Brève

« Si ça roule plus vite, ça ne veut pas dire forcément dopage »


11/10/2021 - ouest-france.fr - Gaspard Bremond

La semaine dernière, Romain Bardet s’est étonné de la vitesse à laquelle les meilleurs coureurs du monde terminaient leur course, en Italie. « C’est du MotoGP ? », a-t-il demandé sur Twitter. Petite secousse dans le peloton. Une semaine après, Ouest-France a demandé à des coureurs français s’ils partageaient ces interrogations.

C’est un tweet qui a beaucoup fait parler dans un milieu où l’on ne parle pas vraiment. (...) « Quand j’ai vu le tweet de Romain, j’ai de suite dit à ma femme « oh la vache, il vient d’envoyer un sacré tweet Romain ! »», rigole par exemple le Morbihannais Warren Barguil, maillot à pois du Tour de France 2017, double vainqueur d’étape cet été-là.

Le tweet en question a donc été signé Romain Bardet, la semaine dernière, après le Tour d’Émilie (...). Le deuxième du Tour de France 2016 écrivait : « Quand je vois ces images du Tour d’Emilie, une de mes courses préférées, je n’ai pas l’impression d’avoir monté le même versant de San Luca ces années-là (pour la faire simple 2 bornes à 10 %), c’était du moto GP cette année ? », écrivait l’Auvergnat sur le réseau social. Très vite, presque tout le peloton français en a eu connaissance. Et tous ont eu un avis sur la question.

Quand je vois ces images du Tour d’Emilie, une de mes courses préférées, j’ai pas l’impression d’avoir monté le même versant de San Luca ces années là (pour la faire simple 2 bornes à 10%), c’était du moto GP cette année ? ???? https://t.co/9fSouNc4T2

— Romain Bardet (@romainbardet) October 2, 2021

Une semaine après, Ouest-France a souhaité questionner différents acteurs du peloton afin de savoir si eux aussi avaient le même sentiment que le Brivadois désormais sous les couleurs de l’équipe DSM. Ce discours du « toujours plus vite » est en effet un refrain que l’on entend depuis des années sur les courses, mais est-ce que cela a encore franchi un cran, cette saison ? David Gaudu, Finistérien de l’équipe Groupama-FDJ, pense que oui. Il nous l’a dit juste avant le Tour de Lombardie. « Depuis le début de saison, je n’ai jamais sorti autant de Watts (la puissance) que cette année. Au final, pour toutes les courses, pour espérer jouer devant, ne serait-ce que pour être dans le top 10, il faut battre ses records tous les jours sur toutes les arrivées un peu difficiles. C’est une année où ça roule vraiment très très vite, où tout le monde roule plus vite On a des équipiers qui sont aussi forts que certains leaders, donc ça augmente aussi le niveau, et tout le monde doit l’augmenter. Mais c’est clair que ça roule beaucoup plus vite qu’avant »

Le deuxième Tour de France le plus rapide de l’histoire

Que disent les chiffres ? Régulièrement, oui, des records d’ascension tombent, quand d’autres restent encore accrochés à des vilaines années. Mais globalement, oui, cela roule très vite ces temps-ci. Factuellement, par exemple, le Tour de France 2021, remporté par Tadej Pogacar, s’est parcouru à une vitesse moyenne de 41,165 km/h. Dans l’histoire, ce Tour 2021 fut le deuxième plus rapide, après celui de 2005 (édition non attribuée après le déclassement de Lance Armstrong) (...).

Guillaume Martin a justement fini meilleur français de cette Grande Boucle 2021. Pour lui, non, les vitesses ne sont pas devenues folles. « Je serais beaucoup plus mesuré que Romain. J’ai regardé la course dont il parlait puisque je l’ai faite, et je me suis aperçu que ça avait monté moins vite que lors de certaines éditions. Certes, sur les images, on a le sentiment que ça fuse, mais c’était sur un replat. La partie raide était passée. » Le Normand de Cofidis remarque que « ce n’est pas la première année où l’on entend des discours sur la vitesse. J’ai l’impression que c’est une vieille rengaine, tous les ans on dit que ça roule plus vite qu’avant, on dit qu’on finit les saisons plus fatiguées, que c’est la course la plus usante, etc. Il faut prendre de la distance vis-à-vis de tout ça. »

Pro depuis 2008, Maxime Bouet, 34 ans, est l’un des « anciens » du peloton. Qu’en pense-t-il, lui ? « Il est clair que ça roule aujourd’hui plus vite qu’avant, je le vois bien en regardant mes Watts. Moi, aujourd’hui, je bats régulièrement mes records de puissance, j’en ai encore fait un sur Milan-Turin la semaine dernière. Avec les Watts que je développe là, j’aurais gagné plein de courses il y a cinq ans alors qu’aujourd’hui, je finis plutôt 40e (rires). Aujourd’hui, clairement, pour faire un résultat, il faut vraiment être à chaque fois au top de sa forme, alors qu’avant tu pouvais t’en sortir pour accrocher une place d’honneur en n’étant pas encore à ton max. Entre nous, dans le peloton, on se dit que la vitesse est supérieure qu’avant, bien sûr. Quand j’ai vu le tweet de Romain, un pote, je me suis dit : « Mince, si lui pense ça, moi qui ne suis pas à son niveau n’a désormais plus aucune chance de faire un résultat. »»

« On s’est tous foutu de la gueule de Sky au début »

Pour autant, le Marseillais n’aurait pas employé les mêmes mots que Romain Bardet. « MotoGP, je n’aime pas ce vers quoi cela renvoie. Ça fait allusion à des choses, il faut se le dire, qui ne sont pas bonnes pour le vélo. Moi, je reste convaincu que si ça roule plus vite, ça ne veut pas dire forcément dopage. Regardez d’ailleurs les contrôles, moi je m’accroche à ça. Ils sont négatifs, donc je fais confiance aux instances. »

Et Maxime Bouet de détailler son explication de la vitesse de plus en plus soutenue : « On s’est tous foutu de la gueule de Sky, au début, avec leurs capteurs de puissance, leurs stages en altitude, leurs cuisiniers, tout ça Mais en fait, regardez, on a tous fini par faire comme eux avec cinq ou dix ans de retard. Et on a bien vu que ça avait des incidences sur les performances. Les gains marginaux, ça existe et on a tous voulu aller vers ça, à notre manière. Gagner un petit Watt par ci, par là »

(...)

