'on a un problème avec les entraîneurs de coureurs qui n'ont pas un passé de cyclistes. Et ils étouffent les directeurs sportifs. Eux-mêmes sont souvent les petits soldats des managers à la tête de leurs équipes depuis plus de trente ans. Et ces derniers sont peut-être épuisés Je vois très peu de vrais stratèges et meneurs d'hommes chez les directeurs sportifs.

Avez-vous des doutes sur certains coureurs ?

Je fais le simple constat qu'il y a vingt ans, des coureurs gagnaient chargés de produits illicites. Aujourd'hui, je constate des niveaux supérieurs à ces mecs dopés. Je sais qu'on va me répondre que les vélos et les méthodes d'entraînement sont meilleurs. Mais rappelons que sur Armstrong, l'UCI n'a rien trouvé pendant douze ans. En six mois, l'Agence américaine antidopage avait déniché la faille. Quand on veut chercher, on trouve.

Avez-vous des exemples concrets ?

Arnaud Démare a fait part de ses doutes dans un livre. Comme Thibaut Pinot et Romain Bardet. Ces trois gars respirent l'honnêteté. Et ils ont quand même gagné des courses. Qu'on me fasse passer pour un vieux con, tant pis, mais ces trois-là ont été des lanceurs d'alerte. Que s'est-il passé ? Ils se sont fait allumer sur les réseaux sociaux et aucun dirigeant n'est allé les voir pour dire : « Parlez-nous en off de vos suspicions. » Il ne faudra pas pleurer après pour dire : On ne savait pas.

Se cache-t-on la réalité ?

Je me souviens de certains grands départs où on faisait signer des chartes antidopage. Avec un discours des patrons du Tour sur la responsabilité morale des coureurs. C'est fini. Tout le monde a baissé les bras sur le dopage. On se cache. Si un journaliste vous interroge, surtout il ne faut rien dire. Cela me rappelle les années précédant l'affaire Festina. Je ne le souhaite pas mais si un nouveau scandale éclatait, je ne tomberais pas de l'armoire.

Quand le patron de Jumbo-Visma explique lors du dernier Tour que l'équipe de Pinot ne gagne pas car on y boit des bières

(Il coupe) Cela ne me fait pas rire. Dire on gagne parce qu'on est plus pros que vous, quel mépris. Ça rappelle Armstrong qui disait que les Français ne bossaient pas assez. Je vous garantis que nos coureurs, au contraire, n'ont pas à rougir de ce qu'ils font à l'entraînement. Le problème, c'est qu'ils n'osent pas assez car ils ont peur des réactions sur les réseaux sociaux. Et c'est complètement con. (...)

Les Français et leur MPCC (Mouvement pour un cyclisme crédible) sont-ils plus moraux ?

J'étais là quand on l'a créé en 2007 et tous les coureurs signaient un engagement très précis sur ce qu'ils prenaient comme produits. C'était très pointu. Regardez aujourd'hui. (Il ouvre son téléphone) Arkéa-B&B Hôtels, sur 30 mecs, 12 ont signé. Cofidis ? 11. Décathlon-AG2R ? 18. EF Education et son manager Jonathan Vaughters, si intégriste sur le sujet ? 3 mecs. Total-DirectEnergies ? 12. Je note que Groupama-FDJ est à 22 signataires. Mais cela montre que les managers ont baissé les bras.

Mettriez-vous votre main à couper que tous les derniers vainqueurs du Tour sont irréprochables ?

(Long silence) Ne jamais mettre sa main sur un coureur ! Dans ma carrière, le seul sur qui je n'avais aucun doute, c'est Greg LeMond. Ce qui me gêne, c'est que j'ai vu des vainqueurs arriver en se bavant dessus tellement ils étaient épuisés. Là, quand je vois les trois Visma (Vingegaard, Roglic et Kuss) finir une grosse étape de la Vuelta à la limite de faire des sauts de cabris, il y a quelque chose de gênant.

Y a-t-il trop de médicamentation dans le cyclisme ?

Oui. Il y a la culture de prendre systématiquement un truc qui n'est pas interdit pour moins souffrir : Doliprane, caféine, etc. Ce sport fait tellement mal, humainement, on veut réduire la douleur. Mais aujourd'hui, les mecs en prennent tous les jours comme s'ils mangeaient des M&M's. Certes, un gars comme Guillaume Martin, qui s'exprime bien, n'a pas peur du sujet et dit qu'il n'agit pas ainsi. Mais ils sont peu comme lui.

Peut-on gagner le Tour sans se doper ?

Question compliquée. Si personne ne se dope, je pourrais répondre oui. Mais j'ai bien dit « si »

(...)


Lire l'article en entier


Notre post-scriptum

Eric Boyer mentionne le chiffre de 18 coureurs Décathlon-AG2R adhérents individuels au MPCC. Ils sont 27 en mars 2024. Seuls font défaut Franck Bonnamour, Sam Bennett et Alex Baudin. Côté encadrants, ils sont 21 sur 76. Pour Cofidis, ils sont 13 et non pas 11.


Cette page a été mise en ligne le 04/04/2024