« Il y a beaucoup moins de contrôle »

Son coéquipier Warren Barguil a aussi constaté une augmentation de la vitesse. « C’est sûr que ça peut interloquer, oui. J’ai vu Thomas De Gendt ou Tim Wellens dire dernièrement qu’ils avaient remarqué ça aussi, et oui, moi aussi, depuis le premier déconfinement, j’ai le sentiment que ça va plus vite. Mais moi aussi, je vais plus vite, et je ne suis pas dopé, donc je ne vais pas accuser ! Je veux croire que le niveau a simplement progressé pour plein de facteurs. Les vélos d’aujourd’hui par exemple, qui peuvent être exceptionnels et avoir un rôle capital dans les vitesses. La nouvelle génération, aussi, est arrivée avec un très gros niveau, et nous fait presque passer pour des vieux, maintenant. Forcément, ça fait monter la moyenne. Beaucoup de mecs de ma génération ont déjà plus de mal qu’avant, c’est un constat » Pourtant, Warren Barguil n’a pas encore 30 ans (il les aura à la fin du mois d’octobre).

Le Morbihannais a en réalité surtout remarqué que les courses ont changé. « Plus que les Watts ou la vitesse, c’est le rythme d’une course qui n’est plus le même. Pendant longtemps, on s’est dit qu’on s’embêtait devant des étapes ou des courses, mais maintenant il y a beaucoup moins de contrôle sur une épreuve. Là, ça démarre à 75 kilomètres de l’arrivée, voire plus tôt, et c’est parti pendant des heures Les tactiques, donc, changent beaucoup. Et ensuite, les temps d’ascension, qui ne sont pas battus, ne veulent parfois rien dire, car ça a déjà attaqué depuis soixante bornes avant la montée donc forcément ça se grimpe moins vite. Les temps ne font pas tout, donc. »

« C’est humainement possible »

La petite phrase de Bardet a forcément été propice aux interprétations. En premier lieu, le dopage. Alors qu’en coulisses, certains se posent des questions, en off toujours, aucun coureur questionné n’émet de doutes. « Pour moi non. Je sais que c’est humainement possible d’aller plus vite qu’avant car je le fais en étant propre, dit Guillaume Martin. Là, je vois bien que je progresse, que mes données sont meilleures qu’avant, mais cela s’inscrit dans une logique de progression, de performance, de développement dans une carrière. J’arrive dans mes meilleures années, c’est normal, au fond. Il faut savoir se dire qu’il y a des gens plus forts et simplement plus forts. Moi, Roglic était plus fort que moi sur des courses, mais quelque part, j’étais aussi meilleur que 150 coureurs derrière moi. Et je n’ai pas envie que ces 150 coureurs pensent que j’ai triché parce que j’ai fini devant eux »

« Il y a néanmoins un truc qui me dérange, coupe Maxime Bouet. Ce sont les cétones. C’est le seul point d’interrogation que j’ai. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi dans le peloton, certains peuvent en prendre, et d’autres comme nous, les équipes du MPCC, n’en prennent pas, sans doute à juste titre. S’il y a des gains de performance réels, pourquoi l’autoriser ? Faire une enquête, c’est bien, mais en attendant il y a des courses, et pourquoi attendre ? Peut-être que lorsque ça tombera, certaines équipes seront déjà sur d’autres choses inconnues qui diviseront à nouveau. » Un avis partagé par Warren Barguil : « Ceux qui en prennent font ce qu’ils veulent avec leur santé, mais on a quand même suffisamment d’exemples, par le passé, où des produits nouveaux comme ceux-là généraient des sales trucs ensuite. L’UCI devrait faire quelque chose, bien sûr. » Pour rappel, l’équipe Jumbo-Visma a admis que ses coureurs consommaient des cétones. Julian Alaphilippe, le double champion du monde, avait également confié à Ouest-France , à l’été 2019, que cela faisait partie de son plan nutritionnel.

« Les gens auraient pu se demander ce qu’on avait mangé le matin ? »

Le Breton d’Arkéa-Samsic reste lucide vis-à-vis du dopage. « Le vélo paiera toujours. Moi, j’ai couru avec Georg Preidler (qui a avoué avoir tenté de se doper, dans le cadre de l’affaire dite « Aderlass »). Jamais je ne l’aurais cru capable de faire ça, donc vous savez Je me dis que c’est malheureusement le lot du sport de haut niveau, c’est comme ça » Selon lui néanmoins, vitesse plus élevée ne veut pas dire triche avérée. « Honnêtement, le jour des championnats d’Europe cette année, vu notre tactique et notre volonté de durcir la course très tôt, les téléspectateurs auraient pu se demander ce qu’on avait mangé le matin Mais je vous assure que tout était normal (rires). Aujourd’hui, ça roule plus fort mais c’est l’évolution de notre sport, le progrès d’un sport. »

Après tout, Romain Bardet n’a rien dit de plus, lui non plus. Mais il s’est posé une question. C’est toujours bon, de se poser des questions.


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Cette page a été mise en ligne le 11/11/2022